À l'heure où les prix des denrées alimentaires battent de nouveaux records dans les pays en développement, l'ONG britannique World Development Movement publie un rapport accusant les banques d'investissement de spéculer sur ce marché.
Le marché des produits alimentaires se porterait-il mieux sans les banques d’investissement ? Sans aucun doute, répond l’ONG britannique World Development Movement (WDM) - l'équivalent de Transparency international pour toutes les questions de développement économique - qui a publié mardi une nouvelle étude de l’impact de la spéculation sur la hausse des prix alimentaires, dont le niveau atteint aujourd'hui celui de 2008, lors des émeutes de la faim. "Les banques ont appauvri et plongé dans la famine des millions de personnes dans les pays en voie de développement", affirme ainsi à FRANCE 24 Murray Worthy, responsable des stratégies à WDM.
Depuis la crise financière, les banques sont certes devenues des cibles faciles, mais les chiffres relevés par l’ONG sont parlants. La banque britannique Barclays a, par exemple, encaissé 383 millions d’euros en 2010 en se contentant de parier sur la hausse des prix des denrées alimentaires. "C’est une estimation que nous avons faite à partir des chiffres publics de Barclays Capital [la banque d’investissement de Barclays, NDLR] et des données du marché", explique Murray Worthy. Barclays n'a pas souhaité réagir à ces affirmations.
Ce goût de la banque britannique pour la spéculation sur ces marchés n’a pas d’égal en Europe. Seules les banques américaines Goldman Sachs et Morgan Stanley font plus forts. Ainsi, selon WDM, Goldman Sachs domine ce petit monde de spéculateurs avec un milliard de dollars (684 millions d’euros) récoltés par an sur ces marchés.
Après les subprimes
La spéculation sur les denrées alimentaires existe certes depuis le début du 20e siècle, mais elle n’a atteint des niveaux dangereux qu’à l’aube de la crise alimentaire de 2008. En 2003, elle était en effet de l’ordre de 3 milliards de dollars par an... contre 55 milliards en 2008, selon Olivier de Schutter, le rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation. "2011 devrait constituer une nouvelle année record", prévient Murray Worthy. Le montant des opérations spéculatives sur les marchés des matières premières (denrée alimentaires, énergie, métaux) devrait atteindre 400 milliards de dollars cette année, contre 300 milliards en 2008, selon l'ONU.
L’appétit des banques d’investissement pour les denrées alimentaires s’est développé après l’éclatement de la bulle spéculative des subprimes. "Elles ont cherché un nouveau refuge qui n’était pas encore trop réglementé dans lequel investir rapidement", décrypte Murray Worthy. Elles se sont alors rappelé que les États-Unis avaient déréglementé le marché des denrées alimentaires au début des années 2000.
Bulle
Barclays Capital, Goldman Sachs et les autres y ont alors importé et développé les produits financiers qui ont fait les beaux jours du marché immobilier américain... avant de le conduire à sa perte. "Ces banques ont transformé ce marché de biens souvent vitaux pour les populations en place financière", regrette Murray Worthy. Barclays Capital a même créé l’équivalent des CDOs ("Collateralized Debt Obligation") pour les matières premières, ces produits financiers hautement sophistiqués qui ont joué un rôle important dans la crise des subprimes. Ils ont permis à des acteurs qui n’ont aucun rapport avec l’achat et la vente de maïs, de blé et d'autres céréales - comme les fonds de pensions - de placer leur argent sur ces marchés, dénonce World Development Movement.
L’ONG reconnaît cependant que la spéculation n’est qu’un élément parmi d’autres de l’envolée des prix alimentaires. L’OCDE estime ainsi que les conditions météorologiques, le développement des biocarburants et l'instabilité actuelle des pays arabes ont un impact plus important. Mais, pour WDM, la spéculation échapperait de plus en plus à tout contrôle. "La bulle est en train de grossir très vite", prévient Murray Worthy. L’ONG estime qu’il faudrait limiter les montants que les banques peuvent investir sur les marchés des produits alimentaires et mieux encadrer la nature des transactions. Des recommandations déjà faites par la Commission européenne en 2008…