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Carnets de route de Ouagadougou, au cœur de la 22e édition du Fespaco

Le festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou, plus grand rendez-vous cinématographique africain, s'est ouvert samedi. Notre envoyée spéciale vous propose tous les jours le meilleur de cette 22e édition du Fespaco.

Dimanche 6 mars – Un homme qui boude

Bilan contrasté de la 22e édition du Fespaco, qui s’est achevé samedi soir. Ce sont les films nord-africains qui ont marqué le festival, comme en écho à l’actualité politique qui agite la région. C’est ainsi que l’Étalon d’or de Yennanga, la plus haute récompense de ce rendez-vous incontournable du cinéma africain, a été remporté par le film marocain "Pégase" de Mohamed Mouftakir. Un très beau film onirique qui retrace le drame de Rihana, une jeune fille d’une vingtaine d’années manipulée par son père qui lui fait croire qu’elle est enceinte d’un démon.

L’autre sensation du festival est venue du réalisateur tchadien Mahamat Saleh Haroun qui a refusé d’aller chercher l’Étalon d’argent que le jury lui avait décerné pour son film "Un homme qui crie". Toute la semaine, le cinéaste s’est montré très critique à l’égard des organisateurs du Fespaco, à qui il a reproché, notamment, un manque de rigueur dans la sélection et des errances logistiques, comme l’oubli de certains membres du jury.

L’organisation critiquée

Mahamat Saleh Haroun ne fut pas le seul à émettre des réserves sur l’organisation du festival. Nombre de réalisateurs et professionnels du cinéma présents à Ouagadougou ont regretté, par exemple, que l’hôtel Independance Azalaï, autrefois centre névralgique du Fespaco, n’ait accepté d’ouvrir ses portes aux festivaliers. "Aujourd’hui, les cinéastes sont perdus et ils se cherchent partout dans la ville, ils n’auraient pas du rompre cette tradition", nous confiait le célèbre professeur de cinéma et de littérature de l’université de New York, Manthia Diawara.

Au cœur de la polémique, une ardoise de 60 millions de francs CFA (environ 100 000 euros) laissée par les organisateurs lors de la précédente édition en 2009. Oumar Sall, le tout nouveau directeur de l’hôtel, a refusé de céder à la pression du lien historique qui unit l’établissement au Fespaco : "Ils ont une dette envers nous qu’ils doivent honorer".
"Ce n’est pas l’argent qui fait les bons festivals", se contente de répondre le délégué général du festival, Michel Ouedraogo.

Cette controverse est emblématique d’un certain regard que le monde porte sur le continent. Largement dépendants des financements européens, la plupart des films africains sont réalisés dans le but de plaire aux publics du Vieux Continent. C’est le fameux cinéma calebasse, un terme péjoratif désignant un très beau cinéma mais vide de sens.

Néanmoins, notre séjour à Ouagadougou nous a permis de voir une nouvelle génération très dynamique de cinéastes. Certains réalisateurs travaillant avec des moyens modernes, tels que le numérique, proposent un cinéma ancré dans la réalité. Las, ces œuvres n’ont pas encore droit de cité au Fespaco. "Le festival ne reconnaît pas les nouveaux moyens de production, ils sont encore dans des débats d’arrière-garde, ils n’acceptent que des films en 35 millimètres dans la sélection officielle des longs métrages, or la plupart des réalisateurs africains n’ont pas les moyens de faire face à ces coûts de production", regrette Guillaume Pierre, directeur Afrique de Canal France International (CFI)*.

7e art et parts de marché

À Ouagadougou, ces débats ont agité le microcosme du cinéma africain qui cherche à avoir une place dans l’industrie mondiale, alors qu’il ne représente que 3 % du marché. À la faveur de la crise financière internationale, les subventions octroyées au cinéma du continent ont réduit comme peau de chagrin. Le ministre français de la Culture, Fréderic Mitterrand, venu à Ouagadougou remettre une décoration au réalisateur Gaston Kaboré, a tenu à rassurer le monde du cinéma africain avec l’annonce d’une conférence des donateurs.

Cette annonce ne peut faire oublier que le cinéma africain a besoin de fonds propres et que la volonté des acteurs politiques et économiques locaux doivent être en première ligne. Fatou Kandé Senghor, cinéaste et productrice africaine, plaide pour une prise en main réelle du cinéma africain par ses populations : "Il serait temps qu’on tourne la page de cette vision assistée du cinéma, les films devraient être faits par les Africains pour les Africains." Le seul pays qui produit réellement des films dans son pays reste le Nigeria. Or, l’industrie cinématographique nigériane, le fameux Nollywood, n’est quasiment pas représentée au Fespaco.

Toutes ces polémiques ne peuvent faire oublier à quel point le festival demeure une fête populaire. Nous avons pu le constater pendant ces huit jours, les Burkinabè sont de véritables cinéphiles, malgré la crise et l’absence des salles de cinéma à leur portée. Jeunes, vieux, femmes, hommes, intellectuels et illettrés, ils se rendent d’ailleurs nombreux dans les salles obscures lors du festival. Et c’est cette image du festival qui restera.


*Filiale du groupe France TV, CFI est, depuis 20 ans, l’opérateur de la coopération médias française à destination des pays d’Afrique chargé d’animer un réseau de partenaires du secteur des médias. Cet organisme est subventionné par le ministère français des Affaires étrangères et européennes.

Samedi 5 mars - Taxi driver

Moussa Ouedraogo, 38 ans, chauffeur de taxi cinéphile porte un t-shirt à sa propre effigie. Dans sa voiture verte, il arpente les abords des hôtels en savourant les classiques de la variété française qui résonnent sur son autoradio. C'est grâce à un prêt de 5 000 dollars consenti par des amis québécois qu'il a pu lancer son activité.

Il adore le cinéma, nous dit-il, et c’est muni d’un bloc-notes qu’il s’est rendu aux séances du Fespaco. Mais avec un revenu journalier de 2 500 francs CFA (environ 4 euros), le chauffeur-cinéphile ne peut plus se permettre de dépenser 1 000 francs CFA pour voir un film.

Aujourd’hui, Moussa regrette la fermeture des petites salles de cinéma qui constituaient l’identité de la ville de Ouagadougou. Il doit se contenter des téléfilms, venus pour la plupart de la Côte d’Ivoire voisine. Lors du prochain Fespaco, son plus grand souhait serait que les organisateurs fassent une meilleure place aux taxis.

Jeudi 3 mars - Mamane au pays de Gondawna

Mamane est un humoriste révélé par l’émission de Laurent Ruquier sur France 2 : "On a tout essayé". Depuis, le trublion s’est fait connaître par Radio France Internationale, où il anime une chronique matinale. Avec la radio, il a popularisé le pays imaginaire qu’il a élaboré il y a quelques années : le pays du Gondwana. Ce nom est tiré de l’ère préhistorique. Mamane l’a choisi en guise de métaphore de toutes les dictatures. "Il fallait un pays dans lequel mettre tous les problèmes, tels que la corruption, la mauvaise gouvernance, le népotisme…", explique le comédien. Avec la diffusion sur l’ensemble du continent par les réseaux de RFI, Mamane est devenu un humoriste panafricain très célèbre.

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"les continents s'étaient séparés. Là, ils se rejoignent"
Carnets de route de Ouagadougou, au cœur de la 22e édition du Fespaco

Son parcours est atypique. Il y a vingt ans, il quitte sa famille au Niger pour poursuivre ses études en France. Le jeune Moustapha Mouhamed Moktari se destinait à faire de la physiologie végétale. Mais en cours de cycle, il décide de changer pour de la télédétection afin de pouvoir travailler le plus rapidement possible. Avec ce changement, il perd ses droits universitaires et devient un sans-papier pendant deux ans. C’est pendant cette période qu’il fait ses premiers pas dans la comédie. Très vite, le Gondwana s’est imposé mais les critiques acerbes fusent. Certains lui reprochent de refléter une mauvaise image de l’Afrique avec cette chronique virulente. À ses détracteurs, il répond "Ce n’est pas moi qui donne une mauvaise image, ce sont les dirigeants avec leurs comportements."

Marcher avec lui dans les rues de Ouagadougou, c’est comme revivre l’hystérie des fans des Rolling Stones dans les années 70. Toute proportion gardée. Vérification faite en l’accompagnant dans un restaurant qui porte le nom de Gondwana. L’émotion est palpable. Le directeur surtout, est ravi de cette publicité et nous a réservé le meilleur…sans toutefois oublier de nous faire payer…C’est ainsi, rien n’est gratuit au pays du Gondwana !

Le cinéma comme à la maison…

Vous n’avez encore rien vécu tant que vous n’avez pas été au cinéma à Ouagadougou. Ici au Fespaco, les uns vont au cinéma comme certains vont au marché.

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Un tour d'horizon des films en compétition

C’est une fête populaire ouverte à tous, des jeunes aux femmes d’un certain âge comprenant à peine le français… Tout le monde assiste, dans la joie et la bonne humeur, à l’extraordinaire expérience cinématographique.

Pour un étranger, le spectacle est aussi bien dans la salle que sur l’écran. Nos voisins assis derrière nous répondaient allégrement à leurs téléphones pendant la projection. Les autres entraient et sortaient à tout moment de la séance. Tant est si bien qu’une dame a dérangé tout le monde pour aller s’asseoir. Elle n’était pas encore arrivée à sa place que le générique de fin défilait. Mais peu importe, elle verra le prochain film. Ainsi va la vie au Fespaco !

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Lundi 28 février - Le pays des hommes intègres

Gérard Chêne est un amoureux du cinéma - notamment africain -, habitué des festivals autour du monde. Il est le fondateur du Festival du film africain de Montréal. Rencontré aux abords du centre du Fespaco, il nous fait part de sa passion pour le Burkina. "J'aime beaucoup venir dans ce pays, celui des hommes intègres. Intègres parce que les Burkinabè tiennent leur parole, ce qui est très appréciable. Les femmes ont un grand sens de l'humour".

Les femmes à moto

Ouagadougou est une ville qui fourmille de mobylettes. Comme dans beaucoup de capitales d’Afrique de l’Ouest, ce moyen de déplacement est nettement plus commode et plus accessible qu'une voiture. Le plus étonnant est de voir les femmes, jeunes ou âgées, habillées en tenues traditionnelle ou à l’occidentale, enfourcher leur véhicule telles des montures de Yennenga pour vaquer à leurs occupations. Elles peuvent parfois porter un enfant dans le dos, un panier sur la tête ou même être tassées en rang d'oignons sur la mobylette.
 

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Dimanche 27 février - À la recherche du précieux badge …

Au réveil, le matin de l’ouverture du festival, nous étions requinquées et déterminées à obtenir notre précieux sésame : l’accréditation presse qui donne accès à toutes les projections. Là aussi, l’aventure africaine a tenu ses promesses.

Deux jeunes bénévoles du festival, très nombreux à travailler pour le Fespaco, indiquaient sur des panneaux à l’entrée de l’hôtel, le changement impromptu du lieu de retrait des dossiers de presse et des accréditations.

Direction le Liptako, un building administratif gardé par des vigiles. Un taxi de l’hôtel pratiquant des tarifs touristiques avec une marge conséquente durant la période du festival, s’avère ne pas connaître le lieu. Finalement, nous arrivons au Liptako et après un quart d’heure de queue interminable, nous finissons par interpeller le responsable, posté parmi les quinze personnes préposées au retrait des accréditations. Nous lui demandons s’il a besoin de notre carte de presse ou de notre carte d’identité pour que l'on puisse récupérer nos précieux sésames. "Il me faut les badges!", nous répond-il. "Mais attendez, nous venons justement pour les retirer", rétorquons-nous au responsable. "Ah… mais ce n’est pas ici mesdames", lâche-t-il avec la plus grande décontraction.

C’est ainsi que sous les yeux stupéfaits de Leela Jacinto, mon alter ego anglophone, nous nous engouffrons rapidement dans un taxi, direction le centre du Fespaco. De là, aidées par un autre bénévole, nous réussissons en esquivant la foule compacte massée autour et à l’intérieur de l’imposant bâtiment ocre de style post-colonial à trouver le lieu de retrait de la presse internationale.

Là encore, la gentillesse des burkinabè nous a été d’un grand réconfort. Badges en main, nous finissons par sortir des lieux. Sur le perron, nous croisons Michel Ouédraogo, le délégué général du Fespaco. Dans un état de nervosité avancé, à quelques heures de l’ouverture, il ne souhaite pas répondre à nos questions … Mais, rendez-vous est pris pour le lendemain.

Samedi 26 février - Arrivée sur les chapeaux de roues

Épique. Lorsqu’on voyage pour une destination africaine, on sait que le voyage ne sera pas banal. Aussi, lorsque nous avons embarqué de Paris, hier matin, direction Ouagadougou, au Burkina Faso, pour couvrir le plus grand festival du film du continent, le Fespaco, nous étions préparées à une belle aventure.

Le vol était très agréable avec tout le gratin du cinéma africain à bord tels Dora Bouchoucha, réalisatrice et productrice tunisienne, Missa Hébié, réalisateur burkinabè... Ma consœur anglophone, Leela Jacinto, n’était jamais venue en Afrique noire et, pour elle, ce fut une vraie découverte. La Sénégalaise que je suis, rompue aux voyages de ce type, pensait en avoir vu d’autres.

Souvent les cassandres fustigent les compagnies aériennes africaines pour leur manque d’organisation et la prise en charge hasardeuse de leurs passagers. Quelle ne fut donc pas ma surprise de découvrir qu’en voyageant avec Air France, les bagages pouvaient ne jamais arriver. C'est pourtant bien ce qui s'est passé, ma valise est restée à l'aéroport à Paris ! Premier contact avec le sol burkinabè dans la confusion totale. Heureusement que la chaleur et la convivialité légendaires des burkinabè vous font vite oublier ce genre de désagrément. Même les agents douaniers compatissent, certains allant même jusqu’à vous proposer de vous prêter un nécessaire de toilette, voire même de vous loger chez eux (très convivial !).

L’hôtel Indépendance nous a réservé un bel accueil. Étant le centre névralgique du Fespaco, nous y croisons tous les festivaliers. Certains d’entre eux nous félicitent pour la couverture de FRANCE 24 des événements au Maghreb et au Moyen-Orient. Le juré du festival, Dora Bouchoucha, nous confie que c’est grâce au travail de notre chaîne que beaucoup de ses compatriotes ont pu voir les images de ce soulèvement historique qui a conduit à la chute du régime de Ben Ali, le 14 janvier.

Aujourd’hui, début des festivités avec, en point d’orgue, la cérémonie d’ouverture du festival au stade du 04 Août.