Depuis le 25 janvier, l'opposition égyptienne s’est mobilisée pour obtenir la chute du raïs. Le 2 février, les pro-Moubarak ont contre-attaqué à dos de chameau, de chevaux et de tirs de semonce. Bilan : 3 morts, plus de 900 blessés. Nos reporters Karim Hakiki et Johan Bodin étaient sur place. Reportage exclusif.
En temps normal, le travail des journalistes en Égypte est déjà un casse tête. Depuis le 25 janvier, la pression sur les journalistes s’était, semble-t-il, un peu relâchée. Parfois, des policiers en civil tentaient bien d’intimider les reporters. Mais au milieu d’une foule aspirant à davantage de démocratie, leurs menaces n’allaient pas bien loin.
La journée du 2 février constitue un tournant. Dès le début de la matinée, un changement est perceptible. Une de nos équipes se trouve dans un quartier pauvre plutôt acquis à la cause de Hosni Moubarak. En quelques minutes, les personnes interrogées deviennent agressives, accusant les journalistes d’êtres responsables de tous les maux et de ternir l’image de l’Égypte. La veille, la télévision officielle a pointé du doigt les médias étrangers. La population est appelée à la vigilance. Des "agents de l’étranger" seraient ainsi infiltrés pour "semer le chaos". Les journalistes de FRANCE 24 décident d’abréger leur tournage.
Dans le taxi qui les ramène dans le centre-ville du Caire, le chauffeur demande de cacher la caméra. Car les pro-Moubarak sont à la recherche de journalistes : une vaste chasse à l’homme est en préparation.
Au même moment, place Tahrir, une autre équipe de FRANCE 24 recueille le témoignage d’opposants au régime. Les manifestants ont veillé toute la nuit, galvanisés par la mobilisation monstre de la veille. C’est un petit matin calme. L’armée est censée nettoyer la place et demander aux manifestants de partir. Mais, face à la détermination de ces derniers, aucun militaire n’ose exécuter l’ordre. En quittant les lieux, l’équipe de FRANCE 24 croise des dizaines de cortèges qui affluent depuis les ponts situés sur le Nil. Tous hissent des portraits d’Hosni Moubarak. Des manifestants pro-Moubarak s’invitent, par milliers, aux abords de la place Tahrir. Pourtant, aucun appel à manifester n’a été lancé, par les responsables politiques proches du pouvoir.
Au camps des anti-Moubarak, des hommes improvisent des barricades avec tout ce qu’ils trouvent : tôle, carcasses de voiture, palettes de bois… Le service d’ordre redouble de précautions. Quiconque veut accéder au cœur de la contestation doit montrer patte blanche. Car l’enjeu est de taille : il s’agit tout simplement de ne pas se faire ravir la place Tahrir.
Contre-attaque désespérée
L’objectif des milliers de pro-Moubarak se précise. Désormais, plus une seule femme avec eux. Les anciens prennent leur distance. En première ligne, on retrouve des groupes de jeunes, armés de barre de fer, de bâtons voire de couteaux. Ils avancent d’un pas décidé. Sorti de nulle part, un groupe de cavaliers. Un homme est juché sur un chameau.
La charge est lancée. Les cavaliers percent les rangs des anti-Moubarak. Derrière, un groupe compact, à pied, avance et occupe le terrain conquis. La place Tahrir est en train de tomber.
Des grappes de manifestants se ruent alors sur les cavaliers, aussitôt désarçonnés, traînés à terre et roués de coups. Une clameur depuis la place. Des centaines d’hommes lèvent les bras, appellent à la lutte. La bataille n’est pas perdue, elle ne fait que commencer. Des pierres, des pavés. Instantanément une organisation se crée. Il y a les lanceurs, les récolteurs et les soigneurs.
Il est 14h30. Les rangs des partisans de Hosni Moubarak cèdent devant cette contre-attaque désespérée. Le tout sous les caméras du monde entier, qui diffusent, en direct, minute par minute, l’avancée des combats. Fous de rage, les pro-Moubarak se retournent contre les envoyés spéciaux présents au sein de la foule : des attaques coordonnées, d’une violence inouïe. Tout étranger est suspect, montré du doigt et livré au lynchage. En quelques heures, plus de 70 journalistes sont violemment agressés. Le but : empêcher, par tous les moyens, les reporters de relater les événements place Tahrir. L’armée est mise à contribution. Les soldats interpellent à tour de bras. Aucune rédaction n’est épargnée. Trois journalistes de FRANCE 24 sont agressés, arrêtés et détenus pendant plus de trente heures. Les caméras aux balcons des hôtels et immeubles des alentours ne sont plus tolérées. Des officiers saisissent le matériel.
Face aux protestations internationales, la répression orchestrée contre les représentants des médias s’arrêtera 48 heures après. Durant ces deux jours, nous avons continué, malgré tout, de relater les affrontements sur et autour de la place Tahrir.