
La polémique autour des voyages privés des dirigeants politiques français à l'étranger connaît un nouveau rebondissement, ce mercredi, avec la révélation d'un séjour en Égypte du Premier ministre... payé par le régime d'Hosni Moubarak.
Après la controverse provoquée par les escapades tunisiennes de la ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie ("MAM"), au mois de décembre, c’est au tour du Premier ministre, François Fillon, de traverser une zone de turbulence.
Ce mercredi, "Le Canard enchaîné" révèle en effet que les vacances en famille que le chef du gouvernement a passé en Égypte au moment de Noël ont été en partie payées par les autorités égyptiennes... Devançant la parution de l’hebdomadaire satyrique français, Matignon a détaillé mardi les conditions de ce séjour au bord du Nil, qui s’est déroulé du 26 décembre au 2 janvier.
Dans le communiqué publié par les services du Premier ministre, il est précisé que François Fillon, son épouse et ses enfants, ont été hébergés par le régime et ont utilisé un avion "de la flotte gouvernementale" gracieusement mis à disposition par Le Caire pour une excursion de toute la famille Fillon à Abou-Simbel. "Il a également effectué une sortie en bateau sur le Nil dans les mêmes conditions", précise encore le texte.
"Mélange des genres"
"La hiérarchie est respectée, le Premier ministre a frappé encore plus fort que la ministre d’État", ironise de son côté "Le Canard enchaîné" qui affirme que l'appareil emprunté par le chef du gouvernement français pendant son séjour égyptien appartenait au président Hosni Moubarak lui-même. "Comment peut-on demander le départ d’un chef d’État et avoir un regard critique sur son régime quand on devient son obligé ?", a poursuivi sur l’antenne de FRANCE 24 Brigitte Rossigneux, la journaliste qui a signé l’article dans le journal satyrique. Selon elle, "il ne faut pas mélanger les genres, car il ne s’agissait pas d’un voyage d’État, mais bel et bien d’un séjour privé avec femme et enfants".
De son côté, Martine Aubry, la patronne du Parti socialiste (PS) s'est dite "consternée" par cette nouvelle affaire, estimant que le gouvernement avait "perdu le sens de l'esprit public". Le ministre du Travail, de l'Emploi et de la Santé, Xavier Bertrand, lui a rétorqué que François Fillon "ne [pouvait] pas se comporter comme tout touriste". Son séjour en Égypte répondait à des "règles de sécurité", a-t-il précisé, accusant au passage l'opposition de dresser "un rideau de fumée".
Cette révélation intervient alors que la ministre des Affaires étrangères Michèle Alliot-Marie est accusée d’avoir utilisé à deux reprises, fin 2010, le jet privé d’un homme d’affaire tunisien réputé proche du clan Ben Ali à l'occasion de ses vacances en Tunisie. Accablée par l’opposition qui demande sa démission depuis une semaine, critiquée par les médias, la patronne de la diplomatie française s’est défendue tant bien que mal des attaques dont elle fait l'objet et a reçu le soutien de Matignon.
Spécificité française et République irréprochable
Si les vacances de MAM en Tunisie et de François Fillon en Égypte se sont certes déroulées dans des contextes différents - celles de la ministre des Affaires étrangères ont eu lieu en pleine révolution tunisienne alors que celles du Premier ministre se sont déroulées avant le soulèvement populaire en cours au Caire -, ces deux affaires se rejoignent toutefois sur un point : révéler une pratique courante au sommet de l'État français qui consiste à se voir offrir des déplacements et des séjours privés à l'étranger par des régimes autoritaires...
itLe quotidien "Le Parisien" rappelle ainsi dans son édition de mercredi "les parties de chasse africaines" de l’ex-président Valéry Giscard d’Estaing en Centrafrique, dirigée à l'époque par le fantasque et violent empereur Bokassa, "les vacances de Mitterrand à Assouan", ou encore "les croisières cubaines de Jack Lang", l'ex-ministre de la Culture, sur le yacht de Fidel Castro. Selon Brigitte Rossigneux, "une histoire pareille aurait déclenché la démission immédiate du ministre mis en cause dans des pays tels que le Canada ou les États-Unis".
Reste que si ces deux affaires font autant de bruit aujourd'hui, c'est parce qu'elles viennent s’ajouter aux récentes polémiques nées de l’affaire Woerth-Bettencourt et des démissions du secrétaire d'État au Grand Paris, Christian Blanc, et du secrétaire d'État à la Coopération et à la Francophonie, Alain Joyandet, en juillet dernier. Le premier avait été contraint de quitter son poste après qu'on eut appris qu'il avait fait payer ses cigares personnels par son ministère à hauteur de 12 000 euros. Le second avait loué, quant à lui, un jet privé pour un montant de 116 500 euros pour un déplacement ministériel aux Antilles. Une loi des séries qui met à mal la "République irréprochable" prônée par le président Nicolas Sarkozy pendant sa campagne présidentielle, en 2007. Ce dernier a d'ailleurs demandé ce mercredi à son équipe, lors du Conseil des ministres, de désormais "privilégier la France" pour leurs vacances et de soumettre à l'approbation du Premier ministre leurs invitations à l'étranger.
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