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Emballement et mea culpa des médias autour de l’affaire du pasteur de Floride

La décision du pasteur évangélique intégriste, Terry Jones, de brûler un exemplaire du Coran a soulevé des controverses dans le monde entier. Retour sur l'histoire d'un emballement médiatique.

En raison du caractère insultant de certains propos publiés sur cette page, France 24 a décidé d'en fermer provisoirement les commentaires.

Il y a quelques mois encore, Terry Jones, pasteur de la "Dove World Outreach Center", une communauté évangélique extrémiste, était totalement inconnu du grand public. Aujourd’hui, l’Américain décroche toutes les Unes, est interviewé sur les grandes chaînes de télévision et réussit à inquiéter les plus hautes sphères du pouvoir.

Terry Jones n’est ni un héros ni un artiste en vogue. Il est devenu célèbre le jour où il a annoncé vouloir brûler publiquement un exemplaire du Coran pour commémorer le neuvième anniversaire des attentats du 11-Septembre, et pour protester contre le projet de construction d’une mosquée à deux pas de Ground Zero.

Il ne s’agit pourtant pas de sa première provocation. En 2009, il avait notamment planté des pancartes devant son église sur lesquelles était inscrit " le Coran est le diable". Ce n’est pas non plus la première fois qu’un groupuscule extrémiste décide de brûler le livre saint de l’Islam. En 2008, une obscure congrégation évangélique du Kansas avait arrosé d’essence un Coran et l’avait brûlé au coin d’une rue, sans pour autant faire les gros titres.

"C’est une histoire qui n’aurait jamais dû voir le jour", affirme Philippe Gassot, correspondant de France 24 à Washington, rappelant que le pasteur était, avant l’affaire, quasi inconnu, même dans sa propre ville. Son église rassemble à peine une cinquantaine de fidèles parmi les 95 000 habitants que compte Gainesville. "Un prêcheur quasi inconnu menace de brûler le Coran le 11-Septembre, les médias s’en emparent et il devient aux États-Unis l’homme de la controverse. Disons que c’est un peu facile comme moyen de devenir célèbre", poursuit, caustique, le journaliste.

C’est bien là tout le problème posé par la couverture médiatique. Mi-juillet, un site internet peu connu, Religion News Service, sort une brève de quelques lignes sur les intentions pyromanes du pasteur. Yahoo reprend l’information et à partir de là, tout s’emballe. Mi-août, la chaîne ABC l’invite sur son plateau. La machine médiatique est lancée.

Quand le pouvoir s'en mêle

Début septembre, à l’approche des commémorations du 11-Septembre, l’affaire prend encore plus d’ampleur quand la sphère politique s’en mêle. Depuis la Maison Blanche, Barack Obama condamne les intentions du prêtre et David Petraeus, commandant en chef des forces alliées en Afghanistan, s’inquiète ouvertement des conséquences d’un tel acte sur le terrain. Robert Gates, ministre de la Défense, se fend même d’un coup de fil au pasteur extrémiste pour tenter de le dissuader dans son entreprise.

Jeudi dernier, coup de théâtre : le révérend annonce qu’il renonce à brûler un exemplaire du Coran. Puis quelques heures plus tard, déclare qu’il hésite. À partir de ce moment-là, les éditoriaux fleurissent dans les journaux. Le malaise est palpable : l’histoire a pris trop d’importance. Le pasteur donne l’image d’un homme qui divague et qui ne cherche rien d’autre que la notoriété.

Malaise des journalistes

Selon le New York Times, Terry Jones a accordé quelque 150 interviews depuis la fin du mois de juillet. "Il a réussi à se placer au centre des questions soulevées par l’actualité de cet été [le projet de construction d’une mosquée à Manhattan près du site des attentats du 11-Septembre a provoqué de vives controverses] et à surfer sur les besoins des chaînes d’information 24/24 pour promouvoir sa cause anti-Islam", analysait le quotidien new-yorkais le 9 septembre.

Le même jour, un journaliste du Washington Post s’interrogeait : "Pourquoi le monde doit-il suivre les cabrioles d'un obscur brûleur de livres en Floride ? On pouvait se dire que nous couvrions tout simplement l’histoire, mais nous en avons fait une affaire internationale. Et les conséquences en sont autrement plus graves que le pataquès que nous avions créé autour de l’incarcération de Lindsay Lohan [starlette américaine]."

Le New York Times cite également le billet - éloquent - posté par un journaliste de la chaîne ABC sur Twitter: "Je suis dans les médias, mais pense que les médias ont donné vie à cette histoire de brûleur en Floride... et c'était de l’inconscience."

La Croix, quotidien catholique français, livre une analyse moins critique : "Ne rien en dire, ce serait prendre le risque d’une exploitation de l’autodafé par les islamistes. Le condamner aussi solennellement, c’est donner de l’importance à un groupe marginal et renforcer les extrémistes de tous bords dans leur pouvoir de nuisance".

Francis Balle, spécialiste des médias à l’Université de Paris II Panthéon-Assas, estime pour sa part qu’un mea culpa des journalistes n’est ni utile ni adéquat. "Les médias ne sont pas coupables. Ils ne pouvaient pas ne pas parler de cette affaire et ne pouvaient pas non plus ne pas couvrir l’écho énorme que cette histoire a eu sur le public américain", analyse-t-il lors d’un entretien téléphonique avec France24.com. "Maintenant, la seule attitude responsable, c’est de ne plus en parler. Ou de ramener cette information à sa juste valeur, c'est-à-dire celle d’un fait divers."

Plusieurs chaînes internationales, dont CNN, BBC et France 24 ont ainsi décidé de ne diffuser aucune image, si Terry Jones exécutait son projet.
 

En images: le 11-Septembre 2001, un souvenir toujours vivace
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