
Lutter contre l’excision est indispensable, assurent les associations qui travaillent avec des femmes immigrées. Déchoir de leur nationalité les auteurs de ces actes, déjà sanctionnés par la loi, constituerait en revanche, une "double peine".
Elle a été excisée à l'âge de 8 ans, "dans des conditions atroces", comme toutes les autres petites filles de son village de Guinée. Diaryatou Bah n'a rien oublié de ce matin-là, ni de son mariage forcé à l'âge de 14 ans. Elle a raconté son histoire dans un livre, "On m'a volé mon enfance", publié en 2006. Aujourd'hui, à 25 ans, elle milite dans l'association qu'elle a créée en Seine-Saint-Denis, Espoirs et combats de femmes, et au sein du réseau Ni putes ni soumises.
"Il faut bien sûr être très sévère sur l'excision, comme sur la polygamie, estime Diaryatou Bah. Mais je pense que Nicolas Sarkozy a été trop loin dans ses déclarations. Il ne peut pas être aussi brutal à l'égard de tous les immigrés ! Ces pratiques font partie de la vie de certaines personnes. Beaucoup sont ignorantes, inconscientes de ce qu'elles font. Travailler sur les mentalités est un travail de longue haleine."
Français de papier
Dans son discours de Grenoble, le 30 juillet, le président français a annoncé vouloir "réévaluer les motifs pouvant donner lieu à la déchéance de la nationalité française". Il a notamment menacé de déchoir de leur nationalité les personnes d'origine étrangère qui auraient porté atteinte à un représentant de l'ordre public. Le ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, a ensuite appelé à étendre cette mesure aux auteurs d'actes d'excision, ce qui devrait être débattu en septembre dans le cadre de l'examen de la loi sur l’immigration.
"Ces propositions sont choquantes à plusieurs niveaux, réagit Immaculée Ntawuhungakaje, vice-présidente de la Rencontre internationale des femmes noires (Rifen) du Nord-Pas-de-Calais. Nous sommes dans un État de droit, quelqu'un qui commet un délit doit être puni. Et oui, l'excision est un délit. Mais une loi existe pour punir ceux qui pratiquent ces actes barbares. Pourquoi créer une double peine ? Pourquoi lier cette pratique à l'insécurité ? C'est une démarche politicienne, empreinte de discrimination et d'exclusion, qui vise à séparer Français de souche et Français de papier."
Selon l'article 222 du Code pénal sur les violences, les parents et les personnes pratiquant l'excision encourent en effet une peine allant jusqu'à 20 ans de prison. Pour éviter que cette disposition ne soit contournée par les familles, l'article 222-16-2 étend l'application de la loi aux mineurs de nationalité étrangère qui vivent habituellement en France et qui seraient victimes, à l'étranger, d'actes d'excision. Le secret professionnel n'existe pas en cas de mutilation sexuelle et la France est le premier pays européen à avoir intenté des procès aux exciseurs, dès 1979.
"Construire un vivre-ensemble"
Le nombre de femmes victimes de mutilation sexuelle dans le pays reste mal connu. Dans un rapport de 2007, l'Institut national des études démographiques (Ined) l'estime à environ 50 000 adultes. La pratique de l'excision "s'est très vraisemblablement perpétuée en France jusqu'au début des années 1980, précisent les auteurs du rapport. Elle a sans doute régressé ensuite, ou a même été abandonnée dans certaines familles, les générations les plus récentes ayant pu bénéficier des campagnes de prévention ciblées sur les petites filles."
Sur le terrain, l'association Rifen travaille à l'insertion sociale et économique des femmes africaines, en leur expliquant les codes de leur pays d'accueil. "Lutter contre une pratique traditionnelle prend beaucoup de temps, c'est un travail de fourmi, un travail de tous les jours, témoigne Immaculée Ntawuhungakaje. Il faut expliquer que les fondements de cette pratique sont faux, qu'ils soient religieux ou coutumiers. On explique que l’excision ne favorise pas la fertilité, au contraire ; qu’elle a des conséquences psychologiques et médicales sur les femmes. il faut sensibiliser les mères et les grand-mères, mais aussi les jeunes filles, les professionnels, les hommes..."
"La plupart des exciseuses ignorent les conséquences de cette pratique et sont convaincues qu'elle fait partie de leur culture et de leur identité, poursuit-elle. Pourquoi discriminer à nouveau ? Les déclarations du gouvernement mettent en péril le travail des associations pour essayer de construire un vivre-ensemble." "Mélanger l'insécurité et les coutumes ou les traditions n'est pas bien, ajoute Diaryatou Bah. Il faut aider ces femmes, qui vivent souvent dans des conditions précaires, à comprendre qu'elles doivent abandonner certaines choses pour s'intégrer en France."