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"La proposition de démettre une personne de sa nationalité constitue un dangereux virage"

Nicolas Sarkozy a menacé de déchoir des délinquants de la nationalité française. Pour le politologue Jean-Philippe Roy, cette idée brouille les lignes entre l'extrême-droite et la droite traditionnelle.

Démettre les Français d'origine étrangère de leur nationalité, s'ils portent atteinte à un représentant de l'autorité publique : telle est l'une des propositions formulées par le président français, Nicolas Sarkozy, vendredi, lors d'un déplacement à Grenoble (Isère), où quelques jours plus tôt des policiers avaient essuyé des tirs à balles réelles.

"La nationalité française doit pouvoir être retirée à toute personne d'origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d'un policier, d'un militaire de la gendarmerie ou de toute autre personne dépositaire de l'autorité publique, a-t-il déclaré. La nationalité française se mérite et il faut pouvoir s'en montrer digne."

Pour Jean-Philippe Roy, politologue et maître de conférences en sciences politique à l'université Rabelais de Tours, cette annonce témoigne de l'inquiétude qui prévaut en ce moment au sein de l'État.


FRANCE 24 - Comment qualifiez-vous le discours de Nicolas Sarkozy à Grenoble, notamment sa proposition de déchoir de la nationalité française toute personne d'origine étrangère ayant porté atteinte à un représentant de l'autorité publique ?

Jean-Philippe Roy - Je suis très étonné par cette annonce. Ce qui marquait la limite entre l'extrême droite et une droite dure s'est considérablement réduit. L'idée de retirer la nationalité à des gens est insupportable. Avec cette proposition, Nicolas Sarkozy franchit le Rubicon ! C'est un pas très dangereux. Imaginez qu'une personne commette un crime atroce, en tuant par exemple 30 personnes. On peut lui supprimer la jouissance de ses droits civiques, mais pas sa nationalité. Elle est inaliénable.

F24 - Où se situe exactement le changement par rapport à ses précédents discours sur la sécurité ?

J.-P. R. - Avec son discours sur les Roms et les gens du voyage, avec cette proposition de démettre des étrangers de leur nationalité, Nicolas Sarkozy ne parle plus seulement de la sécurité, mais des étrangers et de l'immigration. C'est bien là qu'il y a un virage. Sur la sécurité, tout le monde peut à peu près s'entendre. L'insécurité urbaine est un problème réel et il y a eu une conjonction de phénomènes, à Saint-Aignan puis à Grenoble, qui lui ont en quelque sorte fourni une opportunité pour s'emparer du sujet. Mais là nous sommes dans un tout autre champ.

F24 - Cette proposition sera-t-elle, selon vous, suivie d'effets ?

J. -P. R. - La plupart des gens sont à la plage, cela ne va donc pas avoir beaucoup d'écho. Ensuite constitutionnellement, il est totalement impossible de déchoir quelqu'un de sa nationalité pour de tels motifs. C'est donc un effet d'annonce, mais qui signifie quelque chose. Cela montre que le pouvoir s'inquiète, il est perturbé, il n'est pas serein.

F24 - Est-ce un aveu d'échec de Nicolas Sarkozy concernant son bilan sur la sécurité ?

J. -P. R. - Il est toujours difficile pour les politiques d'admettre qu'ils ont échoué. Plus qu'un aveu d'échec, c'est un aveu d'impuissance. On dirait que tout lui échappe.

F24 - La majorité va-t-elle le suivre sur cette ligne ?

J. -P. R. : Je n'en suis pas sûr du tout. Si une loi était déposée, elle serait inévitablement déférée au Conseil constitutionnel. Jean-Louis Debré, qui préside les Sages et est un homme influent au sein de la majorité, ne supporterait jamais une telle proposition. D'autres reponsables politiques comme le ministre du Budget, François Baroin, ou le député Claude Goasguen par exemple, ne suivraient pas non plus. Ils seraient solidaires du gouvernement et ne se feraient pas entendre, mais ils ne supporteraient pas un tel texte.

F24 - Le durcissement du discours sécuritaire fait-il partie de la stratégie politique du chef de l'État ?

J. -P. R. - Depuis la fin des élections régionales, Nicolas Sarkozy est à nouveau en campagne pour la présidentielle de 2012. L'équation de son électorat potentiel, qui peut le faire gagner, ce sont les personnes âgées et ce qui reste de la classe ouvrière. Ces populations sont extrêmement sensibles au thème de la sécurité, il reprend donc ses thèmes de prédilection.

Comme en 2002, Nicolas Sarkozy chercher à maintenir sa capacité d'attraction vers une partie du vote traditionnel d'extrême-droite. Il sait que Marine Le Pen, qui possède un talent médiatique certain, sera candidate en 2012, et qu'il doit donc faire attention. Mais en même temps, Nicolas Sarkozy ne paraît pas être dans une stratégie politique construite. Il semble agir en réaction, dans la précipitation, l'énervement. Par conséquent, sa politique devient illisible et brouille fortement ce qui constitue le cœur traditionnel de son système. L'UMP n'est pas le Front national.