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"Le 30 juin en RDC est devenu une triste date"

La date de l’accession à l’indépendance rappelle à Simon Bokongo, médecin congolais et président d’une ONG locale, que la RDC est encore loin de l’État démocratique qu’elle souhaite devenir. Portrait au vitriol d’un pays en mal de soins.

Simon Bokongo fait partie de ces hommes à l’engagement sans faille. Originaire de Kisangani, à l’est du pays, ce médecin est à la tête de Médecins congolais pour la paix (ACP) et membre du Mouvement de libération du Congo (MLC), parti de l’opposition. Il lutte chaque jour pour que son peuple ait un meilleur accès aux soins. Le 30 juin, jour du cinquantième anniversaire de l’indépendance, il ne défilera pas. Il estime que la date de l’accession du pays à sa propre gouvernance sonne faux compte tenu de son évolution désastreuse.

"Pour nous, les défenseurs de la République, les artisans de la paix et de l’équité, pour la population congolaise, le 30 juin est devenu une triste date. Celle d’une indépendance acquise que pour le bien-être et l’enrichissement des seuls dignitaires au pouvoir et au détriment de la population qui croupit dans une misère noire", explique Simon Bokongo .

"Nous sommes incapables de gérer nos catastrophes humanitaires"

Le tableau est noir, sa colère intacte. Depuis des années, Simon Bokongo tire la sonnette d’alarme sur la situation sanitaire catastrophique de son pays qui ne dispose d’aucun programme de santé concret.

"Le gouvernement contribue financièrement à hauteur de 5 à 10 % dans le domaine de la santé, 90 % des fonds viennent des organisations étrangères", déplore-t-il. Les hôpitaux sont vétustes, le personnel mal formé, les quelques institutions de santé équipées et fournies en médicaments sont l’œuvre des partenaires et non du gouvernement. "Nous sommes absolument incapables de gérer nos catastrophes humanitaires pourtant multiples et permanentes, regrette-t-il. Les médicaments de base font défaut, et s’ils existent, ils sont contrefaits et entrent dans le pays sans contrôle rigoureux."

"Les vélos et les motos servent d’ambulance"

Inéluctablement, le sida et le paludisme continuent de mettre à genoux le pays. Et la situation va de mal en pis depuis le début des conflits armés en 1996. Les pays comme l’Ouganda, le Zimbabwe ou le Burundi, des Etats où la séropositivité est très forte, ont pénétré les villes congolaises. "Les militaires ont eu des comportements sexuels à risque, notamment à l’est du pays", note le médecin, et l’aide financière n’a pas eu les effets escomptés. "Les fonds affectés à la lutte contre les épidémies sont détournés localement, seule une partie insignifiante arrive au bénéficiaire."

D’autres maladies assaillent la population, Simon Bokongo les énumère comme une triste litanie : choléra, méningite, rougeole, malaria, tuberculose, trypanosomiase (maladie du sommeil)… L’insalubrité et l’abandon des traitements n’arrangent rien. Et une grande partie des Congolais n’a toujours pas accès aux soins. En cause, les distances. "Le Congo est très vaste, il y a un hôpital général par territoire, et certains territoires ont les dimensions des pays européens, les routes n’existent plus, les vélos et les motos servent d’ambulance."

Un avenir sombre

A cet accablant constat sanitaire se mêle la "détresse démocratique" du pays. "Après 80 ans de colonisation belge, 4 ans de chaos post-indépendance, 32 ans de dictature de Mobutu et 10 ans de guerre civile", Simon Bokongo n’essaie même pas d’enjoliver le tableau. "C’est un Congo pillé, dépeuplé et traumatisé qui est devenu indépendant."

Dans sa diatribe, il n’épargne personne, ni la Belgique qui "n’a jamais pris en compte le bien-être social des Congolais" pendant la période coloniale (1908-1960). Ni la CIA, après l’indépendance, qui "a miné le pays". Ni Mobutu, à son accession au pouvoir en 1965 qui a terminé "d’effacer toute traces de démocratie en assassinant tout opposant au régime". Le président actuel, Joseph Kabila (au pouvoir depuis 2006) ne trouve pas non plus grâce à ses yeux. "Il a été élu démocratiquement, mais l’insécurité règne toujours et aucune de ses promesses de campagne n’a été tenue." Arrestations, enlèvements, assassinats politiques, répressions sont toujours monnaie courante. "Actuellement, la RDC est loin d’être un exemple pour la démocratisation de l’Afrique."

La mort de l’activiste Chebeya, "un crime ignoble"

L’actualité lui donne tristement raison. Le meurtre de Floribert Chebeya, président de l’ONG La voix des sans-voix, figure de la cause des droits de l’Homme, retrouvé mort dans sa voiture le 2 juin dernier, vient un peu plus ternir l’image écornée de son pays.  Pour lui, il ne fait aucun doute que le régime est responsable de ce "crime ignoble qui révolte la conscience des Congolais et de tous les Africains". Par respect pour la mémoire de cet activiste des droits humains, il continuera à se battre "contre une catégorie de personnes qui peut maltraiter et tuer à dessein".

Mais de l’espoir, Simon Bokongo n’en a plus vraiment. "Tout ce que je viens de vous dire a dénaturé totalement la quintessence de la célébration de l’indépendance." Par ironie ou désespoir, ses derniers mots seront ceux du Léopard de Kinshasa, l’ex-président Mobutu : "Avant moi, c’était le chaos, après moi, ce sera le déluge."