
Un pastiche de Lady Gaga par deux soldats en Afghanistan fait un tabac sur la Toile. Un épiphénomène qui souligne l’importance grandissante des plateformes d’échange de vidéos dans la perception des conflits.
Ils sont plus de 5 millions à avoir vu, sur YouTube, la reprise par deux GI’s en Afghanistan de "Telephone", le tube de Lady Gaga. Un chiffre impressionnant pour une vidéo en ligne depuis seulement un mois et qui dénote de l’importance croissante des plateformes d’échange de vidéos dans la couverture des conflits.
Jennifer Terry, professeur à l’université de Berkeley, qualifie ce phénomène de "YouTube war". Depuis le déclenchement de la deuxième guerre en Irak, elle réalise une étude sous forme de webdocumentaire, appelée "Killing Entertainment", sur les vidéos postées par les soldats depuis le front irakien et afghan. Sa conclusion : pour la première fois, ces sites offrent la possibilité de créer une mémoire immédiate et collective des conflits en cours.
Au fil des ans, la mise en ligne de vidéos par les soldats a gagné en puissance. Les autorités militaires, d’abord très vigilantes, ont fini par lâcher du lest face à la popularité croissante des médias sociaux. S’il est impossible de chiffrer le nombre de témoignages postés, sur un portail comme Liveleaks ils se comptent par milliers. Jennifer Terry a ajouté, dans son étude, une liste de sites spécialement dédiés à ce genre de vidéos. Comme elle le souligne, il ne s’agit là que de la vision américaine car il y a également toutes celles mise en ligne par les opposants aux Etats-Unis.
Video ultra-violente
Il n’y a pas qu’un seul genre dans ce travail de témoignages. Tout ne se résume pas à un pastiche de Lady Gaga. Ainsi, le fameux scoop de WikiLeaks sur la bavure américaine en Irak est-il à l’origine une vidéo amateur prise par un soldat à bord d’un hélicoptère de l’armée américaine. Simples messages à ses proches, vidéos engagées, scoops d’actualité ou moments de détente, ce flot "laissera forcément des traces dans l’opinion" estime dans le ""New York Times de lundi un responsable de LiveLeaks.
Elles permettent également, mais plus rarement, de mettre en avant des aspects moins meurtriers de ces situations. Ainsi certaines vidéos soulignent la coopération entre des Marines américains et des Afghans pour reconstruire des ponts ou des écoles.
Mais quel peut être l’impact de toutes cette vidéothèque ? L’acte fondateur de ce type de témoignages remonte à août 2002. Une vidéo ultra-violente réalisée par des militaires américains et baptisée "Die terrorist, die" (meurt terroriste, terroriste) est un appel, sur fond de heavy-metal, à la vengeance pour les morts du 11 septembre 2001. Un extrémisme qui s’est atténué avec le temps laissant place pour certains à une sorte de "journalisme citoyen engagé".
Une analyse que ne partage pas Jennifer Terry. Pour la chercheuse américaine, toutes ces vidéos ont un point commun : elles sont "radicalement décontextualisées". Impossible, souvent, de situer les images dans l’espace et le temps. Difficile donc, d’en tirer une leçon journalistique. Avec l’explosion de l’utilisation de YouTube par les soldats des deux camps, la caméra est plutôt devenue un élément de l’arsenal de guerre. Mais contrairement à un fusil, elle remet constamment l’humain au centre des conflits.