, envoyé spécial à Cannes – La sélection "Un certain regard" suscite au moins autant d’intérêt que la sélection officielle, avec deux productions aux antipodes : celle du vétéran Jean-Luc Godard et celle d’un jeune réalisateur américain, Derek Cianfrance.
Destinée à promouvoir des productions cinématographiques originales en provenance des quatre coins de la planète, la catégorie "Un certain regard" du Festival de Cannes suscite au moins autant d’intérêt que la compétition officielle cette année. Une attention en grande partie liée à la présence du film de Jean-Luc Godard, "Film Socialisme", qui a été projeté lundi. Le long-métrage a attiré les foules… en dépit de l’absence du "maître de la Nouvelle Vague" sur la Croisette.
Mais un autre réalisateur, inconnu celui-là, a monopolisé les faveurs de l’assistance. Le jeune Américain Derek Cianfrance et son "Blue Valentine", devrait rester dans les annales.
Seul un fieffé menteur peut ouvertement affirmer qu’il a compris le dernier Godard. Ce film expérimental au ton saccadé - défini comme une symphonie en trois mouvements - s’ouvre sur un bateau de croisière avant de brutalement emmener l’assistance dans une station-service française, puis de se conclure à différents endroits de l’Europe. Les gens et les animaux y apparaissent subrepticement, se noient dans un flot de langues étrangères tandis que, sur un fond musical étrangement fluctuant, de vagues messages politiques s’invitent sur l’écran ("Palestine : accès interdit", par exemple).
Il s'agit, typiquement, du genre de cinéma qui cherche avant tout à susciter la polémique. Et alors que certaines séquences, isolées, portent en elles ce qu’il faut de fascination, "Film Socialisme" dans son intégralité n’en suit pas le chemin. La rage et la colère de Godard s’y expriment avec évidence, mais le réalisateur s’obstine à rendre son talent inaccessible, comme "flottant au dessus de la masse". Il persiste à rendre son œuvre compréhensible par une minorité de cinéphiles confirmés, tandis qu’un plus large public attend toujours de recevoir ne serait-ce qu’un embryon du talent qu’il possède.
En comparaison, "Blue Valentine", porté aux nues pour sa qualité et non pour ce que son réalisateur véhicule à travers lui, est bouleversant de modestie. Il s’efforce de disséquer - avec passion et clarté - de jeunes marriés en proie à une crise conjugale. En Pennsylvanie, Cindy (Michelle Williams) et Dean (Ryan Gosling), un couple issu de la classe moyenne âgé d'une vingtaine d'années, est confronté à l’éducation d’un enfant et a toutes les peines du monde à maintenir sa relation conjugale à flot. La thématique est vue et revue, mais elle trouve ici un nouveau souffle. Le réalisateur parvient à projeter son spectateur au cœur des soucis de ce petit monde. En résulte un portrait poignant sur la désintégration progressive d’un couple.
"Blue Valentine" s’aventure même sur un terrain rarement exploré : les causes du dysfonctionnement du couple sont disséquées de façon chirurgicale. Le parti-pris du réalisateur, qui jongle entre des scènes de romance naissante et des séquences beaucoup plus tourmentées, était risqué. Le résultat est impressionnant. Derek Cianfrance, caméra au poing, capture avec une authenticité sans précédent la nervosité ambiante d’un huis-clos particulièrement oppressant.
Au final, "Blue Valentine", empreint de sincérité et de sentiments, diffère en tous points de l’impénétrable concept du maître Godard. Devinez lequel des deux touche juste.