logo

"Repousser le scrutin mettrait El-Béchir en danger"

Alors que les quatre principaux partis d’opposition ont décidé de boycotter les élections générales du 11 avril, Roland Marchal, spécialiste de la Corne de l'Afrique, analyse pour france24.com les enjeux du scrutin.

Les principaux partis de l’opposition soudanaise ont annoncé qu’ils se retiraient des élections - législatives, régionales et présidentielle - qui doivent se dérouler le 11 avril. Ce boycott sème le doute sur l'équité du scrutin, qui devait être le premier vote multipartite organisé dans le pays depuis 26 ans. Il suscite également des interrogations quant à la tenue du référendum sur l’indépendance du Sud-Soudan, clé de voute de l’accord de paix entre le Nord et le Sud du pays, prévu en janvier 2011.

Roland Marchal, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (CERI) et spécialiste des conflits armés dans la Corne de l’Afrique, décrypte les enjeux des élections.

Des irrégularités dans le processus menant aux élections du 11 avril ont été constatées il y a plusieurs mois. Comment se fait-il que l’opposition réagisse seulement maintenant, à 10 jours du scrutin ?

Roland Marchal : Les partis d’opposition ont pris conscience tardivement des problèmes qui se posent. Lors des accusations [par l’opposition] de falsification des chiffres pendant le recensement, le SPLM [principal parti d’opposition] a agi de façon troublante, car il a relégué ce point à un débat purement technique, ce qui était loin d’être le cas. D’autre part, il a fallu du temps aux partis pour réaliser que l’enjeu principal, pour la communauté internationale, n’est pas l’instauration d’un régime démocratique à travers des élections équitables, mais le référendum sur l’indépendance du Sud-Soudan, prévu en janvier 2011. Cependant, entamer une démocratisation du régime est essentiel à une pacification du pays.

Les élections peuvent-elles être repoussées comme l’exigent les partis d’opposition et comme l’ont suggéré les observateurs internationaux présents au Soudan ?

R.M. : Oui, je pense que ces élections pourraient être repoussées. L’opposition, pour revenir dans la course électorale, exige leur report en novembre. À mon avis, les retarder d’un mois suffirait à organiser un scrutin dans de meilleures conditions. Mais le NCP, le parti au pouvoir, s’y oppose car actuellement le président sortant El-Béchir pourrait être réélu avec un très bon score : l’opposition a mené une campagne catastrophique.

Pour le NCP, retarder le scrutin, ce serait mettre son leader en danger. Il prendrait alors le risque de voir les partis d’opposition s’organiser efficacement, mener une campagne digne de ce nom, et même, pourquoi pas, s’unifier. Plus vite le scrutin se tiendra, moins El-Béchir aura besoin de frauder, ou en tout cas de façon moins visible.

Remporter les élections de façon plus ou moins démocratique serait pour lui la validation de la politique qu’il mène depuis 2000 : celle d’un régime qui a renoué avec les Etats-Unis et le monde occidental, qui a signé un accord de paix avec le Sud mais qui mène aussi une guerre avec le Darfour, à l’origine des poursuites de la Cour pénale internationale à son encontre.

Une victoire d’Omar el-Béchir à la présidentielle est très probable. Quelles sont les conséquences de ces élections sur le référendum de janvier 2011 qui posera la question de l'indépendance du Sud ?

R.M. : À mon sens, la tenue du référendum est acquise. El-Béchir est désireux de garder un bon rapport avec les Occidentaux, et particulièrement les Etats-Unis. Il ne prendrait pas le risque de provoquer la colère des Américains en annulant le référendum de janvier. Pour les Etats-Unis, le conflit entre le Nord et le Sud du Soudan est un véritable conflit géostratégique. C’est aussi la préoccupation principale de leur politique africaine. L’indépendance du Sud-Soudan signifie, pour Washington, une défaite de l’islamisme et implique la création, aux portes de Khartoum, d’un Etat allié aux Occidentaux et aux Israéliens.

La grande inconnue réside dans ce qu’il se passera après la tenue du référendum. Quel type d’Etat sera mis en place en cas d’indépendance ? Comment le Nord et le Sud vivront côte à côte ? L’indépendance du Sud-Soudan modifiera profondément la structure de toute la région.