Les raffineries françaises sont-elles encore rentables ? La grève des salariés de Total peut-elle provoquer une pénurie de l'essence dans l'Hexagone ? Décryptage.
Les salariés des six raffineries et de sept des 31 dépôts du groupe pétrolier français Total sont en grève illimitée depuis le 19 février. Ils protestent contre la probable fermeture de la raffinerie de Dunkerque, à l’arrêt depuis le mois de septembre. Mardi, les salariés de deux sites de l’américain ExxonMobil se sont joints au mouvement pour "dénoncer le démantèlement du raffinage en France".
Dans quelle situation se trouvent les raffineries en France ?
Le secteur de la raffinerie en France traverse une période critique. Une étude de l’Institut français du pétrole, rédigée en novembre 2009 et récemment publiée, révèle qu’"en 2008, la crise économique mondiale a lourdement pesé sur l’activité de raffinage des sociétés pétrolières". Selon Jean-Louis Schilansky, président de l’Union française des industries pétrolières (Ufip), les 12 raffineries françaises - toutes compagnies confondues - perdent ainsi "150 millions d'euros par mois" depuis mars 2009.
En 1975, 24 raffineries étaient en activité en France. Elles sont aujourd’hui deux fois moins nombreuses. Six d’entre elles appartiennent à Total. Selon l’Institut français du pétrole, les marges du raffinage ont baissé de deux tiers en Europe entre 2008 et 2009.
Pour cette raison, les entreprises pétrolières tendent à délocaliser leurs raffineries, polluantes et coûteuses en main d’œuvre, dans les pays où elles exploitent des gisements pétroliers. Elles y bénéficient d’une fiscalité avantageuse, de normes environnementales et sécuritaires moins rigoureuses, de salaires moindres, de protections sociales moins contraignantes… Et cela leur permet d’échapper à un éventuel surcoût que représenterait la future taxe carbone française.
Pour quelles raisons les raffineries ne sont-elles plus rentables ?
L’augmentation des prix du brut sur le marché a contribué à réduire les marges des entreprises pétrolières. Mais les raisons profondes des pertes colossales enregistrées dans les raffineries françaises sont à chercher dans la nature même de la consommation de produits pétroliers.
En France, et dans une moindre mesure sur l’ensemble de l’Europe, la consommation de gazole est nettement supérieure à celle de l’essence. Or il est impossible de fabriquer du diesel sans fabriquer d’essence : les deux produits s’obtiennent en même temps, lors d’une même manipulation du pétrole brut.
Selon les chiffres de l’Ufip, la France exporte plus du quart de l’essence qu’elle produit, et importe 39 % du gazole consommé sur le territoire. Ce déséquilibre rend l’activité de raffinage très peu rentable pour les entreprises pétrolières.
D’autant plus que la crise économique et le développement des énergies vertes ont fait considérablement baisser la demande, en particulier aux Etats-Unis, principaux destinataires de l’essence européenne. Les entreprises pétrolières se retrouvent ainsi avec un énorme stock de sans plomb sur les bras, relativement difficile à écouler.
Quant aux pays émergents, qui consomment toujours autant de carburant et pourraient racheter l’essence sortant des raffineries françaises, ils préfèrent désormais transformer le pétrole brut sur leur territoire.
Les autres raffineries d’Europe sont-elles confrontées aux mêmes problèmes ?
"Les pays riches d’Europe ne sont pas compétitifs, c’est évident, affirme Simone Wapler, rédactrice en chef du magazine "Money Week". Partout sur le Vieux Continent, la tendance est de fermer les raffineries. Le pétrole est de plus en plus transformé dans des pays à bas coût de main d’œuvre."
Début février, Jean-Louis Schilansky estimait que les capacités de production en Europe étaient bien plus grandes que les besoins du marché. "Ce n'est pas la fermeture d'une raffinerie en Europe qui suffira à rétablir la situation", a-t-il assuré. Il faudrait supprimer "7 à 8 millions de barils par jour, soit 10 % à 15 % des capacités installées en Europe". Autrement dit, sur les 114 raffineries européennes, "une quinzaine" devrait être fermée afin de rétablir l'équilibre entre l'offre et la demande.
L’Union pétrolière italienne vient d’ailleurs d’annoncer que quatre à cinq raffineries pourraient fermer en Italie. Quatre sites, en Allemagne et au Royaume-Uni, sont également menacés.
Risque-t-on la pénurie de carburant dans les stations-service françaises ?
En pleine période de vacances scolaires, la grève illimitée décrétée dans les six raffineries Total du territoire, assurant la moitié de l'approvisionnement des 12 000 stations-service françaises, fait planer le spectre de la panne sèche. Les automobilistes se sont rués ce week-end dans les stations essence. Lundi soir, au sixième jour du mouvement, 132 stations-service - sur les 2 600 que compte le territoire - du groupe étaient à court de carburant.
Le gouvernement et les experts estiment que le risque de pénurie est faible : la France dispose de stocks "stratégiques" et l’approvisionnement des pompes à essence est possible depuis l’étranger.
Il reste "entre 7 et 10 jours" de stocks disponibles, a déclaré lundi le président de l’Ufip. Certaines régions sont cependant plus vulnérables que d’autres : Total est le seul raffineur présent dans l'Ouest de la France et dans la région lyonnaise.