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Diaa al-Din Samout, le photographe syrien qui a saisi l'horreur du gaz jaune dans la Ghouta
Le 21 août 2013, la Ghouta orientale devient le théâtre d'une des attaques chimiques les plus meurtrières de l’histoire récente. Diaa al-Din Samout, photographe syrien, capture l’indicible pour le monde, symbolisant le courage et la résilience face à l’horreur. Aujourd’hui en exil en France, il continue de se battre pour la justice des victimes avec son objectif.
Diaa al-din Samout, photographe syrien qui a documenté l'attaque chimique de la Ghouta orientale, en Syrie, le 21 août 2013. © Amer Almohibany

Le jaune. Habituellement couleur de chaleur et de lumière, il incarne pourtant une tout autre réalité pour Diaa al-Din Samout et les habitants de la Ghouta orientale, en Syrie. Associé à l'odeur suffocante du gaz sarin, il marque pour eux la nuit où le ciel s'est teinté d'horreur. Témoin de l’attaque chimique du 21 août 2013, le photographe a choisi ce jaune comme mémoire de la tragédie, capturant des images qui témoignent de la violence, et rappellent que la justice est encore attendue.

Diaa al-Din Samout a toujours aimé la photographie. Né dans la Ghouta orientale, une région de vergers et de petits quartiers à l’est de Damas, il a grandi avec une curiosité pour la beauté simple et tranquille de son environnement. Avec un téléphone portable en guise de premier appareil, il immortalise la vie quotidienne autour de lui : des enfants jouant dans les ruelles, les rires des voisins partageant des moments de vie, les minarets se dressant à l’horizon.

"Je voulais un vrai appareil photo", se souvient Diaa al-Din Samout. Mais en 2011, quand la révolution syrienne éclate, son appareil prend une nouvelle signification. Alors que les manifestations pacifiques se heurtent à la répression du régime de Bachar al-Assad, Diaa al-Din Samout décide de témoigner à sa manière. La photographie devient son langage, une façon de documenter l'injustice. "J'ai senti que j'avais le pouvoir de porter ma cause à cet endroit," explique-t-il. Ce qui n'était pour lui qu'une passion se transforme en mission.

Le jour où le ciel devint jaune

Le 21 août 2013, le soleil n’est pas encore levé lorsque Diaa al-Din Samout entend les premières informations : des missiles contenant un gaz toxique ont été tirés sur plusieurs villes de la Ghouta. Les mots "gaz toxiques" résonnent, étrangers et terrifiants. Depuis deux ans, la population s’est habituée aux frappes d’artillerie et aux bombes, mais ce qui vient de se produire est sans précédent.

À 2 h 40, les premiers blessés affluent dans les hôpitaux. Diaa al-Din Samout s'y rend rapidement, appareil photo à la main. Il y découvre une scène apocalyptique : des corps sans vie, des civils paniqués et des médecins impuissants face à cette nouvelle arme meurtrière.

"C’était plus qu’une nuit, c’était la fin du monde", raconte-t-il.

Tandis que l’hôpital est submergé de victimes, une scène le marque à jamais : des familles entières décimées, et la terreur de cette mort "sans effusion de sang". "Je tenais mon appareil dans une main et un oignon dans l’autre, raconte le photographe. La scène était terrifiante : des enfants, des femmes et des hommes agonisant autour de moi."

Ces photos, prises dans l’urgence et la douleur, figent pour toujours les derniers instants de centaines de vies, capturant l'horreur invisible mais bien présente de ce gaz meurtrier.

Les mosquées, les martyrs et le poids de l’image

Après plusieurs heures passées à l’hôpital, Diaa al-Din Samout suit les corps sans vie jusqu’à la mosquée de Zamalka, désormais transformée en morgue. Le sol est couvert de corps alignés, enveloppés dans des linceuls blancs. Les familles viennent reconnaître leurs proches, dire adieu. Les larmes, les cris et la détresse des survivants imprègnent chaque coin de la mosquée. C’est ici que Diaa al-Din Samout immortalise une scène qui hante encore son esprit : un père et une mère en larmes, devant le corps de leur fils.

Pour lui, chaque photo est plus qu’une simple image : c’est une histoire, une mémoire, une preuve que l'horreur s’est abattue sur les siens.

"Ce n'est pas qu'une image, dit-il. Cette photo incarne et raconte l'histoire de plus de 500 familles de la Ghouta qui se sont réveillées ce matin-là pour découvrir que leurs enfants étaient partis."

Sa photographie, prise dans le recueillement et le chagrin, deviendra une icône du massacre, un cri silencieux pour ceux que le monde refuse d'entendre.

Diaa al-Din Samout, le photographe syrien qui a saisi l'horreur du gaz jaune dans la Ghouta
Un père et une mère en larmes, devant le corps de leur fils, dans la mosquée de Zamalka, en Syrie, le 21 août 2013. © Dia Samut

Des images qui traversent les frontières

Dans la nuit, après une journée passée à capturer l’indicible, Diaa al-Din Samout retourne au bureau des médias pour transmettre ses photos au monde. En parcourant les réseaux sociaux, il découvre que certaines de ses images sont déjà partagées par des militants en dehors de la Syrie. Elles sont reprises par des journaux et des sites internationaux, relayées lors de manifestations aux quatre coins du monde. Elles deviennent rapidement des symboles de l’horreur chimique en Syrie, un message visuel qui transcende les barrières de langue et de culture.

Voir ses images diffusées à l’échelle mondiale suscite chez lui un mélange d’émotions contradictoires : l’espoir de voir enfin la vérité exposée et la peur que cette vérité ne soit jamais entendue.

"Le monde entier a vu ce qui s'était passé, explique-t-il. Mais ce que je craignais, c’était que les responsables de ce massacre restent impunis."

Un engagement sans fin

Après des années à documenter les atrocités de la guerre syrienne, Diaa al-Din Samout quitte son pays et arrive en France en 2022. En février 2024, il témoigne sur les attaques chimiques et partage son expérience en présentant ses photos et vidéos. Quelques mois plus tard, en juin, la justice française émet un mandat d'arrêt contre le chef du régime syrien, Bachar al-Assad, pour complicité de crimes contre l'humanité. Ce moment, bien qu'historique et porteur d'espoir pour le photographe, reste pour lui une victoire symbolique.

"Tant que le régime syrien et ses alliés resteront impunis, ma mission ne sera pas accomplie", affirme-t-il.

Ce combat, il le mène pour la Ghouta orientale, pour la Syrie. À ses côtés, le drapeau de la révolution syrienne rappelle la lutte qu’il mène pour que la vérité éclate. "Pour moi, la justice n’est pas une option, c’est une mission."