
Image d'illustration montrant une personne munie d'un casque de réalité virtuelle. © Getty Images - Nongnuch Pitakkorn
Plongé dans un casque de réalité virtuelle conçu pour les jeux vidéo, le cerveau humain déclenche une réponse immunitaire… à la simple vue d’un avatar malade.
C'est ce qu'ont démontré des chercheurs de Lausanne et Genève, lors d’une expérience publiée je 28 juillet dans Nature Neuroscience - 248 volontaires ont enfilé des casques Oculus Rift pour observer des avatars s'approchant.
Certains présentaient des signes de maladie - toux, éruptions - d'autres paraissaient sains. Les scientifiques ont mesuré l'activité cérébrale et prélevé du sang.
Résultat : la simple approche d’un avatar présentant des symptômes (toux, éruptions) a activé dans le cerveau les zones liées à la perception des menaces et à l’espace personnel, provoquant dans la foulée une hausse mesurable des cellules immunitaires de première ligne.
"Nous pensions que si quelque chose se produisait, ce serait quelque chose de très léger", confie à Euronews Health Camilla Jandus, immunologiste à l'Université de Genève. (Mais) "voir des changements cellulaires en quelques heures, nous ne nous y attendions vraiment pas".
“Nos cellules se parlent”
Ce lien entre cerveau et immunité est "très intéressant", commente Sophie Ugolini, directrice de recherche Inserm au Centre d'Immunologie de Marseille-Luminy.
"De plus en plus d'études montrent des interactions entre le système nerveux et le système immunitaire. Nos cellules se parlent et répondent à une infection ensemble, elles se coordonnent face à elle."
Dans cette collaboration, le rôle du cerveau pourrait être comparé à "une sirène d'alarme" face à une suspicion d'incendie, vulgarise Albert Moukheiber, docteur en neurosciences. Ce mécanisme permet à l'organisme de se tenir prêt, de "gagner du temps" si la menace s'avérait réelle.
Une conséquence logique de l'évolution. Depuis les savanes de nos origines, le cerveau de Sapiens a évolué comme une machine à anticiper le danger. Voilà pourquoi nous baissons instinctivement la tête lorsqu’un coup semble partir, même s’il ne part pas, note Albert Moukheiber.
Pourra-t-on se vacciner “par l’esprit ?”
Un aspect a particulièrement intéressé l'auteur de "Votre cerveau vous joue des tours" (Allary éditions) paru en 2019 : selon Nature, l'activité immunitaire des personnes approchées par des avatars infectieux dans le monde virtuel "reflétait" celle des participants ayant reçu un vaccin contre la grippe dans la vraie vie.
"Nos technologies - comme celles utilisées dans cette expérience - toujours plus poussées, nous permettent de mieux identifier ces mécanismes", souligne Albert Moukheiber.
De quoi imaginer une vaccination par l'esprit ? Une immunité acquise via des jeux vidéo ?
“Pas tout à fait", dit en souriant Sophie Ugolini : certes, "des modifications immunitaires déclenchées à la vue d'avatars "infectés" sont observées, mais ces modifications sont assez limitées dans leur intensité, et ne concernent qu'un type de cellules immunitaires.
Cette étude très intéressante ouvre la porte à de nouvelles recherches, qui pourraient tester "si la méthode virtuelle pourrait agir afin d'améliorer la réponse à un vrai vaccin", poursuit l'immunologiste.
Cette hypothèse rejoint celle de chercheurs cités par Scientific American : "la réalité virtuelle pourrait augmenter l'activation des cellules immunitaires ciblées par les vaccins et stimuler leur efficacité".
"Si vous avez la grippe et prenez du paracétamol, vous pourriez utiliser la réalité virtuelle pour amplifier l'effet", ajoute Andrea Serino, co-auteur de l'étude, cité dans le Smithsonian Magazine.
Voir la vie en rose
Au-delà des potentialités, l’engouement autour de cette expérience s’explique par sa dimension “jeux vidéo”, estime Albert Moukheiber.
"Constater que notre corps déclenche une réponse immunitaire alors que nous sommes dans un environnement virtuel nous donne des frissons. L'étude parle de nous, et nous sommes intéressés par notre fonctionnement."
En 2024, plus de 42 % des articles de la revue scientifique Nature Communications concernent le cerveau, un record historique. En France, 41 % des thèses en sciences de la vie portent désormais sur le cerveau, contre 29 % en 2015."
Lié aux préoccupations autour de la santé mentale, cet engouement se nourrit aussi d’un domaine émergent : la psychoneuroimmunologie, qui étudie les liens entre esprit et corps.
Faut-il voir la vie en rose pour être en bonne santé ? “Il est démontré que le stress chronique peut avoir des effets délétères sur le système cardiovasculaire, immunitaire et métabolique", explique Sophie Ugolini.
"Lutter contre ce stress en recherchant un bien-être psychique pourrait donc avoir un impact positif sur notre immunité, et notre santé globale."