
Walid Regragui, entraîneur des Lions de l'Atlas, avec les défenseurs marocains Romain Saiss et Nayef Aguerd lors de la CAN 2024 au stade Laurent Pokou de San Pedro, le 30 janvier 2024. © Sia Kambou, AFP archives
Après que le Maroc est parvenu à se hisser dans le dernier carré au Mondial 2022, le sélectionneur des Lions de l'Atlas a expliqué cette performance inédite pour une équipe africaine par ces mots : "Le succès des entraîneurs locaux est la preuve que le football africain a mûri. Nous avons les connaissances, l’expérience et la capacité pour mener nos équipes vers la victoire”, a déclaré Walid Regragui.
Si l'on examine la scène continentale, un constat s’impose sur ces dernières éditions de la CAN : les équipes qui ont soulevé le trophée étaient à chaque fois entraînées par des sélectionneurs locaux : Djamel Belmadi avec l’Algérie en 2019, Aliou Cissé avec le Sénégal en 2022 et Emerse Faé avec la Côte d'Ivoire en 2024. Une génération d’entraîneurs africains semble enfin s’être imposée sur les bancs de touche des sélections du continent.
Serait-ce le début d'une nouvelle ère pour le football africain ? “Difficile de répondre de manière affirmative à cette question”, nuance Nabil Djellit, journaliste à*du quotidien L'Équipe. Celui qui est aussi l’auteur du blog Maghreb FC consacré au football africain rappelle que des sélectionneurs africains ont déjà brillé dans l’histoire de la CAN : "Quand l’Égypte survole le continent africain avec un triplé en 2006, 2008 et 2010, le sélectionneur (Hassan Shehata) est égyptien. Quand le Nigeria remporte la Coupe d’Afrique en 2013, l'entraîneur (Stephen Keshi, décédé depuis, NDLR) est nigérian.”
Par ailleurs, des sélectionneurs étrangers ont aussi réussi à remporter des CAN avec leurs sélections, à l’instar d’Hervé Renard qui a réalisé un doublé avec la Zambie en 2012 et avec la Côte d’Ivoire en 2015, ou encore Claude Le Roy, légende du football africain qui a remporté la CAN avec le Cameroun en 1988.
“On oppose toujours un peu locaux et étrangers pour les pays africains. En France aussi, on a souvent ce débat sur les entraîneurs. Mais le meilleur passeport reste celui de la compétence”, tranche Nabil Djellit.
"Des gars qui ont eu un vécu avec les sélections"
Sur le terrain de la compétence, force est de constater que les sélectionneurs africains bénéficient plus de la reconnaissance de leurs instances qu'auparavant. Une majorité de nations (14 sur les 24 engagées) vont être coachées par des entraîneurs africains lors de la CAN 2025, alors qu'à titre d'exemple seulement, quatre occupaient les bancs de touche au Gabon, en 2017, sur les 16 équipes engagées.
Cette évolution s’était déjà constatée lors de la précédente édition en Côte d’Ivoire, inspirant cette réflexion de Joseph-Antoine Bell, légendaire gardien des Lions indomptables, auprès du journal Le Monde en 2024 : "Aujourd’hui, sur un plan philosophique, il y a des dirigeants qui n'ont pas connu l’époque des indépendances [dans les années 1960] et qui sont moins complexés (...). Ces dernières décennies, quand un local échouait à la tête d'une sélection, on avait l'impression que c'était tous les Africains qui échouaient. (...) De nos jours, si l'un d’eux connaît un revers, il ne condamne plus tous ses frères."
Les fédérations africaines changent peu à peu de mentalité concernant les entraîneurs locaux, comme l’explique le président de la Fédération camerounaise de football Samuel Eto’o : "Ils comprennent les joueurs et leur mentalité. Un entraîneur africain sait ce que signifie porter le maillot et se battre pour son drapeau. Cela n’a pas de prix."
Pour Nabil Djellit, "il y a un niveau de compétence qui a augmenté et un marché qui s'est ouvert avec les anciens internationaux africains qui ont épousé la carrière d’entraîneur”. Et le journaliste de L'Équipe poursuit : "Maintenant, on fait davantage confiance à des gars qui ont eu un vécu avec les sélections et qui se sont formés, qui ont joué en Europe."
Ces nouveaux profils, tout en ayant une connaissance profonde du pays qu’ils entraînent, ont aussi un bagage footballistique synonyme de crédibilité aux yeux de leurs joueurs. Djamel Belmadi a eu une carrière notable de footballeur en France et en Angleterre, l’ancien sélectionneur du Sénégal, Aliou Cissé, était le capitaine des Lions de la Teranga au Mondial 2022, et Emerse Faé a notamment joué en Ligue 1 et en Premier League.
"La troisième voie" pour entraîner de plus en plus de binationaux
À cela s’ajoute le fait que cette nouvelle génération d’entraîneurs se montre plus entreprenante qu'auparavant quand on lui donne sa chance sur le banc d’une sélection africaine. "Ces coachs ont plus de crédit et n’ont plus de complexes. Ils ont faim, ils ont envie que leur pays leur fasse confiance et qu’on les considère de la même manière que des entraîneurs étrangers”, explique Nabil Djellit.
Walid Regragui correspond parfaitement à ce profil. Avant de devenir le sélectionneur du Maroc à l'été 2022, l'ancien footballeur professionnel a fait ses armes au Royaume en coachant le FUS Rabat, ainsi que le WAC Casablanca – où il a remporté la Ligue des champions africaine. Il a aussi fait un bref passage à l’étranger à Al-Duhail, au Qatar. Au total, il a remporté cinq titres en moins de 10 ans en tant qu'entraîneur.

"On voit dans son parcours qu'il est allé au charbon, qu’il a eu un vécu d’entraîneur au Maroc et à l’étranger", reprend le journaliste de L'Équipe. "Il a le CV parfait : il connaît les binationaux, il les a fréquentés dans le vestiaire. En plus, c'est probablement un très bon meneur d'hommes avec une forte personnalité."
Pour Nabil Djellit, Walid Regragui – tout comme Djamel Belmadi, Aliou Cissé ou Emerse Faé – incarne ce qu'il nomme "la troisième voie" entre les entraîneurs locaux et étrangers : "Ces coachs sont sur les deux rives, ils ont le vécu du football européen et connaissent parfaitement les sélections nationales en même temps. Ils ont porté le maillot de leur pays et sont ancrés dans la réalité du football contemporain et de ses codes.”

Un profil d’entraîneur qui répond finalement à l’évolution du football africain, dont les sélections sont de plus en plus composées de joueurs binationaux. Lors de la dernière CAN en Côte d’Ivoire, 200 des 630 joueurs sélectionnés n’étaient pas nés sur le continent africain. De même, 14 des 26 joueurs composant l’effectif des Lions de l'Atlas au Mondial 2022 avaient vu le jour en dehors du Maroc.
“Il y a une forme d'intelligence chez les fédérations qui ont compris que (ces nouveaux) coachs ont un logiciel pour comprendre les structures d'effectif des sélections africaines composées aujourd’hui de beaucoup de binationaux”, conclut le journaliste de L'Équipe. "Les compétences étrangères, quant à elles, sont peut-être plutôt utilisées maintenant au niveau de la structuration de la formation. Il y a des académies où l'on voit des entraîneurs étrangers présents. C'est dans ce champ là où le football africain a finalement encore besoin d'apports extérieurs.”
