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Les débats sur le budget démarrent à l’Assemblée "dans un contexte totalement inédit"
Après un tour de chauffe en commission des finances, les débats sur le budget 2026 de la France démarrent vendredi à l’Assemblée nationale. Pas de recours au 49.3, les parlementaires de retour au centre de l’échiquier politique : la séquence s’ouvre “dans un contexte totalement inédit”. Interview.
Le Premier ministre Sébastien Lecornu lors des questions au gouvernement à l'Assemblée nationale à Paris, le 22 octobre 2025. © Stefano Lorusso, Zuma Press Wire via Reuters Connect

Après que le Premier ministre Sébastien Lecornu a échappé aux deux motions de censure de LFI et du RN, le 16 octobre, la machine parlementaire a été enclenchée pour doter la France d’un budget pour l’année 2026. Les députés ont d’abord commencé à débattre cette semaine du projet de loi de finances (PLF) en commission des finances. Une sorte de répétition générale avant le début des discussions dans l’hémicycle à partir du vendredi 24 octobre.

Pour montrer sa bonne volonté, l’exécutif a pris l’engagement depuis plusieurs semaines de ne pas recourir au 49.3 à l’Assemblée nationale, alors que la Constitution lui en permet un usage illimité durant les débats budgétaires. Les oppositions semblent, quant à elles, prêtes à jouer le jeu de la discussion pour tenter d’amender au maximum la feuille de route du gouvernement.

Une configuration inédite à plusieurs titre dans un contexte tout autant “totalement inédit”, comme l’explique à France 24 Bruno Cautrès, politologue et chercheur au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof).

France 24 : En quoi les débats budgétaires qui vont avoir lieu à l’Assemblée sont-ils inédits dans l'histoire de la Ve République ?

Bruno Cautrès : Ces débats vont d’abord avoir lieu dans un contexte lui-même totalement inédit. La situation politique actuelle n’a jamais eu d’équivalent dans l’histoire de la Ve République, et l’autre élément exceptionnel c'est la situation budgétaire du pays : le niveau d'endettement public, ainsi que les attentes des institutions financières internationales et des marchés financiers vis-à-vis de la France.

Par ailleurs, on n'a jamais vu sous la Ve République un gouvernement en négociation avec les oppositions avant même d’avoir remis sa copie et d’avoir commencé le débat. Normalement, l’exécutif négocie avec lui-même et avec le président de la République puis engage la discussion parlementaire. Aussi, c’est la première fois que le Premier ministre indique par avance qu'il ne se servira pas d'un outil constitutionnel (l’article 49.3 de la Constitution, NDLR) pourtant essentiel à la discussion parlementaire.

Un autre élément inédit, enfin, c’est l'exécutif qui tente de se mettre dans une posture d'humilité en disant ‘Moi, j'ai posé une copie sur la table, c'est à vous, les parlementaires, de faire vivre ce document, de le discuter, de l'amender, de l'améliorer, etc…’. C’est une sorte de scénario presque à rebrousse-poil de ce à quoi on était habitué sous la Ve République.

Tous ces éléments font que le débat parlementaire s'engage sur des bases à la fois originales, intéressantes, mais sans doute difficiles.

Qu'est-ce que l'absence du 49.3 va changer concrètement dans ces débats ?

S'il n'y a pas l'épée de Damoclès du 49.3 au-dessus des députés, cela va et peut mettre mécaniquement les parlementaires en situation de plus grande responsabilité. On constate d'ailleurs qu'on n'a pas eu des milliers et des milliers d'amendements déposés en commission (1 839, soit à peu près le même nombre que l’année dernière, NDLR), et je me demande si ça n'a pas cet effet.

Les parlementaires savent qu'il y a de grandes attentes autour d’eux, et ils veulent sans doute saisir l'opportunité pour avoir un débat plus constructif, moins polarisé même s’il y aura sûrement des moments d'opposition très importants. Ils sont conscients que le pays est à cran et ils n'auront aucune marge de manœuvre s’il renvoient l’image d’un hémicycle qui se chamaille.

Cette situation exceptionnelle peut avoir, au final, un effet de levier sur le comportement parlementaire et l'apprentissage progressif d'un meilleur dialogue entre les oppositions et le gouvernement.

Peut-on parler d’un retour de l’Assemblée nationale au centre de l'échiquier politique français, ou cette séquence n’est-elle vouée qu'à être éphémère ?

Pour le moment, cela me semble être un peu temporaire, parce que nul ne peut prédire ce qu’il va se passer en 2027, où on aura peut-être un retour au phénomène majoritaire. Quoi qu’il en soit à la prochaine présidentielle, on peut faire le pari raisonnable qu'il y aura un legs de cette période.

Si, par exemple, on arrive à adopter un budget par une sorte de compromis, à l'issue de toutes les discussions entre le gouvernement et une partie des oppositions, cela laissera quand même une trace dans la mémoire parlementaire. On se souviendra finalement qu’à un moment donné, on est arrivé à faire passer un budget en parlementarisant la Ve République.

Malgré cette situation inédite, n’existe-t-il pas finalement d’autres freins qui pourraient entraver les débats des prochaines semaines ?

En dehors du 49.3, le gouvernement a d'autres outils constitutionnels à sa disposition, comme le vote bloqué (une procédure très rarement utilisée pour accélérer les débats en n'organisant qu'un seul vote sur le texte et les amendements que l'exécutif choisit de conserver, NDLR).

Un autre outil peut entraver le travail parlementaire : les ordonnances, pour faire adopter un budget sur la base de celui de l’an dernier. Il n’est pas impossible que le gouvernement les dégainent si, à l’approche de la fin du mois de décembre (dernier délai pour voter le budget, NDLR), il s’aperçoit que les députés ne convergent pas vers un accord.

Mais j'ai le sentiment que ce n’est pas l'état d'esprit général actuel dans ce moment de vie politique. Il y aura aussi d'autres motions de censure, sans doute à l'initiative de La France insoumise et du Rassemblement national. Pour le moment, il n'y a pas le quorum pour faire tomber le gouvernement tant que l’exécutif maintient sa ligne : prouver au Parti socialiste qu'il est bien dans ses intentions de mettre sur pause la réforme des retraites.