
Le Premier ministre suédois Ulf Kristersson, à droite, et le président ukrainien Volodymyr Zelensky tiennent une conférence de presse conjointe à l'issue de leur visite chez Saab, à Linköping, en Suède, le 22 octobre 2025. © Fredrik Sandberg, AP
La Suède est décidée à jouer les premiers rôles dans le soutien à l'Ukraine. Stockholm et Kiev ont signé mercredi 22 octobre une lettre d'intention portant sur la vente de 100 à 150 Gripen de dernière génération, des avions de chasse moins coûteux que des F-35 américains ou des Rafale français et réputés pour leur polyvalence et leur agilité.
Cette commande qui prendra plusieurs années avant de se concrétiser marque une nouvelle étape dans le soutien à Kiev de la Suède, qui a rejoint l'Otan en mars 2024 après deux siècles de non-alignement militaire. En septembre, le pays scandinave a notamment validé plus de sept milliards d'euros d'aide militaire à l'Ukraine avec entre autres la livraison de systèmes d'artillerie Archer ainsi que des drones à longue portée.
Mais ce soutien matériel conséquent vient aussi avec une aide plus difficile à quantifier en matière de prospective stratégique avec un projet innovant baptisé Glimt.
Intelligence collective
Lancé par l’Agence suédoise de recherche pour la défense (FOI) en début d’année, Glimt est une plateforme de paris prédictifs accessible aux internautes du monde entier et se basant sur la méthode du "crowd forecasting" ou "prévision des foules". Objet de nombreuses recherches, cette méthode consiste à obtenir des prévisions aussi précises que possible en s'appuyant sur un large groupe de personnes aux profils diversifiés.
Entre 2011 et 2015, l’agence d’innovation américaine pour la défense (IARPA) avait réuni 10 000 pronostiqueurs au sein du projet gouvernemental ACE. Ce dernier avait permis de récolter des millions de prévisions sur des évènements géopolitiques.
"Nous avons utilisé cette méthode et ces recherches, et nous avons suggéré aux Ukrainiens que c'était un moyen d'améliorer leur compréhension du monde et son évolution", explique Ivar Ekman, analyste à l'Agence suédoise de recherche pour la défense et directeur du programme Glimt.
"Si vous avez un groupe important de personnes, vous pouvez obtenir une grande précision dans l'évaluation des évènements futurs. Des recherches ont montré que cette capacité n'est pas nécessairement mieux développée chez les analystes professionnels que chez d'autres personnes", poursuit l'expert.
La prévision de groupe permet en effet de collecter plus d’informations en évitant les biais cognitifs propres aux services de renseignement. Chaque pronostiqueur collecte et analyse différemment les informations à sa disposition pour dégager le scénario le plus probable. Il peut ajouter un court commentaire pour éclairer son raisonnement. La plateforme encourage également les discussions entre les membres pour confronter les arguments et éventuellement faire évoluer leurs positionnements.
Disponible en suédois, français et anglais, la plateforme revendique actuellement 20 000 personnes inscrites. Chaque question posée mobilise environ 500 prévisionnistes en moyenne. Les résultats obtenus sont ensuite confiés à des algorithmes statistiques qui vont croiser plusieurs données, en particulier la pertinence des réponses fournies aux questions précédentes. Les utilisateurs les plus fiables auront une plus grande influence sur les résultats, une manière de renforcer la fiabilité de cette intelligence collective.
Zelensky va-t-il rencontrer Poutine ?
Toutes les questions posées sur Glimt intéressent directement l'avenir de Kiev. Et pour cause, elles sont rédigées par les services de renseignement ukrainiens : Volodymyr Zelensky va-t-il rencontrer Vladimir Poutine en 2025 ? Une chance sur dix, estiment les prévisionnistes. Des missiles Tomahawk seront-ils livrés à l'Ukraine avant le 1er février 2026 ? La probabilité que ce scénario advienne n'est que de 25 %, d'après Glimt.
D’autres questions portent sur les conséquences économiques du conflit, le contrôle russe de la région de Donetsk à l'été prochain ou encore l'issue des élections législatives de 2026 en Hongrie, pays dirigé par Viktor Orban, le plus proche allié de Vladimir Poutine au sein de l'Union européenne.
"Les questions portent généralement sur une période allant de quelques semaines à une année. Ces données sont donc conçues pour être utiles au quotidien pour l'Ukraine", vante Ivar Ekman. "Après, nous ignorons comment les Ukrainiens prennent leurs décisions. C'est évidemment un aspect sensible de leur travail gouvernemental."
Dans un contexte géopolitique complexe, Glimt traduit l'engouement renouvelé, depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, pour les outils de prospective stratégique, comme les jeux de guerre ou encore les mises en situation à travers des scénarios probables.
"En fournissant des informations sur les tendances globales, Glimt aide l’Ukraine à adapter et à renforcer ses stratégies de défense, améliorant ses chances de succès contre l’agression russe", avait expliqué le ministre suédois de la Défense, Pal Jonson, au moment du lancement du projet.
Si Glimt ne prétend pas être une boule de cristal, il constitue un nouvel instrument dans la boîte à outils de l’Ukraine, plongée dans l’incertitude face aux revirements de l'administration Trump. Après plusieurs mois de mansuétude, le président américain a durci le ton vis-à-vis de Vladimir Poutine et imposé des sanctions aux principales compagnies pétrolières russes. De quoi espérer voir la fin des hostilités ? "Pas avant 2026", répondent à 91 % les prévisionnistes de Glimt.
