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Sanae Takaichi, l'ultraconservatrice qui se rêve en "Dame de fer” du Japon
La cheffe de file du Parti libéral-démocrate Sanae Takaichi est devenue mardi la première femme à accéder à la tête du gouvernement au Japon. Cette figure de la droite dure nippone, admiratrice de Margaret Thatcher et ex-batteuse dans un groupe de métal, est parvenue à s’imposer sur une scène politique très masculine, non sans choquer par ses positions ultraconservatrices et ses accointances révisionnistes.
La nouvelle Première ministre japonaise Sanae Takaichi, au premier plan, arrive au bureau du Premier ministre à Tokyo, au Japon, le 21 octobre 2025. © Eugene Hoshiko, AP

"Mon objectif est de devenir la 'Dame de fer'." Pendant toute la durée des législatives japonaises d’octobre 2024, Sanae Takaichi a surjoué la comparaison avec Margaret Thatcher, ex-Première ministre britannique connue pour son intransigeance. Collier de perles au cou et veste bleu marine sur les épaules, comme autant de clins d’œil à son idole, elle a finalement été acclamée mardi 21 octobre par la Chambre basse après avoir récolté suffisamment de voix pour devenir la première femme à devenir Première ministre du Japon.

L’analogie n’est pas dénuée de sens : tout comme Margaret Thatcher, dont le père était épicier, Sanae Takaichi vient d’une famille relativement modeste. Sa mère était policière et son père travaillait dans une usine automobile. Tout comme l’ex-dirigeante britannique, elle a dû se faire une place dans un univers politique très masculin. Tout comme la députée de Finchley, dans le Grand Londres, l’élue de Nara, ex-capitale impériale, a dû faire face au mépris et aux brimades de collègues machistes.

La "Dame de fer" était restée à la tête du gouvernement britannique de 1979 à 1990, un record pour un Premier ministre outre-Manche et une longévité qui a de quoi faire rêver Sanae Takaichi, dans un pays où se sont succédé pas moins de 15 chefs de gouvernement en une décennie.

Tout juste arrivée à la Diète, la Chambre basse nippone, Sanae Taikaichi se rapproche du camp de Shinzo Abe, député dont elle partage les opinions conservatrices. Sanae Takaichi s’est par exemple opposée à ce que les femmes puissent devenir impératrices, s’est dressée contre le mariage pour tous et a toujours refusé une réforme qui permettrait aux épouses de garder leur nom de jeune fille après le mariage.

"Une victoire pour la droite conservatrice"

L’ex-batteuse dans un groupe de heavy metal entre en 2006 dans le premier gouvernement de son mentor en tant que ministre chargée de la Politique de l’enfance et de l’Égalité des sexes. Après avoir retrouvé en 2012 le Kantei – complexe abritant la résidence du chef du gouvernement japonais –, Shinzo Abe lui propose deux ans plus tard un maroquin plus prestigieux : celui de ministre des Affaires intérieures et des Communications, qu'elle gardera jusqu'en 2017. Elle se concentre sur des postes stratégiques au sein du PLD avant de retrouver le chemin du gouvernement en 2019, toujours à l'Intérieur.

La ministre est bouleversée par la fusillade qui coûte la vie à Shinzo Abe, survenue alors qu’il prononçait un discours à Nara, sa ville natale, le 8 juillet 2020. Elle promet alors de "travailler dur" pour ne pas avoir à "s’excuser auprès de lui".

Le 4 octobre dernier, Sanae Takaichi est finalement élue à la tête du Parti libéral-démocrate – formation de droite qui a pratiquement toujours gouverné le Japon depuis 1955 –, devançant le très médiatique ministre de l'Agriculture Shinjiro Koizumi, ce qui lui ouvre naturellement la voie du Kantei.

"C’est un symbole extrêmement fort dans un pays où les femmes ont difficilement accès aux postes décisionnels", note Alexis Bregere, correspondant de France 24 à Tokyo. "C’est aussi une victoire pour la droite conservatrice", remarque-t-il en référence aux positions très conservatrices de Sanae Takaichi sur les droits des femmes et des personnes LGBT+, ainsi qu'en matière d’immigration, un discours avec lequel elle a pu séduire des "électeurs d’extrême droite et des Japonais ne s’intéressant plus à la politique".

Par un jeu d’alliance entre sa formation politique, le PLD, et le Parti japonais pour l’innovation (Ishin, centre droit), l’économiste de 64 ans est parvenue mardi à la tête du "pays du soleil levant" dans un contexte très tendu.

"Sanae Takaichi hérite d’un modèle à bout de souffle", estime Christophe Dansette, chroniqueur économie à France 24. "La croissance de la troisième économie mondiale – estimée à 1,1 % pour 2025 – est au ralenti, même si elle s’est accélérée ces derniers temps, et le pays cumule une dette colossale de près de 250 % du PIB – il n’y a que le Soudan qui fait pire... À cela s’ajoute un yen faible, une inflation persistante et, surtout, un vieillissement accéléré de la population – un quart des Japonais ont plus de 65 ans."

Un "choc de confiance" économique

"Je tiendrai mes promesses. Nous ne pouvons reconstruire qu'en réunissant toutes les générations et avec la participation de tous. Comme nous ne sommes que peu nombreux, je demande à chacun de travailler, de travailler comme un cheval. Pour ma part, je vais mettre de côté l'idée d'équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Je vais travailler, travailler, travailler, travailler et travailler encore", a lancé la nouvelle Première ministre à peine investie, donnant le ton des mois à venir.

Sanae Takaichi souhaite mettre en œuvre un "choc de confiance" avec une baisse d’impôts pour les ménages et les entreprises, notamment par la suppression de la taxe sur la consommation alimentaire, qui est actuellement de 10 %. Objectif : redorer la réputation du PLD, ternie par les scandales à répétition. Elle soutient aussi un assouplissement monétaire volontariste et d'importantes dépenses budgétaires, inspirés des Abenomics, politique de relance budgétaire et stratégie de croissance à long terme dessinées par son mentor Shinzo Abe.

Parmi les principaux chantiers de son mandat figure la refonte d’une armée nippone, un sujet quasi tabou au Japon depuis la Seconde Guerre mondiale. La Constitution japonaise de 1947, votée sous l’occupation américaine, prévoit en effet en son article 9 que le "peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ou à la menace, ou à l'usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux". Le texte prévoit par ailleurs qu'"il ne sera jamais maintenu de forces terrestres, navales et aériennes, ou autre potentiel de guerre".

Une révision que Sanae Takaishi juge nécessaire face à la montée des tensions régionales, marquées par l’expansion militaire de la Chine, les essais balistiques de la Corée du Nord et l’agressivité croissante de la Russie.

"Shinzo Abe avait déjà appelé à cette transformation des forces d’autodéfense en armée d’autodéfense", note toutefois Guibourg Delamotte, maîtresse de conférences à l’Inalco et chercheuse au Centre d’études japonaises. "Tout cela ne peut pas déboucher sur une initiative concrète, car une réforme de la Constitution est impossible avec une majorité si fragile." La nouvelle Première ministre avait d’ailleurs jugé par le passé que le Japon devait "faire face à la menace sécuritaire" créée par Pékin.

Des polémiques en série

Le discours aux accents militaristes de Sanae Takaichi, qualifiée de "faucon" par la presse chinoise, a toutefois de quoi inquiéter ses voisins. Pékin n’a pas tardé mardi à exhorter la nouvelle Première ministre à "respecter ses engagements" sur Taïwan.

Il faut dire que la nouvelle Première ministre a multiplié les controverses tout au long de sa carrière politique. En 1994, elle avait salué dans un magazine les conclusions du livre "La Stratégie électorale d’Hitler, une bible pour gagner les élections modernes", ouvrage rempli de citations de "Mein Kampf" et ne mentionnant pas les atrocités commises par les nazis. En 2014, elle posait sur une photo avec un homme politique révisionniste qui a contesté la Shoah.

La dirigeante du parti au pouvoir n’a jamais caché son soutien au Nippon Kaigi ("Conférence du Japon"), lobby d’extrême droite flirtant avec le révisionnisme et souhaitant rétablir la "fierté" nippone, qui a fait de la Chine son principal ennemi. Elle a d’ailleurs, à de nombreuses reprises, estimé que les crimes de guerre japonais durant la Seconde Guerre mondiale avaient été exagérés par Pékin.

N’étant pas à une polémique près, Sanae Takaichi était allée jusqu’à envoyer vendredi une offrande au controversé sanctuaire shinto de Yasukuni, symbole du passé militariste japonais. Le lieu est hautement symbolique et chaque (rare) visite d’un haut responsable japonais ravive les tensions avec la Corée du Sud et la Chine, théâtres d’exactions nippones au début du siècle dernier. Aucun chef du gouvernement ne s’est rendu sur les lieux depuis 2013 et la visite d’un certain Shinzo Abe… mentor de Sanae Takaishi.