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Lithium : le nouveau président de Bolivie peut-il relancer le rêve de l'or blanc ?
Élu président après 20 ans de gouvernements de gauche, Rodrigo Paz hérite d’une Bolivie fragilisée. Le nouveau chef d’État veut faire du lithium, ressource stratégique de la transition énergétique, un moteur de relance. Mais entre ouverture vers Washington, rejet de la privatisation et contestations sociales et écologiques, le dossier pourrait vite devenir explosif. 
Des bassins de récupération du sel dans une exploitation qui produit du carbonate de lithium pour la fabrication de batteries au lithium, à la périphérie de Llipi, en Bolivie, le 15 décembre 2023. © Juan Karita, AP

"Ils ont bradé notre gaz, le lithium n’est jamais arrivé, et nous voilà en crise !" Dès sa victoire, Rodrigo Paz a donné le ton. Ce responsable politique classé au centre-droit, élu dimanche, promet de rompre avec vingt ans de politiques de gauche. Il succédera le 8 novembre à l'impopulaire Luis Arce, du Mouvement vers le socialisme (MAS), élu en 2020. Le dauphin d'Evo Morales, qui gouverna la Bolivie de 2006 à 2019, quitte le pouvoir au terme d'un mandat marqué par la pire crise économique que le pays ait connue en 40 ans. 

Si le lithium occupe une telle place dans le discours de victoire du président élu, c’est qu’il entend en faire un moteur de la relance économique. La Bolivie possède plus de 23 millions de tonnes de lithium, soit 20 % des réserves mondiales, selon l’Institut d’études géologiques des États-Unis (USGS). Cet "or blanc" du XXIᵉ siècle est devenu indispensable aux batteries de véhicules électriques et aux systèmes de stockage d’énergie. Pourtant, la Bolivie reste à la traîne face à ses voisins chilien et argentin, qui font partie du Triangle du lithium. 

Tout commence en 2008, lorsque le président Evo Morales promet d’exploiter ces richesses sans l’aide de multinationales. Son ambition : une chaîne de valeur 100 % nationale, de l’extraction à la fabrication de batteries. Mais quelques années plus tard, le rêve de souveraineté énergétique tourne court. En 2024, la société publique Yacimientos de Litio Bolivianos (YLB) n’a produit que 2 000 tonnes de carbonate de lithium – 130 fois moins que le Chili. 

Pas de "réel transfert de technologie" 

"Malgré des propositions venues d'Europe, notamment de la France, le MAS a toujours choisi de préserver la souveraineté de la Bolivie en nationalisant la filière et en gardant la main sur les investissements étrangers, sans réel transfert de technologie", rappelle Gaspard Estrada, politologue et membre de l'unité Sud Global à la London School of Economics. "Sur le papier, l’idée était bonne, mais elle s’est heurtée à la réalité économique." 

Face à l’échec de ce modèle, le président sortant Luis Arce avait tenté une inflexion. En 2024, son gouvernement signe plusieurs contrats d’envergure avec le consortium chinois Hong Kong CBC pour deux usines de carbonate de lithium et avec la société russe Uranium One Group, filiale de Rosatom, pour une troisième. L'objectif est d'accélérer la production industrielle. Mais ces accords ont suscité une levée de boucliers : manque de transparence, absence de consultation des communautés locales, risques environnementaux. 

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Rodrigo Paz s'exprime sur scène le jour du second tour de l'élection présidentielle, à La Paz, en Bolivie, le 19 octobre 2025. © Claudia Morales, Reuters

"Ces contrats, je vous assure que ni vous ni moi ne les connaissons !", a déclaré Rodrigo Paz après son élection auprès de la chaîne russe Sputnik. "Un pays qui se veut sérieux ne peut approuver des accords dont personne ne connaît le contenu. Tous les Boliviens exigent une clarté pour que ces contrats profitent réellement aux deux parties." 

Vers la promesse d’une transparence et un virage pro-américain 

Le nouveau président dit vouloir moderniser la filière sans la privatiser et garantir la transparence et impliquer les communautés locales. Autant de principes qui séduisent une partie de la société civile. Mais pour Gaspard Estrada, le principal défi sera juridique : "Quelles garanties juridiques offrir aux investisseurs ? Rodrigo Paz devra convaincre, lors de ses déplacements à l’étranger, de nouveaux partenaires économiques. Il faudra une réelle persévérance politique pour que ces projets voient le jour." 

Tout en maintenant un contrôle étatique, Rodrigo Paz compte attirer les capitaux étrangers grâce à des incitations fiscales. Signe d’un virage géopolitique assumé, après une visite à Washington où il a rencontré des représentants du FMI et de l’administration Trump pendant sa campagne électorale, il a annoncé, lundi 20 octobre, le prochain rétablissement des relations diplomatiques avec les États-Unis, rompues depuis 2008. 

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Des véhicules roulent sur une partie du désert de sel d'Uyuni, à la périphérie de Llipi, en Bolivie, le 15 décembre 2023. © Juan Karita, AP

"Quand on connaît les méthodes souvent brutales de Donald Trump, ce rapprochement avec Washington risque d’être une mauvaise nouvelle pour l’Europe", prévient Maria-Eugenia Sanin, professeure à l’Université Paris-Est Créteil, spécialiste de l’économie de l’énergie en Amérique latine. "Les États-Unis ne laisseront guère d’espace à l’approche européenne, notamment française, qui propose un développement local et des retombées économiques pour les populations locales. C’est loin d’être une priorité de la vision trumpiste, davantage axée sur la conquête des ressources en Amérique latine." 

Le nouveau président veut aller au-delà de l’extraction brute. Il promet de transformer le carbonate de lithium en produits finis destinés à l’exportation. Pour Maria-Eugenia Sanin, la clé sera "de descendre dans la chaîne de valeur, de créer de la valeur ajoutée et d’en faire bénéficier les populations". 

Un test social et écologique pour la Bolivie 

Promettant des mesures en faveur des "plus vulnérables", Rodrigo Paz a été élu sur un programme de "capitalisme pour tous". Une approche ambitieuse dans un pays où les peuples indigènes peuvent être directement touchés par l’exploitation du lithium, les plus grandes réserves du pays se trouvant sur leurs territoires ancestraux, où ils sont largement majoritaires, notamment autour du Salar d’Uyuni, dans les départements de Potosí et Oruro. "Historiquement, ces communautés étaient proches du MAS. Il reste à voir comment elles accueilleront un nouveau gouvernement qui promet de rouvrir le jeu économique et le dossier du lithium", souligne Gaspard Estrada. 

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Une partisane de l'ancien président bolivien Evo Morales lors d'un rassemblement visant à promouvoir le "vote nul", avant les élections du 17 août, à Entre Rios, Cochabamba, en Bolivie, le 14 août 2025. © Agustin Marcarian, Reuters

Le défi du nouveau pouvoir est aussi environnemental : l’exploitation du lithium requiert des quantités colossales d’eau dans des zones déjà arides, menaçant la biodiversité et les activités traditionnelles (pâturage, agriculture) des peuples indigènes Aymara et Quechua. "La transition des énergies fossiles aux renouvelables n’est pas pensée dans l’intérêt collectif, mais selon une logique corporative qui engendre des impacts irréversibles sur les écosystèmes", observe le chercheur argentin Bruno Fornillo, docteur en sciences sociales et en géopolitique interrogé par le site espagnol de France 24.  

Le chercheur, membre du Conseil national de la recherche scientifique et technique (CONICET, Argentine), plaide pour une stratégie régionale commune : "Une articulation entre la Bolivie, l’Argentine et le Chili permettrait non seulement de réguler l’exploitation, mais aussi de promouvoir une transition socio-écologique juste et populaire impliquant les communautés et respectueuse de la biodiversité." 

Sur ce dossier hautement symbolique, Rodrigo Paz marche sur une ligne étroite : relancer l’économie sans répéter les erreurs du passé, ouvrir aux capitaux étrangers sans brader la souveraineté nationale. "Tout dépendra de sa capacité à respecter son pacte d’inclusion et et sa promesse de non-privatisation", résume Maria-Eugenia Sanin.