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Rien de neuf sous le soleil nucléaire russe ou changement substantiel de sa doctrine rendant le conflit en Ukraine encore plus dangereux ?
Difficile d’évaluer la portée des déclarations faites par Vladimir Poutine mercredi 25 septembre. Le président russe est devenu coutumier du fait de brandir la menace d’une frappe nucléaire dans le cadre de la guerre en Ukraine. Le Bulletin of the Atomic Scientists – une revue consacrée aux questions de sécurité nucléaire mondiale – a même établi en février 2024 une chronologie de l’escalade nucléaire russe depuis le début de l’invasion de l'Ukraine.
Et si c’était différent cette fois-ci ? "Poutine a annoncé une extension radicale de la doctrine russe", affirme ainsi la BBC. Le président russe "a sensiblement abaissé le seuil de la réponse nucléaire", assure pour sa part PBS, la radio publique américaine.
Puissances occidentales coresponsables ?
La nouvelle sortie de Vladimir Poutine peut apparaître comme plus menaçante car "il a ajouté trois nouveaux points pouvant être intégrés à la doctrine nucléaire russe", affirme Ulrich Kühn, directeur du programme de recherche sur le contrôle des armements et des technologies militaires émergentes à l’Institut de recherche sur la paix et la politique de sécurité de l’université de Hambourg.
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Accepter Gérer mes choixVladimir Poutine a assuré que Moscou se réservait le droit d’utiliser l’arme nucléaire en cas d’attaque contre un allié – c’est-à-dire essentiellement la Biélorussie. Il a aussi précisé pour la première fois quels types d’attaques sur le sol russe pouvaient déclencher une riposte nucléaire. Il ne s’agit pas seulement de l’envoi d’un missile balistique à longue portée : une attaque massive de drones peut également représenter une "menace existentielle" pour la Russie.
Surtout, "Vladimir Poutine a mis en garde les puissances nucléaires qui apportent un soutien militaire et logistique à une attaque contre la Russie d’un pays qui n’a pas l’arme atomique", souligne Ulrich Kühn. C’est ce scénario qui a le plus retenu l’attention des experts car c’est une référence à peine voilée "à l’hypothèse de l’Ukraine qui enverrait un missile balistique à longue portée – britannique ou américain – en profondeur sur le territoire russe", assure Sarah Tzinieris, spécialiste des questions de sécurité internationale et de non-prolifération nucléaire au King’s College de Londres.
Cette précision signifie que "Moscou peut considérer la puissance nucléaire qui a soutenu la frappe ukrainienne en Russie comme une cible légitime pour une riposte, y compris avec une frappe nucléaire", souligne Sarah Tzinieris. Cette extension de la dissuasion nucléaire aux cobelligérants à de quoi transformer la guerre en Ukraine en conflit mondial.
Des déclarations à la doctrine, il y a plus qu'un pas
En ce sens, "on peut dire que ces déclarations représentent une escalade de la rhétorique russe en matière de dissuasion nucléaire", résume Sarah Tzinieris. Dans la rhétorique certes, mais si les paroles se font plus menaçantes, cela ne veut pas dire que Vladimir Poutine est davantage susceptible d’appuyer sur le gros bouton rouge, d’après les experts interrogés par France 24.
"En ce qui concerne la doctrine nucléaire, tout ce qui est de l’ordre des déclarations n’est que du 'bavardage'", affirme David Blagden, spécialiste des questions de sécurité internationale à l’université d’Exeter (Royaume-Uni). Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, a confirmé jeudi que la Russie était encore "en train d’ajuster les documents officiels" pour prendre en compte les déclarations de Vladimir Poutine. Le Kremlin a précisé qu’il se réservait en outre le droit de ne pas rendre publique la doctrine de dissuasion nucléaire mise à jour.
Ce qui pose un autre problème pour évaluer si les déclarations poutiniennes constituent une escalade du risque nucléaire : "Est-ce qu’elles représentent les nouvelles lignes rouges qui, si elles sont franchies par l’Ukraine ou l’Occident, vont entraîner une riposte nucléaire assurée ? On n’en sait rien et pour tout dire, on ne connaît pas les fameuses lignes rouges", assure Ulrich Kühn.
En effet, "la doctrine de dissuasion nucléaire officielle a été établie en 2014 puis complétée par un décret de 2020", note Luba Zatsepina, spécialiste de la question nucléaire en Union Soviétique et en Russie à l’université John-Moores de Liverpool (Royaume-Uni). Ce document "a une partie publique très déclarative à laquelle il ne faut pas trop se fier pour évaluer dans quelles circonstances la Russie va employer l’arme nucléaire, et une autre partie d’environ 100 pages qui entre dans tous les détails, mais qui est ultraconfidentielle et top secrète", précise Ulrich Kühn.
La victoire des "faucons du nucléaire"
Pour cet expert, ce que ces déclarations du président russe établissent en revanche de manière sûre, c’est "la victoire du camp des faucons en Russie". Depuis l’été 2023, il y avait en effet en Russie un vif débat entre politologues et experts, opposant ceux qui mettaient en garde contre la tentation de trop jouer avec le feu nucléaire, et les faucons qui insistaient pour hausser encore le ton. Leur argument : les mises en garde de Vladimir Poutine avaient jusqu’à présent fait pschitt, et si Moscou voulait que sa dissuasion nucléaire soit prise au sérieux, il fallait en faire plus.
Mais si les nouvelles déclarations ne disent rien ou presque sur les réelles intentions du président russe en matière de recours à l’arme atomique, à quoi bon ? "C’est avant tout une technique de négociation", assure Ulrich Kühn. "Ce n’est pas un hasard s’il s’est exprimé au moment où le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, était à New York pour tenter de convaincre Joe Biden de l’autoriser à frapper la Russie avec des missiles à longue portée", ajoute Sarah Tzinieris.
Ces déclarations compliquent un peu plus le casse-tête que le président américain doit résoudre. "Il ne faut pas oublier le contexte géopolitique et la hausse des tensions, essentiellement au Moyen-Orient mais aussi avec la Chine", précise Sarah Tzinieris. Dans ces circonstances, Joe Biden doit déjà être très réticent à l’idée de laisser l’Ukraine accentuer encore le désordre mondial en frappant en plein cœur de la Russie avec des missiles occidentaux. La menace nucléaire brandie par Vladimir Poutine ne va clairement pas simplifier la tâche diplomatique de Volodymyr Zelensky à New York.
"Vladimir Poutine a beaucoup à perdre"
La sortie du maître du Kremlin "a aussi une dimension de communication interne", estime Sarah Tzinieris. Suggérer que derrière chaque frappe ukrainienne en Russie il y a le spectre d’une réponse nucléaire représente une nouvelle itération du message répété ad nauseam par Moscou : la Russie ne se battrait pas contre l’Ukraine mais contre l’Occident qui se sert de Kiev.
Est-ce à dire que les Occidentaux peuvent tout simplement ignorer les nouvelles menaces russes ? "Vladimir Poutine a beaucoup à perdre à briser le tabou du recours à l’arme nucléaire. Ce serait très mauvais en termes d’image auprès des pays dont l’opinion compte à ses yeux comme l’Inde, la Chine ou encore certains pays africains. Frapper l’Ukraine avec l’arme nucléaire reviendrait aussi à tuer un grand nombre de soldats russes", détaille Ulrich Kühn.
Mais en jouant la carte de l’escalade de la rhétorique, "Vladimir Poutine a investi en capital politique pour rendre la menace nucléaire crédible", souligne David Blagden. Dmitri Peskov a d’ailleurs assuré que ces déclarations représentaient un "message clair transmis aux pays hostiles", ce qui est "une manière classique de dire que la balle est dans le camp de l’Occident et que la Russie ne peut être tenue pour responsable de ce qui se passerait si la mise en garde était ignorée", estime Ulrich Kühn.
Le problème est justement que si Washington, Londres ou Paris ignorent ces déclarations, "ça donnera l’impression que Vladimir Poutine est faible", conclut David Blagden. Et, de l’avis de tous les experts interrogés, s’il y a bien une chose qu’un dirigeant autoritaire n’aime pas, c’est avoir l’air faible.