envoyée spéciale à Port-au-Prince – Situé dans l'est de Port-au-Prince, le quartier de Canapé Vert a été rasé par le séisme du 12 janvier. Deux semaines après la tragédie, ses habitants tentent de reprendre goût à la vie, tant bien que mal. Reportage de notre envoyée spéciale.
Canapé Vert était un quartier "qu’on pourrait dire favorisé", situé dans l'est de Port-au-Prince. La formule est de Brice, un jeune homme qui a trouvé refuge avec sa famille dans un camp installé sur l’ancienne Place de village, le nom donné au centre de Canapé Vert. "On a ainsi appelé le quartier parce que les bourgeois restent assis dans leurs canapés, et que le vert est la couleur de l’espoir", explique Brice, qui rit de sa démonstration, les yeux pétillants et le verbe teinté d’un léger accent.
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© {{ scope.credits }}Ici, le jeune Haïtien connaît tout le monde. "Non, en fait, tout le monde me connaît, rectifie-t-il. Voilà dix ans que je suis la star de la zone à cause du foot. Je suis un très bon joueur."
Brice dort sur un simple tapis, un peu en contrebas de la Place de village. Sa maison ne s’est pas effondrée mais "le béton est fragile, les murs se fissurent". Sa - très - grande famille est disséminée dans le camp de fortune qui accueille les sinistrés. Sa mère, malade, reste allongée sous une bâche. L'une de ses tantes, "celle en jaune avec la casquette", vend du maïs pilé sur le marché, de l’autre côté de la rue. Ses nièces, sa sœur et une autre de ses tantes campent sous un arbre rachitique, vaguement abritées par un grand drap tendu. Camping gaz, nourriture, bassines en plastique, couvertures : les femmes veillent sur les maigres biens qu’elles ont pu sauver, ou trouver après la catastrophe.
Les Haïtiens préfèrent parler de "l'événement" ou du "7,3"
Pour l’instant, Brice vit sur ses économies, en priant pour qu’elles ne s’épuisent pas trop rapidement, même s'il peut, de toute façon, compter sur sa famille et ses amis. À Canapé Vert, les sinistrés s’entraident. Ils se connaissent bien. Dans d’autres camps en revanche, la situation n'est pas aussi paisible. Les gangs font régner leur loi, comme si le désastre ne suffisait pas.
Ici, le système D, que Brice appelle "business", règne en maître. De petits stands de nourriture et de vêtements fleurissent. Fabienne, elle, a récupéré deux grosses batteries qu’elle transporte dans une brouette. Pour 15 gourdes (environ 0,50 dollar), cette jeune habitante de Canapé Vert recharge les téléphones portables sur cinq ou six multiprises emmêlées devant elle. "On fait comme on peut, il faut acheter la nourriture, c’est devenu très cher depuis l’événement", explique-t-elle.
Ici, personne ou presque ne prononce le mot séisme pour parler de la tragédie qui a ravagé Port-au-Prince. Les Haïtiens préfèrent parler de "l’événement", ou du "7,3", en référence à la magnitude du tremblement de terre...
Est-ce pour conjurer des éléments qui donnent l'impression de ne jamais vouloir laisser l'île en paix ? Depuis le 12 janvier, Haïti enregistre en effet une secousse sismique par jour en moyenne, auxquelles s'ajoutent désormais le risque d'importantes intempéries. "On prie pour qu’il ne pleuve pas, lâche Brice en levant les yeux vers le ciel menaçant. Avec les cadavres et la poussière, si la pluie tombe, les maladies arriveront". Quelques averses ont déjà arrosé Port-au-Prince depuis le séisme. Rien de très sérieux pour le moment, mais tous scrutent les nuages qui s’amoncellent.
Au loin, Canapé Vert n’est plus. Des édifices du quartier, il ne reste que quelques murs chancelants, perchés sur des amas de gravats. Pourtant, les visages sont souriants. Pierre, un ami de Brice, explique : "Je ne sais pas où dormir, mais je garde le sourire. Pourquoi ? Parce que je suis vivant et que je peux encore réaliser tous mes rêves !"