
C’est parti pour un cinquième mandat à la tête de la Russie. La victoire sans surprise de Vladimir Poutine lors de la présidentielle russe, qui s’est déroulée de vendredi 15 à dimanche 17 mars, permet au chef du Kremlin d’ajouter six ans à son compteur personnel. S'il parvient à se maintenir au pouvoir jusqu'à l’issue de ce nouveau mandat, il égalera en 2030 la longévité d'un autre président, Léonid Brejnev, à la tête de l’URSS pendant 18 ans, de 1964 à 1982. Seul Joseph Staline a tenu plus longtemps…
En attendant d’arriver à la cheville du "petit père des peuples" en termes de continuité, Vladimir Poutine s’est offert une réélection “record” selon les résultats quasi définitifs annoncés par la Commission électorale centrale (CEC), lundi 18 mars. Sur la totalité des bulletins de vote dépouillés, 87,28 % portent sur le nom du président sortant, a souligné Ella Pamfilova, la présidente de la CEC. Selon elle, la participation a également atteint un niveau “sans précédent” avec plus de 77 % des inscrits ayant voté.
Le "conte de fées électoral" du Kremlin
Côté occidental, le scrutin a largement été qualifié de “simulacre d’élections” ou encore de d'élections sans choix” par la plupart des gouvernements occidentaux. Mais l’ampleur de la “vague Poutine” a tout de même surpris les observateurs.
“On pensait que Vladimir Poutine visait un peu plus de 75 % des suffrages pour rester dans la droite ligne des résultats de 2018 [77 %, NDLR], mais il a visiblement décidé d’ignorer totalement les apparences en faisant encore plus fort qu’Alexandre Loukachenko, qui s’était accordé 81 % des voix lors de la très contestée présidentielle biélorusse de 2020. Parler de ‘victoire écrasante’ est ridicule dans ce contexte, c’est plutôt une ‘auto-nomination écrasante’ si on peut dire”, résume Stephen Hall, spécialiste de politique russe à l'université de Bath.
Pourquoi viser si haut ? La guerre en Ukraine a “rendu plus nécessaire que jamais de montrer à quel point la Russie est ‘unie derrière’ son président”, estime Jeff Hawn, spécialiste de la Russie à la London School of Economics.
Le premier public pour ce “conte de fée électoral concocté par le Kremlin” est interne, assure Stephen Hall. Pour cet expert, la dérive autoritaire du régime a pour conséquence que Vladimir Poutine se considère de plus en plus comme le “père de la nation” et “cette figure paternelle se doit d’avoir un soutien sans faille de tous ses enfants”.
La classe politique russe et l’élite économique se devaient aussi d’être convaincues. Avec un tel score, “le message est clair : il n’y a soi-disant non seulement pas d’opposition, mais pas non plus d’espace politique pour un éventuel dauphin ou successeur”, analyse Jeff Hawn.
Ce “score sans précédent” envoie également un message hors des frontières de la Russie. “Il doit servir à nourrir le narratif des relais du pouvoir russe dans les démocraties occidentales. Je ne serais pas surpris si dans les semaines à venir, ce résultat était utilisé par des médias prorusses ou des sympathisants de Moscou pour tenter de saper le soutien à l’Ukraine en suggérant que cette victoire électorale démontre une détermination russe plus forte que jamais”, estime Jeff Hawn.
Un embryon d'opposition dans les bureaux de vote
Paradoxalement, si les résultats officiels suggèrent une consolidation du pouvoir de Vladimir Poutine, “ce scrutin a aussi connu un niveau d’engagement de la société civile à une échelle jamais vue depuis les manifestations de masse de l'hiver 2011-2012”, souligne le quotidien russe anglophone indépendant The Moscow Times.
“L’appel à voter à midi dimanche pour protester contre Vladimir Poutine a été plutôt bien suivi, même si c’était surtout par la diaspora russe”, souligne Jeff Hawn. “Devant l’ambassade russe à Londres, il y avait une queue de près d’un kilomètre à 12 h”, a constaté Stephen Hall, qui s’est rendu sur place dimanche. De nombreux Russes ont fait de même à Berlin, où Ioulia Navalnaïa - la veuve d’Alexeï Navalny - a manifesté.
Vladimir Poutine n’arrive d'ailleurs pas en tête du vote des Russes de l’étranger. À quelques exceptions près (en Grèce ou en Italie), ils lui ont préféré le candidat plus “libéral” - mais néanmoins pro-Poutine - Vladislav Davankov.
Des grains de sable au bel engrenage électoral mis en place par le Kremlin sont aussi apparus à l’intérieur de la Russie. Des files se sont ainsi formées dimanche à midi devant des bureaux de vote de Moscou ou de Saint-Pétersbourg. Mais surtout, il y a eu des petits actes de vandalisme à travers tout le pays, comme des électeurs “déversant de la teinture verte dans des urnes ou faisant exploser des pétards. D’autres ont aussi dessiné le visage d’Alexeï Navalny sur les bulletins”, résume Stephen Hall. Les bureaux de vote ou files d'attente sont ainsi devenus, le temps de l’élection, “des lieux de réseautage improvisé pour des Russes mécontents qui n’ont pas de moyen autrement de se retrouver ou se reconnaître”, souligne Stephen Hall.
Des mauvaises nouvelles en perspective ?
Des petits gestes de protestation qui ne pèsent pas lourd face au poids des 87 % de votes pour Vladimir Poutine brandis par le Kremlin. Le président russe a d’ailleurs bien fait comprendre qu’il ne craignait pas cet embryon de protestation. Dans son discours de victoire, il a, pour la première fois, désigné feu son principal opposant Alexeï Navalny par son nom. “Cela montre qu’il a gagné en confiance à l’issue de cette élection”, estime Stephen Hall.
Mais plus de confiance pour quoi faire ? Continuer la guerre, certainement. Mais peut-être aussi engager les grands chantiers - rénovation de routes, construction d’aéroports dans des régions reculées - évoqués lors de son discours à la Nation fin février ? Stephen Hall n’y croit pas : “Toute réforme ou dépense risquerait de fragiliser le système en place. Vladimir Poutine va tout simplement tout faire pour maintenir le statu quo”, assure cet expert.
Le seul changement viendra peut-être sous forme de mauvaises nouvelles pour les Russes. “Le Kremlin profite généralement de la période après une présidentielle pour faire passer des mesures impopulaires”, souligne le New York Times. En 2018, le pouvoir avait ainsi adopté une loi prévoyant le recul de l’âge de départ à la retraite. Et en 2024 ? Il pourrait être question d’une nouvelle vague de mobilisation pour grossir les rangs des soldats envoyés en Ukraine, craint le Moscow Times. Est-ce que les signes de protestations qui ont vu le jour durant l’élection vont suffire à en dissuader Vladimir Poutine ?