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"Pas en notre nom" : des Afrikaners dénoncent les accusations de "génocide blanc" par Trump
Alors que Washington va favoriser les demandes d’asile des Sud-Africains blancs, un collectif d’Afrikaners a publié une lettre ouverte pour réfuter les accusations de "génocide" avancées par Donald Trump. Une polémique qui ravive les divisions politiques et identitaires au sein du pays. 
Le secrétaire d'État adjoint Christopher Landau accueille des réfugiés afrikaners d'Afrique du Sud, le 12 mai 2025, à l'aéroport international de Dulles, en Virginie. © Julia Demaree Nikhinson, AP

La riposte s'organise en Afrique du Sud. Face aux déclarations répétées de Donald Trump affirmant que les Afrikaners, descendants des premiers colons européens, seraient victimes d'un "génocide", un collectif d'écrivains, d'universitaires, de chefs d'entreprise et de descendants de figures engagées contre l'apartheid a décidé de rétablir sa vérité.

Dans une lettre ouverte intitulée "Pas en notre nom", ces personnalités assurent qu'aucune "menace existentielle" ne pèse sur les Sud-Africains blancs et dénoncent une instrumentalisation politique. 

Le collectif s'alarme surtout du projet migratoire de Donald Trump : son administration a officialisé fin octobre la décision de plafonner l'accueil de réfugiés à 7 500 personnes pour 2026 – contre 125 000 par an sous Joe Biden –, avec une priorité donnée aux Afrikaners. Une mesure qui "a mis notre identité en lumière d'une manière profondément troublante", écrivent-ils, rejetant le récit d'une population blanche persécutée. 

Début février, Donald Trump avait déjà signé un décret accordant le statut de réfugié aux Afrikaners, spoliés de leurs terres et persécutés. Depuis, il évoque à intervalles réguliers un prétendu "génocide" de fermiers blancs, que Pretoria a démenti à plusieurs reprises.  

"Notre avenir n'est pas menacé" 

"Nous sommes utilisés par l'administration Trump pour justifier un programme racial aux États-Unis", dénonce sur France 24, le politologue Piet Croucamp, l'un des initiateurs de la lettre. Le collectif a envoyé son texte à plusieurs sénateurs américains, principalement démocrates. Conscients de prêcher des convaincus, ils espèrent néanmoins que l'opposition démocrate à la politique migratoire de Trump permettra de contrer ces allégations. "Nous devons rétablir les faits : notre avenir ici n'est pas menacé par notre couleur de peau", insiste-t-il. 

Le politologue rappelle que les principales victimes des inégalités structurelles, du chômage et de la mauvaise gouvernance restent les Sud-Africains noirs : "Ce sont eux qui en paient le prix. Toutes les statistiques montrent le privilège dont bénéficient les Sud-Africains blancs. Et il n'existe aucune preuve de génocide, ni de crimes spécifiques les visant." 

Les chiffres confirment ces déséquilibres hérités de l'Histoire : si la minorité blanche ne représente qu'un peu plus de 7 % de la population, elle détenait encore 72 % des terres agricoles en 2017, selon des données gouvernementales. Un héritage direct de la colonisation puis de l'apartheid, enjeu auquel les politiques de redistribution tentent de répondre depuis 1994.  

Les données policières montrent également que les Blancs ne sont pas plus exposés aux crimes violents que le reste de la population. Avec en moyenne 63 meurtres par jour, le pays affiche l'un des taux d'homicides les plus élevés au monde, mais la violence touche d'abord les zones urbaines et les jeunes hommes noirs.

En 2024, plus de 26 000 homicides ont été recensés dans le pays. Parmi eux, 37 étaient des meurtres commis dans des fermes, selon une association afrikaner chargée de les recenser. Pour les spécialistes des attaques en milieu rural, le principal mobile reste le vol, et non une motivation raciale. 

Publiée avec 40 signataires fin octobre, la lettre en compte aujourd'hui plus de 1 500. Ses auteurs dénoncent la mise en avant des Afrikaners comme "victimes du multiculturalisme", un discours qui, selon eux, fracture la société sud-africaine et fragilise trois décennies d'efforts de réconciliation.  

Ils soulignent également que distinguer les demandeurs d'asile selon leur couleur de peau contrevient aux principes fondamentaux du droit des réfugiés. "Accorder plus d'importance à la souffrance des Blancs qu'à celle des autres revient à renforcer une vision racialisée du monde (...) Parler de génocide est obscène, surtout si on compare la situation sud-africaine à celle de Gaza ou du Soudan", écrivent-ils, appelant à combattre ces "récits déformés". 

Une polémique qui fissure la communauté  

Mais leur initiative est loin de faire consensus au sein de la communauté afrikaner. La gauche y voit un rejet salutaire d'une rhétorique victimaire, tandis qu'à droite, certains tentent de discréditer le texte en affirmant qu'il aurait été rédigé avec l'aide d'un responsable gouvernemental – ce qui est partiellement vrai, même si l'intéressé est intervenu à titre personnel. 

Parmi les voix critiques figure Ernst Roets, directeur du think tank Lex Libertas – qui milite pour "un système politique viable en Afrique du Sud", selon son site. Pour lui, les signataires sont "complètement déconnectés du vécu quotidien" des Sud-Africains. "Cela fait longtemps qu'une certaine élite intellectuelle s'est éloignée des réalités du terrain", affirme-t-il. 

S'il rejette lui aussi le terme de "génocide", Ernst Roets estime toutefois que les inquiétudes mises en avant par Donald Trump ne doivent pas être balayées. "Il existe des preuves tangibles de meurtres de fermiers, de menaces sur la propriété et de persécution des minorités", assure-t-il, regrettant que ces sujets soient "ignorés ou rejetés dans leur intégralité avec pour seule réponse qu'il n'existe pas de génocide." 

"Pas en notre nom" : des Afrikaners dénoncent les accusations de "génocide blanc" par Trump
Vue des croix plantées au monument de la Croix blanche – chacune marquant un agriculteur blanc tué lors d'une attaque contre une ferme – sur une colline d’Ysterberg, près de Polokwane, en Afrique du Sud, le 15 mai 2025. © ©Themba Hadebe, AP

Les auteurs de la lettre accusent au contraire certains groupes conservateurs – sud-africains ou américains – d'alimenter la théorie complotiste du "grand remplacement" via des slogans comme "Make Afrikaners Great Again", déclinaison sud-africaine du "Make America Great Again" de Trump. 

La discrétion des Afrikaners aux États-Unis 

Dans le même temps, Donald Trump continue de diffuser un récit de persécution. Début novembre, il a annoncé sur Truth Social que les États-Unis n'assisteraient pas au sommet du G20, organisé en Afrique du Sud les 22 et 23 novembre 2025, "tant que ces violations des droits humains continueront". En mai dernier à la Maison Blanche, Donald Trump avait tenu une embuscade au président sud-africain Cyril Ramaphosa en lui montrant une vidéo ponctuée d'erreurs censée prouver ses accusations. 

Sur le terrain, les départs restent marginaux. Si les données publiques ne permettent pas d'établir un chiffre précis, des médias indiquent qu'environ 59 d'entre eux se sont installés aux États-Unis en mai 2025. Selon le quotidien afrikaans Rapport, près de 400 Sud-Africains blancs auraient obtenu l'asile fin septembre. La plupart préfèrent rester discrets. 

"Pas en notre nom" : des Afrikaners dénoncent les accusations de "génocide blanc" par Trump

Une réfugiée installée dans le sud des États-Unis confie ainsi anonymement qu'elle et sa famille évitent d'évoquer son statut : "Certains progressistes ici n'aiment pas les réfugiés", explique-t-elle. Elle dit se sentir plus en sécurité qu'en Afrique du Sud, même si même elle n'a jamais été attaquée, contrairement à son mari. Elle ajoute que la situation financière de sa famille s'est améliorée "beaucoup plus vite" aux États-Unis, mais au prix de devoir "accepter des emplois peu qualifiés", malgré son expérience professionnelle. 

Cet article a été adapté de l'anglais par Barbara Gabel. L'original est à retrouver ici.