Le grand raout politique annuel chinois a atteint sa vitesse de croisière. Débuté lundi 4 mars, les “Deux sessions” - un congrès de deux des instances politiques les plus importantes du pays qui dure dix jours - ont déjà évoqué la reprise économique, l’épineuse question de Taïwan, la modernisation de l’armée ou encore les relations entre Pékin et le reste du monde.
Les “Deux sessions” sont présentées par les médias chinois comme le meilleur moyen pour comprendre le fonctionnement de la “démocratie chinoise” pour un observateur étranger.
C’est, en effet, à cette occasion que les près de 3 000 membres de l’Assemblée populaire nationale (APN) - l’équivalent du parlement chinois - se réunissent pour fixer l’agenda législatif de l’année à venir. La session de l’an dernier avait permis d'établir la feuille de route pour plus de 2 000 mesures adoptées en un an, souligne l’agence de presse officielle chinoise Xinhua.
En parallèle à l’APN, les “Deux sessions” accueillent aussi la Conférence consultative politique du peuple, un organe consultatif censé donner son avis sur les priorités politiques de l’année à venir. Ce sont 2 000 membres du Parti communiste chinois (PCC) et aussi de la société civile qui doivent débattre sous l’œil attentif du gouvernement.
Les “Deux sessions” représentent ainsi un bon thermomètre du climat politique en Chine. Encore faut-il comprendre le “parler PCC” qui s’y pratique. Pour s’y retrouver, l’un des meilleurs moyens est de repérer les “buzzwords”, c’est-à-dire les expressions phares qui deviennent les éléments de langage du parti, comme l’indique la chaîne économique américaine Bloomberg.
La plupart d’entre eux peuvent paraître obscurs à première vue. Qu’est-ce que Xi Jinping entend par “les nouvelles forces productives” ? Que sont les “Trois nouveautés” auxquelles se réfèrent souvent les participants aux “Deux Sessions” ? Savoir les décrypter “permet de comprendre les principales évolutions de la politique économique et sociale de Xi Jinping et du gouvernement au-delà des annonces officielles”, souligne Marc Lanteigne, sinologue à l'université arctique de Norvège.
Mais ces “buzzwords” sont aussi une manière pour les dirigeants chinois de reconnaître des erreurs à demi-mots. Les responsables chinois “ne vont jamais dire clairement ce qui ne va pas, mais ce langage codé annonce souvent des changements d’orientation, donc une reconnaissance tacite que quelque chose ne marchait plus”, résume Marc Lanteigne.
Pour s’y retrouver France 24 a isolé quatre éléments de langage mis en avant lors de ces “Deux sessions” qui permettent de comprendre la vraie vision que le PCC a de la situation économique et sociale du pays. Car à lire les médias officiels et les déclarations publiques, il serait aidé d'en déduire que Pékin pense que tout va bien.
“Les nouvelles forces productives”. C’est Xi Jinping en personne qui utilise cette expression depuis au moins septembre 2023. Mais le président chinois ne précise jamais quelles sont ces forces qu’il invoque à la rescousse de l’économie chinoise.
En effet, il y a encore fait référence lors des “Deux sessions” pour assurer qu’elles permettraient au pays d’atteindre sans problème l’objectif fixé de 5 % de croissance.
Les “nouvelles forces productives” sont “une version moderne d’expressions utilisées par tous les dirigeants chinois depuis Mao Zedong pour désigner les secteurs économiques qui vont être privilégiés”, explique Marc Lanteigne.
En l’occurrence, ce spécialiste parie que Xi Jinping vise les services - notamment financiers - et les technologies de l’information avec la version 2024 des “forces productives”.
Mais en les invoquant, cette expression vise aussi à mettre au placard les “anciens” moteurs de la croissance chinoise. Autrement dit, Xi Jinping indique qu’il faut arrêter “de tout miser sur les investissements dans les infrastructures et l’immobilier”, décrypte Marc Lanteigne. Il faut s’attendre à voir moins de constructions d’autoroutes ou de chemins de fer. Les promoteurs immobiliers, secoués par la débâcle d’Evergrande, ont ainsi la confirmation que les sauver n’est plus une priorité du gouvernement.
“IA Plus”. C’est le Premier ministre, Li Qiang, qui a mis l’initiative “IA Plus” à la mode. Il en a fait la pierre angulaire du “rapport de travail” publié par l’Assemblée populaire nationale mardi 5 mars.
Là encore, “les contours de ce concept sont très flous”, reconnaît Marc Lanteigne. L’idée principale serait de faire irriguer l’intelligence artificielle dans tous les secteurs de l’économie. Comment ? Quand ? Et par où commencer ? “Il va falloir attendre les détails, mais l’ambition est claire : faire de l’IA un moteur de l’économie et doper la recherche en intelligence artificielle”, note l’expert.
La Chine est loin d’être le seul pays à miser sur l’IA. Depuis l’avènement de ChatGPT, c’est devenu le sujet à la mode pour tous. Mais c’est le “plus” qui fait la spécificité du projet chinois.
“En y ajoutant un ‘plus’, les autorités veulent donner l’impression que la Chine en est déjà à l’étape d’après”, résume Marc Lanteigne. Cette expression suggère que Pékin maîtrise déjà l’outil - l’IA -, et cherche désormais les meilleurs débouchés pour l’utiliser.
Cette manière de présenter les choses vise à contrer l’image d’un pays qui serait à la traîne en matière d’intelligence artificielle. C’est la faute à ChatGPT et ses clones : tous ces chatbot viennent d’Occident et un récit a commencé à se développer suggérant que la Chine aurait du mal à rattraper son retard.
“Les Trois nouveaux”. C’est une expression qui gagne en popularité dans les médias et les cercles économiques depuis plus d’un an, souligne une note publiée par la banque Citigroup en janvier 2024. Elle vient d’être reprise par le Premier ministre Li Qiang qui, à l’occasion des débats à l’Assemblée populaire nationale, s’est réjoui que “les trois nouveaux ont connu une croissance de 30 % en un an”.
Le concept désigne le secteur des panneaux solaires, des voitures électriques et des batteries. “Il n’est pas étonnant que cette expression soit mise en avant à l’heure où le champion chinois des voitures électriques - BYD - affiche des ambitions de plus en plus globales”, souligne Marc Lanteigne.
Le pouvoir chinois veut ainsi afficher son soutien à un constructeur dont l’appétit commercial commence à inquiéter les pays occidentaux. Le président américain, Joe Biden, a en effet qualifié fin février les voitures électriques de “risques pour la sécurité nationale” américaine.
“C’est aussi un concept complémentaire à l’idée de ‘nouvelles forces productives’”, assure Marc Lanteigne. Là encore il s’agit de tourner une page. Ces “trois nouveaux” s’opposent aux “vieux” secteurs qui faisaient la gloire de la Chine à l’international : le textile et l’électronique bon marché.
La Chine veut ainsi indiquer au monde qu’elle compte bien rester la “grande usine du monde”, mais dorénavant pour des produits à forte valeur technologique ajoutée.
Et ces trois nouveaux piliers ont un point commun : “Ils sont censés illustrer l’ambition chinoise de se tourner vers une économie éco-responsable”, note Marc Lanteigne. Les panneaux solaires représentent les énergies renouvelables, tandis que les voitures électriques et les batteries (qui équipent notamment ces voitures) symbolisent la décarbonisation du trafic routier. L’expression les “Trois nouveaux” sert donc de nouveau slogan pour la Chine “verte”.