En démantelant le programme d’aide humanitaire américaine, l’administration Trump a pris au dépourvu les ONG du monde entier. Notre Observateur fait partie de la communauté persécutée des Rohingyas, il témoigne depuis les camps de réfugiés de Cox’s Bazar, au Bangladesh, où plus d’un million de personnes dépendent entièrement des aides humanitaires, en majorité financées par les États-Unis.
Le désengagement des États-Unis sur le plan humanitaire est lourd de conséquence pour les Rohingyas, peuple persécuté dans leur pays d’origine, la Birmanie, où ils sont considérés comme apatrides. Ethnie minoritaire de confession musulmane, les Rohingyas ont été au cœur de persécutions menées par l’armée birmane et qualifiées de “nettoyage ethnique” par l’ONU en 2016 et 2017. Plus de 800 000 Rohingyas ont fui vers le Bangladesh voisin, dans ce qui est considéré comme l’une des plus grandes crises humanitaires contemporaines.
L’écrasante majorité vit aujourd’hui dans les camps de réfugiés de la ville frontalière de Cox’s Bazar. Plus d’un million de Rohingyas y vivent, certains depuis plusieurs générations, après avoir fui la Birmanie lors d’autres épisodes de violence, dans les années quatre-vingt-dix.
Les 33 camps de réfugiés de Cox’s Bazar forment une sorte de “ville” à part entière, abritant des centres de formations, des hôpitaux…Une “ville” dont les habitants ne peuvent pas sortir, où ils ne peuvent pas travailler, et dépendent entièrement des aides humanitaires, délivrées par de nombreuses ONG, pour beaucoup soutenues par les États-Unis.
En 2024, les États-Unis finançaient ainsi 55% des aides aux Rohingyas, via leur contribution vers les agences de l’ONU, mais aussi via leur agence pour le développement international (l’USAID) via plusieurs ONG présentes à Cox’s Bazar. Le désengagement de Washington, entamé par Donald Trump, qui a gelé 92% des financements d’aide humanitaire à l’étranger de l’USAID, a, en un mois à peine, déjà des conséquences drastiques sur la vie des réfugiés à Cox’s Bazar.
Plusieurs centres médicaux ont cessé de fonctionner ou manquent de personnel, comme celui de la Croix Rouge, et ont dû se limiter aux urgences.
Le Programme alimentaire mondial, agence onusienne en partie soutenue par les financements américains, a annoncé début mars qu’en l’absence de financements supplémentaires, les rations mensuelles des Rohingyas seraient réduites de moitié dès le mois d’avril 2025, passant de 12,50 à 6 dollars. Le PAM représente l’essentiel de l’aide alimentaire pour les Rohingyas. Certains acteurs fournissent ponctuellement et en quantité limitée d’autres aliments - notamment pendant le Ramadan ou l’Aïd, mais ces engagements restent minimes en comparaison de celui du PAM.
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Accepter Gérer mes choixCette annonce a provoqué beaucoup d’inquiétudes à Cox’s Bazar, alors qu’une première réduction en 2023, faute de fonds nécessaire, avait déjà fait exploser le taux de malnutrition chez les enfants.
“Le monde a la responsabilité de nourrir ceux qui sont isolés à cause de guerres qu’ils n’ont pas déclenchées…”
Notre Observateur Sahat Zia Hero vit depuis 2017 à Cox’s Bazar. Passionné de photographie, il a fondé un magazine, “Rohingatographer”, pour mettre en lumière le travail photographique des réfugiés.
On n’a aucun moyen de subvenir nous-mêmes à nos besoins : il est impossible de travailler, ou de sortir des camps pour aller pêcher par exemple.
[Les aides américaines] financent des services vitaux comme les rations alimentaires, sans lesquelles les réfugiés rohingyas ne peuvent pas survivre. Nous sommes très inquiets.
Certains réfugiés n'ont pas pu recevoir les soins nécessaires, car les hôpitaux manquaient de médecins, il n'y avait pas de sages-femmes pour accoucher les bébés. J'ai très peur pour ma communauté
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Accepter Gérer mes choixJe veux lancer un appel à tous les dirigeants du monde pour qu'ils continuent à soutenir généreusement tous les réfugiés rohingyas et qu'ils ne nous oublient pas.
Nous avons conscience que le monde est confronté à de nombreuses autres crises. Mais couper l'accès à l'alimentation pour des personnes déplacées, c'est un crime. Le monde a la responsabilité de nourrir ceux qui sont dans le besoin, qui sont isolés à cause de guerres qu’ils n’ont pas déclenchées
“Le nombre de réfugiés ne diminue pas, mais les fonds disponibles eux diminuent”
Le secrétaire de l’ONU Antonio Guterres s’est rendu à Cox’s Bazar le 14 mars dernier pour sonner l’alerte sur la situation des Rohingyas. Il a qualifié d’”iinacceptable” les coupes budgétaires dans l’aide internationale aux réfugiés rohingyas. Le même jour, Reuters révélait qu’un officiel américain aurait insisté pour supprimer les aides aux Rohingyas affirmant que “rien n’était dû”.
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Accepter Gérer mes choixRomain Desclous travaille pour le bureau bangladais du Haut Commissariat aux réfugiés (HCR). L’agence onusienne se charge entre autres de construire des abris pour les réfugiés Rohingyas et de leur fournir des cartes de réfugiés. Il explique à la rédaction des Observateurs de France 24 comment le retrait américain va aggraver une situation humanitaire qui fonctionne déjà à flux tendu :
C’est une crise humanitaire qui dure depuis huit ans, les Rohingyas ont peu d’espoir de retourner chez eux, l’état de sécurité actuelle de l’État de Rakhine [leur région d’origine en Birmanie, NDLR] ne permet pas de retour possible, et il y a toujours un afflux de réfugiés vers le Bangladesh. Le nombre de réfugiés ne diminue pas, mais les fonds disponibles, eux, diminuent.
Les Rohingyas sont dépendants de ces aides pour tout : l’abri, la santé, l’éducation, le traitement des eaux usées [ pris en charge par l’USAID : NDLR], le suivi sanitaire des femmes enceintes, de santé mentale, mais aussi les campagnes de vaccination, dans une zone sensible où des épidémies réapparaissent, comme le choléra l’année dernière. Cela va aussi renforcer la vulnérabilité des communautés face au risque de trafic et de violence, notamment envers les femmes. Et nous sommes à l’approche de saison des pluies, où les besoins explosent en termes de réparation des abris [gérés par le HCR] qui sont fait de bambous, de bâches...
Il y a peu d’espoir de réinstallation [dans un autre pays]. Les États-Unis étaient le pays qui permettait principalement cela, mais Donald Trump a mis fin dès son arrivée à ce programme. [ Une décision pour l’instant suspendue par un juge fédéral : NDLR]
Une réponse humanitaire qui dépend à 55% d’un bailleur est difficile à compenser. Et il n’y a pas que les États-Unis qui envisagent de réduire leurs aides. Nous avons conscience qu’il y a d'autres crises dans le monde, mais ça ne veut pas dire qu’il faut détourner les yeux d’une crise qui dure depuis huit ans.
Ces différentes questions et défis seront au cœur du plan annuel de réponse jointe de la crise de Rohingyas du HCR, qui doit tenir une réunion ce lundi 24 mars à Genève.