
Des dizaines de millions d'électeurs ont voté jeudi 8 février au Pakistan pour des élections ternies par les violences et l'emprisonnement de l'ancien Premier ministre Imran Khan, et qui devraient déboucher sur un quatrième mandat de Nawaz Sharif à la tête du gouvernement.
Les bureaux de vote ont fermé à 17 h (12 h GMT) pour les 128 millions d'inscrits, mais ceux qui se trouvaient déjà dans leur enceinte étaient autorisés à voter au-delà de l'heure limite.
Plus de 650 000 membres des forces de sécurité avaient été déployés pour assurer la sécurité du scrutin.
L'élection avait été ensanglantée mercredi par la mort de 28 personnes, dans deux attentats à la bombe revendiqués par l'organisation État islamique (EI), dans la province du Baloutchistan.

Jeudi, au moins sept membres des forces de sécurité ont été tués dans deux attaques distinctes dans le nord-ouest du pays et au Baloutchistan, et d'autres petites explosions ont eu lieu dans cette dernière province faisant deux blessés, a annoncé la police.
Le ministère de l'Intérieur avait annoncé, peu après l'ouverture des bureaux de vote, que les services de téléphonie mobiles seraient "temporairement suspendus" dans tout le pays pour des raisons de sécurité. L'Internet mobile a aussi été coupé, a fait savoir Netblocks, une organisation qui surveille la cybersécurité et la gouvernance de l'internet.
"La coupure actuelle d'Internet est parmi les plus rigoureuses et étendues que nous ayons observées dans n'importe quel pays", a déclaré à l'AFP Alp Toker, directeur de Netblocks. Cette "pratique est fondamentalement antidémocratique", a-t-il dénoncé.
Les premiers résultats sont attendus avant minuit, mais il faudra sans doute attendre vendredi pour voir émerger une réelle tendance.
"Pas confiance dans l'intégrité des élections"
Ayesha Bibi, une femme au foyer votant à Multan, a raconté être venue "à pied et sur une remorque tirée par un tracteur". "Ça a été un très long et rude voyage", a-t-elle souligné, en appelant le gouvernement à donner du travail aux femmes, "que nous puissions aider nos familles".
L'équité du scrutin a été mise en doute par avance. L'ex-Premier ministre Imran Khan, 71 ans, a été condamné à trois longues peines de prison. Et son parti, le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI), a été décimé par les arrestations et les défections forcées, et empêché de mener campagne.

Les électeurs dépendent de l'envoi de SMS pour confirmer dans quel bureau de vote ils sont enregistrés. L'un d'eux, Abdul Jabbar, 40 ans, a raconté avoir été empêché d'utiliser le service et de localiser son bureau de vote à cause des problèmes d'Internet. "D'autres supporteurs du PTI nous ont finalement aidés à le trouver", a-t-il dit.
"Ma seule peur est de savoir si mon vote sera bien comptabilisé pour le parti pour lequel j'ai voté", a déclaré Syed Tassawar, un ouvrier du bâtiment de 39 ans, à la sortie d'un bureau de vote d'Islamabad.
Les Pakistanais, à 70 %, "n'ont pas confiance dans l'intégrité des élections", a pointé cette semaine l'institut Gallup. La traduction d'un recul démocratique pour un pays dirigé pendant des décennies par l'armée, mais qui avait connu des à partir de 2013, année de la première transition d'un gouvernement civil à un autre.
L'armée a toujours eu une forte influence même sous un pouvoir civil, mais les observateurs estiment qu'elle a interféré encore plus ouvertement dans ces élections. Imran Khan, qui avait pourtant bénéficié de ses faveurs pour être élu en 2018, l'a défiée de front. Il l'a accusée d'avoir orchestré son éviction du poste de Premier ministre en avril 2022 et lui a imputé ses ennuis judiciaires.
Innombrables défis
Sa disgrâce semble devoir profiter à Nawaz Sharif, 74 ans, rentré au Pakistan en octobre après quatre années d'exil à Londres. "Il n'y a pas besoin d'un accord, mais en réalité je n'ai jamais eu aucun problème avec l'armée", a affirmé le chef de la Ligue musulmane du Pakistan (PML-N), au moment de voter dans une école de Lahore.

Même si la PML-N apparaît favorite, l'issue du scrutin pourrait dépendre de la participation, en particulier des jeunes dans un pays où 44 % de l'électorat a moins de 35 ans.
En 2018, Imran Khan avait bénéficié d'un réel engouement populaire, notamment de la part de la jeunesse, assoiffée de changement après des décennies de domination des grandes dynasties familiales jugées corrompues.
La majorité absolue semble un objectif difficilement atteignable pour la PML-N, qui devra probablement former une coalition. Peut-être avec le Parti du peuple pakistanais (PPP) de Bilawal Bhutto Zardari, fils de l'ancienne Première ministre Benazir Bhutto, assassinée en 2007.
Le Pakistan, qui dispose d'un arsenal nucléaire et occupe une position stratégique, entre l'Afghanistan, la Chine, l'Inde et l'Iran, est confronté à d'innombrables défis. La sécurité s'est dégradée, notamment depuis le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan en août 2021. Son économie est en lambeaux, avec une dette abyssale et une inflation avoisinant les 30 %.
Quel que soit le verdict des urnes, la question de la longévité du prochain gouvernement pourrait rapidement se poser, dans un pays où aucun Premier ministre n'a jamais achevé son mandat.
Avec AFP