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L’interception, mercredi, d’un drone américain par les chasseurs russes au-dessus de la mer Noire est l’un des premiers incidents militaires entre la Russie et les États-Unis depuis le début de l'invasion en Ukraine. Mais qu’est-ce que le Reaper MQ-9 qui a attiré les foudres russes ?

Le soleil venait à peine de se lever au-dessus de la mer Noire quand deux chasseurs russes ont provoqué un accident aérien qui a entraîné la chute d’un drone américain, mercredi 15 mars à 7h03.

Depuis lors, Moscou, Washington et Kiev multiplient les déclarations, alternant entre condamnations, et tentative de désamorcer l’escalade des tensions entre les États-Unis et la Russie. 

Successeur du drone Predator

Si l’Ukraine a sauté sur l’occasion pour soutenir que Moscou avait volontairement fait chuter le drone pour entraîner les États-Unis plus avant dans le conflit, Washington s’est montré plus prudent. John Kirby, porte-parole du Conseil américain de sécurité nationale, a regretté un acte “dangereux” et “irréfléchi” de la part des chasseurs russes. Mais plusieurs responsables américains interrogés par le New York Times ont récusé la théorie d’une provocation russe pour forcer la main guerrière des États-Unis. Ils veulent croire à la thèse d’un incident isolé, note le quotidien américain.

De son côté, la Russie a soufflé le chaud et le froid sur cet incident. “La Russie ne cherche pas de confrontation”, a assuré Anatoli Antonov, l’ambassadeur russe à Washington, avant de préciser que “nous partons du principe que les États-Unis cesseront [désormais] leurs vols de drones aussi près de la frontière russe”. 

Il faut dire que la présence à cet endroit de cet appareil peut surprendre. “Jusqu’à maintenant, les Américains ont communiqué sur des missions militaires en mer Noire, mais loin des frontières de la Russie, alors que là il semblerait selon les services américains et britanniques que le drone se trouvait très près des côtes de la Crimée, où les Russes ont d’importantes installations militaires", souligne Alexandre Vautravers, spécialiste des questions d’armement et rédacteur en chef de la Revue militaire suisse. 

Le modèle - un Reaper MQ-9 - est aussi très particulier. “Ces drones sont surtout réputés pour être utilisés dans la chasse aux terroristes”, souligne Jeff Hawn, spécialiste des questions militaires russes et consultant extérieur pour le New Lines Institute, un centre américain de recherche en géopolitique.

Espionner avant de tuer

Ces Reaper MQ-9 sont, en effet, des “engins téléguidés d’environ onze mètres de long équipés de caméras ultra-perfectionnées permettant de suivre de très près des cibles et qui peuvent aussi transporter des missiles pour effectuer des frappes de précisions”, détaille Jeff Hawn. L’armée américaine les utilise depuis 2018 en remplacement des drones Predator qui ont souvent été critiqués pour le nombre important de victimes civiles collatérales lors des “tirs ciblés” en Syrie, en Afghanistan ou encore en Irak, rappelle le New York Times. 

C’est donc un drone aux capacités offensives indéniables qui a été intercepté par les chasseurs russes. Mais les experts interrogés par France 24 ne pensent pas que l’engin déployé au-dessus de la mer Noire ait été “armé”. En l'occurrence, “c’est plutôt pour ses capacités de reconnaissance et de collecte d’information qu’il a dû être déployé dans cette zone”, estime Jeff Hawn. L’armée américaine insiste même sur le fait que le Reaper MQ-9 est un “outil de renseignement” avant d’être un drone tueur. 

L’une des forces du Reaper MQ-9 est son autonomie. “Il peut voler plus de 30 heures en continu, ce qui lui permet de rester longtemps au-dessus d’une cible afin de récupérer le plus d’informations utiles possible”, précise Jeff Hawn.

Et il a de quoi faire une razzia sur les données. Outre ses caméras très performantes, “il dispose d’une charge utile de 300 à 400 kg, ce qui permet d’y embarquer toute une série de  capteurs électromagnétiques, capables d’intercepter, par exemple, les signaux des radars, les télécommunications ou les téléphones mobiles”, souligne Alexandre Vautravers.

De quoi rendre nerveux les Russes sur les bases militaires de Crimée. D'autant qu'un Reaper peut en cacher un autre. "Ils sont déployés en escadron de six à huit drones. Et pour chaque mission, il y en a deux, voire trois qui évoluent ensemble. Le troisième vole un peu en retrait pour servir de plan B en cas de défaillance d’un des deux autres”, explique Jeff Hawn.

Incident isolé ?

Pour ce spécialiste, il ne fait nul doute que l’accident a été provoqué volontairement par les Russes. “Ces drones sont bien moins rapides que les chasseurs russes, ce qui signifie que les pilotes ont dû ajuster leur vitesse pour rester à hauteur du Reaper”, note-il. Washington a affirmé que les avions russes avaient effectué des manœuvres autour de leur drone pendant 30 à 40 minutes.

Le but n’était probablement pas de faire basculer les États-Unis dans la guerre. Les Russes voulaient plutôt “signifier qu’ils ne toléreraient pas ce genre d’incursion en mer Noire, une zone vitale pour Moscou. La flotte russe peut y exercer un contrôle sur le seul accès de l’Ukraine à la mer pour leurs exportations”, détaille Jeff Hawn. La Russie n’a aucune envie que les États-Unis transfèrent les informations glanées par leur Reaper aux Ukrainiens.

Pour Alexandre Vautravers, difficile de comprendre les intentions russes sans savoir qui a donné l’ordre d’intercepter ce drone. “Chaque fois que ce genre d’incident intervient, la même question se pose : à quel niveau hiérarchique la décision a-t-elle été prise. Les implications sont différentes si c’est le commandement naval russe, ou bien le chef de patrouille qui a agi de son propre chef. Et il y a des chances pour qu’on ne le sache jamais”.

In fine, la volonté russe et américaine de ne pas envenimer davantage la situation va peut-être l’emporter sur la recherche des responsables. Mais cela ne signifie pas que Washington soit prêt à tirer un trait sur l’incident. “Il est probable que cela va pousser les Américains à envoyer davantage de drones dans cette zone pour s’assurer des intentions russes. Ils vont vouloir savoir si les Russes vont changer de comportement, suggérant que c’était un incident isolé, ou s’ils vont harceler chaque appareil volant à cet endroit”, conclut Alexandre Vautravers. Et plus il y aura de Reaper à proximité des côtes russes, plus les pilotes russes risquent d’être nerveux.