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Le retour à Abidjan, samedi, des militaires ivoiriens détenus au Mali marque la fin d’un bras de fer de six mois entre les autorités des deux pays. Mais de nombreuses interrogations demeurent quant aux conditions de leur libération alors que les deux camps campent toujours sur leurs positions.

C'est l'épilogue d'une crise diplomatique aux multiples rebondissements. Les 46 soldats ivoiriens détenus au Mali depuis six mois ont atterri samedi 7 janvier à Abidjan, accueillis par le président Alassane Ouattara  lors d'une cérémonie en présence de leurs familles et de l'armée nationale.

Graciés deux jours plus tôt par le président de la transition malienne, Assimi Goïta, ces soldats avaient été condamnés le 30 décembre par la justice malienne à 20 ans de réclusion criminelle pour "crimes d'attentat et de complot contre le gouvernement".

"Maintenant que cette crise est derrière nous, nous pourrons reprendre des relations normales avec le Mali", a déclaré Alassane Ouattara lors de son discours, tout en insistant sur le bien-fondé de la mission des soldats ivoiriens, qualifiés de "héros" envoyés au Mali pour "apporter la paix".

Très heureux de retrouver nos 46 soldats. Nous sommes fiers de la discipline, de la patience et du courage dont ils ont fait preuve durant ces mois de détention. pic.twitter.com/eqM0C1n81X

— Alassane Ouattara (@AOuattara_PRCI) January 8, 2023

Récits contradictoires

Depuis le début de cette affaire, deux versions des faits diamétralement opposées s'affrontent. Arrêté le 10 juillet à son arrivée à Bamako, le groupe de militaires est accusé par les autorités maliennes d'être des "mercenaires" venus au Mali avec le "dessein funeste" de "briser la dynamique de la refondation et de la sécurisation" du pays.

Les autorités de transition leur reprochent notamment d'être arrivés "sans autorisation ni ordre de mission" et d'avoir donné des versions contradictoires quant à la raison de leur présence.

Abidjan affirme de son côté que sont des éléments nationaux de soutien (NSE) de la Minusma. Il s'agit d'effectifs déployés par les pays contributeurs de troupes à l'opération de l'ONU au Mali. Tout en reconnaissant des "manquements" et des "dysfonctionnements administratifs", la Côte d'Ivoire et les Nations unies plaident alors la bonne foi et demandent la "libération immédiate" des soldats emprisonnés.

Mais mi-août, la justice malienne inculpe et écroue les militaires détenus pour "tentative d'atteinte à la sûreté de l'État".

Le 3 septembre, la médiation togolaise pilotée par le ministre des Affaires étrangères, Robert Dussey, obtient une première avancée : la libération de trois femmes soldats. "Les discussions sont en cours pour que, très rapidement, les autres soldats en détention puissent retrouver leur liberté totale", déclare-t-il alors.

Pourtant, les 46 militaires autres militaires resteront emprisonnés jusqu'à leur condamnation le 30 décembre pour "crimes d'attentat et de complot contre le gouvernement, atteinte à la sûreté extérieure de l'État, détention, port et transport d'armes et de munitions de guerre".

Un contentieux plus profond

La libération des militaires ivoiriens, accordée par grâce présidentielle, a été rendue possible par la signature d'un accord, le 22 décembre à Bamako, en présence du ministre de la Défense de la Côte d'Ivoire et du ministre des Affaires étrangères togolais.  

Si peu de détails ont fuité sur le contenu de ces négociations destinées à "promouvoir à la paix entre le Mali et la Côte d'Ivoire", les griefs des autorités maliennes envers le pouvoir ivoirien vont bien au-delà de l'affaire des soldats, souligne le juriste malien Mamadou Ismaïla Konaté, garde des Sceaux sous la présidence d'Ibrahim Boubacar Keïta. 

"Bamako juge Alassane Ouattara responsable des pressions et sanctions imposées par la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) contre les militaires putschistes, pour les contraindre à organiser des élections démocratiques dans un délai de 24 mois. Il est vrai que la Côte d'Ivoire est l'une des principales puissances économiques de cette communauté et à ce titre a un pouvoir décisionnel très important. Les embargos, imposés à deux reprises contre le Mali et la fermeture des frontières ivoiriennes en particulier ont été perçus comme une trahison par Bamako de la part de son voisin."

Rancœur palpable

Les autorités maliennes accusent par ailleurs le pouvoir ivoirien d'offrir l'asile à des ennemis de la nation recherchés par la justice, comme Karim Keïta, fils de l'ancien président Ibrahim Boubacar Keïta, ou bien encore l'ancien ministre de la Défense Tiéman Hubert Coulibaly, qu'elles souhaiteraient voir extradés.

Enfin, selon le correspondant de RFI Serge Daniel, une visite à Abidjan du président de transition malien Assimi Goïta aurait été abordée lors des discussions, pour passer en revue les accords de coopérations entre les deux pays.

"Pour ce qui est des extraditions, la Côte d'Ivoire avait opposé un refus extrêmement ferme et il est fort peu probable que cette position ait bougé lors des négociations", analyse Mamadou Ismaïla Konaté. "Une visite officielle à Abidjan serait un évènement important pour le pouvoir malien, qui est à la recherche d'actes de légitimation et d'aides financières. Mais elle risquerait de heurter les soutiens les plus souverainistes de la junte qui considèrent la Côte d'Ivoire comme un ennemi, notamment du fait de sa proximité avec la France."

S'il a insisté sur l'importance de la fraternité entre les deux peuples lors de son discours devant les militaires libérés, Alassane Ouattara n'a pu masquer une certaine rancœur. Les soldats ont "été détenus pendant six mois dans le pays frère du Mali. Le pays frère et ami", a souligné le président ivoirien. Il a par ailleurs rappelé Bamako à son engagement d'organiser des élections démocratiques et constitutionnelles en 2024 "comme arrêté d'un commun accord entre les autorités maliennes et la Cédéao".