Londres et Paris se livrent à une vraie joute verbale au sujet de l'impartialité du nouveau commissaire européen au Marché intérieur, Michel Barnier. A l'origine de cette tension, des propos de Nicolas Sarkozy sur le "triomphe" des idées françaises.
AFP - A peine désigné, le nouveau commissaire européen chargé de la régulation financière, Michel Barnier, a reçu une mise en garde de Londres, prêt à se défendre bec et ongles face à un homme qu'elle voit comme le porte-drapeau d'une offensive française contre la prééminence de la City.
"Londres, qu'on le veuille ou non, est la seule place qui rivalise véritablement avec New York", et "il est dans l'intérêt de toute l'Europe qu'elle puisse prospérer", a plaidé le ministre britannique des Finances Alistair Darling, dans une tribune publiée mercredi dans le Times.
Il y prévient M. Barnier des dangers d'une régulation trop lourde, que les Britanniques accusent la France de vouloir mettre en place au détriment de l'approche plus souple en vigueur dans le monde financier anglo-saxon.
"Nous risquons de perdre des activités au profit d'autres juridictions moins réglementées", déplore M. Darling.
Cette tribune est publiée le jour-même d'une réunion à Bruxelles des ministres des Finances de l'UE, qui devait aborder la question de la réforme de la régulation. Elle laisse augurer de discussions mouvementées entre le ministre britannique, et son homologue française Christine Lagarde, qui devaient s'entretenir en tête-à-tête.
Les tensions franco-britanniques ont été attisées par des propos du président de la République Nicolas Sarkozy, qui ont sonné comme une provocation de l'autre côté de la Manche.
Les Britanniques estiment que le chef de l'Etat français a jeté de l'huile sur le feu en présentant la nomination de M. Barnier comme un "triomphe" de la régulation à la française, et en déclarant au journal le Monde que "les Anglais sont les grands perdants de l'affaire".
Ces déclarations ont fait très mauvais effet dans la City, où la désignation de M. Barnier comme superviseur en chef de la finance est perçue comme un camouflet sans précédent.
"Ce processus de régulation européen est conçu pour éradiquer à jamais l'avantage compétitif chèrement conquis, dont jouissent les marchés financiers britanniques depuis de nombreuses années", a déploré ainsi Howard Wheeldon, stratégiste du cabinet BGC Partners, qualifiant les propos de M. Sarkozy d'"arrogants, déplacés et fort peu diplomatiques".
La presse a elle aussi été prompte à s'offusquer de l'attitude de Paris. Le Daily Telegraph a décrit M. Barnier comme un "béni-oui-oui de Nicolas Sarkozy", tandis que le Times a consacré mercredi une double page à cette affaire, qu'il présentait presque comme un nouvel épisode de la Guerre de Cent ans.
"L'Histoire se répète, avec la nouvelle attaque française contre la City", a titré le journal, comparant "l'antipathie" du président Sarkozy à l'égard de Londres à celle autrefois affichée par le général de Gaulle ou même... Napoléon.
Une des rares voix discordantes a été celle du patron du gendarme des marchés, Adair Turner, qui a mis ces inquiétudes sur le compte de la traditionnelle rivalité franco-britannique, et appelé à surmonter ces clichés.
"Nous avons été alliés, mais aussi ennemis depuis tellement de siècles (...) que nous avons du mal à sortir des caricatures", a-t-il déclaré dans un entretien à la chaîne d'information France 24, se disant "sûr que M. Barnier essaierait de mettre au point une régulation qui soit bonne pour toute l'Europe".
Face à cette colère grandissante des Britanniques, le président Sarkozy s'est engagé samedi à venir à Londres pour "rassurer la City".
M. Barnier lui-même a assuré sur Europe 1 lundi "connaître l'importance de la City, cette place financière majeure pour la croissance du Royaume-Uni et pour l'économie de l'Europe toute entière".