Nazanin Zaghari-Ratcliffe est emprisonnée à Téhéran depuis cinq ans. Son sort est étroitement lié à une dette du Royaume-Uni vis-à-vis de l'Iran, après la rupture d'un contrat d'armement en 1979. Si les Britanniques consentent désormais à rembourser cette dette, ils ne peuvent le faire tant que durent les sanctions américaines visant la République islamique. L'Irano-Britannique se retrouve prisonnière d'un jeu diplomatique qui la dépasse. Récit.
La vie de Nazanin Zaghari-Ratcliffe a basculé le 3 avril 2016. Ce jour-là, cette Irano-Britannique est arrêtée avec sa fille Gabriella, pas encore deux ans, à l'aéroport de Téhéran. Elle vient de rendre visite à sa famille pour le nouvel an iranien. Accusée d'avoir "comploté pour renverser le régime" islamique, ce qu'elle nie farouchement, elle est alors séparée de son enfant, dont le passeport britannique est confisqué, et envoyée en prison. Débute alors un long calvaire pour cette mère de famille, marqué par de rudes séjours en isolement dans des cellules sans fenêtre, des grèves de la faim et des privations de soins médicaux. Parmi les pires épreuves subies, elle dort plus d'un mois dans les mêmes vêtements. Nazanin Zaghari-Ratcliffe va jusqu'à envisager le suicide.
Après cinq années d’emprisonnement, la binationale doit faire face dans quelques jours à de nouvelles accusations de "diffusion de propagande contre le régime". La justice iranienne l’a convoquée dimanche 14 mars pour examiner les nouvelles charges qui pèsent contre elle. Son passeport ne lui a toujours pas été restitué. Nazanin Zaghari-Ratcliffe, dont le mari et la fillette de 6 ans se trouvent à Londres, ne peut donc pas quitter l’Iran pour rejoindre ses proches.
Libérée de son bracelet électronique depuis le 7 mars, elle est loin d’en avoir fini avec la justice iranienne. Pour de nombreux spécialistes de géopolitique, le sort de cette cheffe de projet de 42 ans, employée par la fondation Thomson Reuters, est lié à un jeu diplomatique qui dépasse largement son cas.
Objet de chantage pour une dette de 464 millions d'euros
Pour son mari, Richard Ratcliffe, qui milite depuis toutes ces années pour la libération de son épouse, Nazanin est l'"otage" d'un sinistre jeu politique portant sur une dette de 400 millions de livres (464 millions d'euros) due par le Royaume-Uni à l’Iran dans le cadre d'un contrat d'armement passé avant l'avènement de la Révolution islamique en 1979.
"À l’époque, le chah d’Iran avait acheté plus d'un millier de blindés [1 750 chars Chieftain] à la Grande-Bretagne et il avait versé une avance car il y avait alors beaucoup d’argent dans les caisses de l’État iranien", se souvient François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France à Téhéran entre 2001 et 2005. Mais après la Révolution islamique, le Royaume-Uni a refusé d'honorer la commande.
En 2017, après des années de négociations et de bataille judiciaire, la Grande-Bretagne s’est dite prête à régler sa facture à Téhéran, tout en niant un quelconque lien avec la détention de Nazanine Zaghari-Ratcliffe. Mais c’était sans compter le rétablissement des sanctions américaines à l’encontre de l’Iran par Donald Trump en 2018. "Les Britanniques ne nient pas qu’ils ont une dette. Le problème, ce sont les sanctions américaines qui empêchent la Grande-Bretagne de verser l’argent à l’Iran", explique le diplomate français.
Les regards se tournent donc désormais vers Washington, où l’arrivée de Joe Biden à la présidence pourrait conduire, à terme, à une levée des sanctions interdisant les échanges bancaires avec l’Iran. Dans un jeu de domino diplomatique, la pression continue sur le Royaume-Uni vise également ses alliés américains, dont les sanctions étouffent la République islamique. "La pauvre Nazanin Zaghari-Ratcliffe se trouve victime d’une lutte inextricable entre deux États", commente François Nicoullaud.
Conscient des enjeux sous-jacents, le mari de Nazanin, Richard Ratcliffe, ne cesse de demander à son gouvernement d’agir. "Pour moi, c'est clairement une partie d'échecs. Elle en est le pion", a-t-il déclaré, lucide, dans une interview la semaine dernière. "Et ce n'est pas le début de cette partie." D’après lui, des responsables iraniens ont dit à son épouse que sa détention prendrait fin lorsque Londres aurait réglé la fameuse dette de 400 millions de livres.
"Un moyen de pression extraordinaire"
Nazanin n’est pas la seule à être retenue en Iran. Une dizaine de ressortissants étrangers sont actuellement dans ce cas, dont deux Français : la chercheuse Fariba Adelkhah, placée en résidence surveillée depuis octobre 2020 après avoir effectué 16 mois de prison, et un touriste français détenu depuis mai 2020. Ce dernier a été arrêté dans des circonstances floues dans une zone désertique située à la frontière entre l'Iran et le Turkménistan, alors qu’il effectuait un tour du pays en van.
Si d’aucuns appellent ce phénomène la "diplomatie des otages", François Nicoullaud préfère le terme de "prise d’otage". "Ça n'est rien moins que ça. Cela relève de la prise d’otage. C’est une très mauvaise habitude iranienne pour obtenir des contreparties. Elle a commencé avec les débuts de la République islamique en 1979 lorsque 53 otages de l’ambassade américaine de Téhéran ont été détenus pendant près d’un an et demi. Depuis, ça se répète, et l’Iran a vu que ce moyen de pression extraordinaire fonctionnait au fil des années."
L’un des derniers otages libérés, le chercheur français Roland Marchal, a été relâché en mars 2020 après neuf mois de détention. Il a retrouvé la liberté dans le cadre d'un échange avec un ingénieur iranien détenu en France. Washington, qui réclamait l’extradition de cet Iranien, l’accusait d’avoir enfreint les sanctions sur l’importation de systèmes électroniques sensibles vers l’Iran.
La "ligne dure" des Gardiens de la révolution
Dans le cas de Fariba Adelkhah et du touriste français, leur sort pourrait être lié à celui du diplomate iranien Assadollah Assadi, condamné le 4 février à 20 ans de prison par la justice belge pour son rôle dans le projet d'attentat à la bombe contre des opposants au régime de Téhéran, les Moudjahidine du peuple, lors d’un rassemblement en France à Villepinte en 2018. Le diplomate a depuis fait appel contre sa condamnation.
Pour Thierry Coville, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), la multiplication des arrestations d'étrangers en Iran ces dernières années n'est pas un hasard. Derrière cette stratégie se cache la patte des Gardiens de la révolution, liés aux groupes les plus radicaux. "Les pasdarans iraniens n’ont aucune confiance dans la diplomatie traditionnelle, prônée par le président Hassan Rohani, basée sur la discussion et la normalisation des relations avec l’Occident. Eux sont sur une ligne dure, ils prônent un rapport de force brutal, qu’ils jugent plus efficace."
Le rétablissement des sanctions américaines contre Téhéran en 2018 leur a donné raison. "Ceux qui prônaient une diplomatie constructive de la part de l’Iran en sont sortis appauvris", constate le chercheur.
Avec AFP