Twitter a décidé mardi 21 juillet de suspendre plusieurs milliers de comptes liés à la théorie du complot QAnon. Une sanction qui intervient alors que cette mouvance a réussi à percer dans le paysage politique, comptant une dizaine de candidats républicains adeptes du mystérieux "Q" pour les élections de novembre prochain au Congrès.
La décision prise par Twitter de suspendre, mardi 21 juillet, 7 000 comptes liés à la mouvance pro-Trump, et qui répand de nombreuses théorie du complot, QAnon peut apparaître comme une nouvelle tentative du réseau social de limiter la prolifération de désinformation. Mais depuis son apparition dans les recoins les plus conspirationnistes du Web en 2017, cette théorie, qui fait de Donald Trump le seul rempart contre une élite sataniste déterminée à contrôler tous les pouvoirs, a trouvé une audience toujours plus large jusqu'à se faire une place dans le paysage politique américain.
Mike Cargile en Californie, Laurent Boebert dans le Colorado ou encore Marjorie Taylor Greene en Georgie font partie des candidats, essentiellement républicains, pour les élections de novembre au Congrès qui ne cachent pas leur sympathie pour le "mouvement" QAnon.
Hashtags cryptiques
Difficile de savoir combien ils sont à soutenir cette théorie abracadantesque tout en cherchant à entrer au Congrès. Le site Media Matters avait estimé, en janvier, que plus de soixante candidats pouvaient être considérés comme des disciples, mais ils ne seraient plus que onze à être encore en course (sur 435 sièges à pourvoir), d'après le site Axios.
C'est déjà beaucoup. QAnon fait, en effet, partie des théories les plus folles à avoir émergé ces dernières années. Apparue en 2017 sur le site communautaire 4Chan, terreau fertile à l'expression de toutes les opinions sur tous les sujets, elle s'articule autour des messages d'un mystérieux Q, considéré par ses adeptes comme un responsable haut placé dans l'administration américaine déterminé à faire éclater la vérité autour d'une vaste conspiration dans les coulisses du pouvoir.
Selon cette théorie, ce sont les "soldats" de Q qui auraient fait élire Donald Trump, identifié comme le seul candidat en 2016 à avoir les "vertus morales" pour éradiquer la "cabale" de satanistes adeptes du sacrifice d'enfants au pouvoir, résume l'Anti-Defamation League, une organisation de lutte contre le racisme.
Depuis lors, ils s'activent derrière leur clavier pour protéger et aider leur "champion" contre le système, ce grand ennemi qui regroupe démocrates, médias, industries pharmaceutiques… et Georges Soros (l'éternelle cible de la plupart des théories du complot d'extrême droite). Ils pensent, notamment, que les démocrates – à commencer par Hillary Clinton – profitent du pouvoir pour gérer en toute impunité un vaste réseau de trafic d'enfants.
Ils ont leurs signes de reconnaissance, constitués essentiellement de hashtags cryptiques qui pullulent sur Twitter ou sur YouTube. L'un des plus fréquents, #WWG1WGA signifie "Where we go one we go all" ("Où l'un d'entre nous va, nous allons tous"). Il apparaît même dans le profil Twitter du candidat républicain Mike Cargile. Un autre, #Trusttheplan, qui fait référence au grand dessein de "Q" de mettre un terme au complot, se retrouve régulièrement dans les messages sur les réseaux sociaux d'Angela Stanton-King, qui se présente en Géorgie.
Cette dernière a même reçu le soutien officiel du parti républicain, qui a versé 2 200 dollars pour l'aider à mener campagne, malgré ses élucubrations sur Internet… et le fait qu'elle ait été condamnée dans une affaire de vols de voiture.
Risque de terrorisme domestique
Le laisser-faire des républicains – voir leur soutien en Géorgie – vis-à-vis de ces candidats apparaît d'autant plus troublant que le FBI a officiellement affirmé, en mai, que QAnon posait un "risque potentiel de terrorisme domestique". Certains des adeptes sont d'ailleurs déjà passés à l'acte. En mars 2019, un homme a abattu le chef de la famille mafieuse Gambino, parce qu'il pensait que ce dernier travaillait avec les "comploteurs" de l'establishment pour nuire à Donald Trump… Dans le Montana, une femme, qui avait perdu la garde de son enfant, l'a kidnappé parce qu'elle pensait que les services sociaux faisaient du trafic d'enfants pour le compte de cette fameuse élite sataniste de l'ombre.
En réalité, les républicains ne font que suivre l'exemple de Donald Trump. Le président américain a, à plusieurs reprises, retweeté des messages qui font référence à cette théorie du complot. Il a même congratulé Marjorie Taylor Greene, une "QAnoniste" décomplexée, pour être arrivée en tête des primaires républicaines dans un district de Georgie. Durant la campagne, elle avait notamment déclaré que QAnon était une "opportunité unique de se débarrasser de la clique sataniste de pédophiles" qui contrôlerait, selon elle, les rouages du pouvoir.
La sympathie exprimée par Donald Trump pour cette mouvance n'a rien de surprenant. Après tout, il a souvent été qualifié de "conspirationniste en chef". Mais avec QAnon, il est presque en famille. En "2016, il a gagné en promettant de faire le ménage à Washington. Une promesse qui lui a permis de fédérer une large coalition d'électeurs anti-système et QAnon représente simplement la frange la plus extrême de cet électorat", explique au New York Times, Joseph Uscinski, un chercheur de l'université de Miami, spécialisé dans les groupes politiques marginaux.
Les républicains dans l'embarras
Les républicains se retrouvent donc dans l'embarras. Condamner les candidats QAnon reviendrait à aller à l'encontre de la volonté du locataire de la Maison Blanche, qui sera également leur champion lors de l'élection présidentielle de novembre. Mais en adoptant la politique de l'autruche, ils courent le risque de laisser entrer un loup dangereux aux yeux du FBI dans la bergerie républicaine.
La décision de Twitter de suspendre des milliers de comptes liés à cette théorie du complot souligne davantage encore à quel point cette mouvance est politiquement infréquentable. Une sanction qui confère des munitions aux démocrates, bien décidés à exploiter cette porosité du parti républicain à QAnon. "Nous n'allons pas manquer de le souligner", a affirmé, début juillet, Cheri Bustos, présidente du Comité de campagne démocrate pour les élections au Congrès. Elle espère que ces candidatures saugrenues agissent comme autant d'épouvantails pour l'électorat traditionnel des Républicains, qui n'a que faire de partir à la chasse aux satanistes imaginaires.