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La basilique Sainte-Sophie, la "merveille des merveilles" aux trois vies

À Istanbul, la basilique Sainte-Sophie, que le président turc, Recep Tayyip Erdogan, souhaite reconvertir en mosquée, est un joyau architectural à l’histoire mouvementée.

L’un des symboles d’Istanbul, œuvre architecturale majeure, la basilique Sainte-Sophie, surnommée la "merveille des merveilles", devenue un musée en 1934, fait aujourd’hui l’objet d’une décision très politique concernant son statut. Plusieurs associations demandent sa reconversion en mosquée. Elles sont appuyées par le président Recep Tayyip Erdogan, un nostalgique de l’Empire ottoman qui cherche aujourd’hui à rallier l’électorat conservateur et qui a fait de cette reconversion une promesse électorale. Un épisode de plus dans la riche histoire de cet édifice byzantin.

Construite au VIe siècle par les Byzantins qui y couronnaient leurs empereurs, Sainte-Sophie est un site classé au patrimoine mondial de l'Unesco et l'une des principales attractions touristiques d’Istanbul.

C’est l’empereur byzantin Justinien qui lance sa construction en 532 dans la ville qui s’appelle alors Constantinople. Il confie aux architectes Isidore de Milet et Anthémius de Tralles une mission : bâtir le plus grand édifice chrétien du monde. Pour cela, rien n’est trop beau : une centaine de colonnes hellénistiques du temple d’Artémis à Éphèse, marbre vert de Thessalie, marbre blanc de Marmara, marbre rose de Synada, marbre jaune d’Afrique, marbre noir des Pyrénées, pierres noires de la région du Bosphore…

La plus grande coupole du monde

"Justinien fait construire une basilique époustouflante, affirme Frédéric Hitzel, chercheur au CNRS et spécialiste de l’histoire ottomane, contacté par France 24. Les visiteurs sont impressionnés par ses dimensions, en particulier par sa coupole qui est alors la plus grande du monde (55 mètres de hauteur, 30 mètres de diamètre) et qui le restera jusqu’à la construction de Saint-Pierre de Rome, mille ans plus tard."

Il faut au total un peu moins de six années aux plus de 10 000 ouvriers et aux 100 maîtres d’œuvre pour construire "Hagía Sophía", qui signifie en grec ancien "sagesse divine". Après son inauguration en 537, l’église devient le siège du patriarcat orthodoxe et accueille le couronnement des empereurs byzantins.

Son histoire n’est pas de tout repos. En partie détruite par de nombreux tremblements de terre, elle est systématiquement reconstruite. Mais elle est également pillée par les croisés lors du sac de Constantinople en 1204. Ses richesses, en particulier les matières précieuses de son autel, sont très recherchées. La basilique devient alors une cathédrale catholique romaine jusqu’au départ des occupants en 1261.

Transformée en mosquée

En 1453, les Ottomans s’emparent de Constantinople. Alors que la plupart des lieux chrétiens de la ville sont pillés, le sultan Mehmed II ordonne que Sainte-Sophie soit préservée puis transformée en mosquée. C’est le début d’une nouvelle ère pour la basilique, à laquelle est ajouté un minaret.

"Mehmed II fait construire le palais impérial de Topkapi à proximité et se rend ainsi à la prière tous les vendredis en cortège, raconte Frédéric Hitzel. Puis, Sainte-Sophie sert de modèle à la construction d’autres mosquées, notamment la mosquée Süleymaniye construite entre 1550 et 1557 par le célèbre architecte Sinan ou la mosquée Sultanahmet, dite Mosquée bleue inaugurée en 1616."

Au fil des siècles, trois autres minarets sont ajoutés à Sainte-Sophie et les mosaïques chrétiennes, auxquelles Mehmed II n’avait pas touché, finissent par être recouvertes de plâtre à partir de 1750. De nombreuses restaurations sont entreprises pour conserver l’édifice sur pied, comme entre 1847 et 1849, sous le sultan Abdülmecid, qui fait consolider la coupole et les voûtes et revoit la décoration intérieure et extérieure. Une partie de l’épais badigeon qui recouvrait les mosaïques est alors retiré.

Atatürk offre Sainte-Sophie "à l’humanité"

Mais l’histoire tumultueuse de Sainte-Sophie prend un nouveau virage en 1934. Le président de la récente République de Turquie, Mustafa Kemal Atatürk, décide de "l’offrir à l’humanité" en faisant de la mosquée un musée. Sa restauration, entre 1930 et 1935, permet de découvrir complètement les mosaïques, considérées comme une référence de l’art byzantin.

"Atatürk, qui était très laïc, souhaitait voir son pays entrer dans la modernité et pour lui, cela passait par ce symbole, celui d’un pays ouvert et prêt à accueillir les chrétiens du monde, explique Frédéric Hitzel. Et alors que la Turquie souffrait de la crise économique après le crach de 1929, faire de Sainte-Sophie un musée permettait d’attirer tous les regards du monde entier, et notamment celui des investisseurs, sur Istanbul."

Aujourd'hui, Sainte-Sophie est toujours un musée visité par des millions de touristes chaque année. L'an dernier, c'était même l'attraction touristique la plus visitée de Turquie, avec 3,8 millions de personnes.

Néanmoins, Sainte-Sophie a été le théâtre de plusieurs activités liées à l'islam ces dernières années. Depuis l'arrivée de Recep Tayyip Erdogan au pouvoir en 2003, celles-ci se sont multipliées à l'intérieur de Sainte-Sophie, avec notamment des séances de lecture du Coran ou des prières collectives sur le parvis du monument. En 2018, le président Erdogan y a lui-même lu un verset du Coran.

Depuis 2005, des associations ont à plusieurs reprises saisi la justice pour réclamer un retour au statut de mosquée, sans succès jusqu'à présent.