Plus de 200 annonceurs soutiennent le mouvement de boycott publicitaire contre Facebook, accusé de ne pas s’être montré suffisamment ferme à l’égard des discours haineux en ligne. Ce n’est pas la première crise que traverse le roi des réseaux sociaux… généralement sans trop de mal. En quoi cela peut-il être différent cette fois-ci ?
Ford a rejoint, lundi 29 juin, Verizon, Coca Cola, Unilever, Levi Strauss, Microsoft ou encore le fabricant de vêtements de sport The North Face. En tout, plus de 240 groupes, organisations ou particuliers ont décidé de soutenir le boycott publicitaire visant Facebook.
Ils l’accusent de n’être pas suffisamment ferme contre les discours haineux sur sa plateforme et de ne pas avoir sévi, en particulier, contre un message posté il y a deux semaines, le 29 mai, par le président américain Donald Trump, perçu comme une incitation à la violence contre les manifestants du mouvement Black Lives Matter.
“In a Monday research note, MKM Partners linked to a spreadsheet that by the evening listed more than 240 companies, organizations and individuals committed to the campaign associated with the hashtag #StopHateForProfit.”
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Une simple crise de plus ?
Et c'est en Bourse, que le géant des réseaux sociaux commence à ressentir les effets de cette colère des publicitaires, qui dure depuis plus de dix jours. Le groupe avait perdu plus de 56 milliards de dollars de capitalisation boursière en fin de semaine dernière.
Ce n’est pas la première fois qu’une grogne menace l’empire bâti par Mark Zuckerberg. Le scandale Cambridge Analytica en 2018, les accusations d’avoir laissé libre cours à la campagne de propagande russe durant l’élection présidentielle américaine de 2016, la protection jugée insuffisante des données personnelles : autant de controverses qui ont poussé Facebook dans ses retranchements et eu des conséquences négatives sur ses résultats financiers. Mais le groupe, à chaque fois, s’en est sorti par des aménagements au fonctionnement de sa plateforme et des promesses de faire mieux à l’avenir.
Cette fois encore, Mark Zuckerberg a eu recours aux vieilles recettes à l’efficacité éprouvée. Il a annoncé, vendredi, un renforcement des contrôles sur les messages politiques postés en ligne, et une interdiction de certaines publicités de campagne. Un virage à 180° considérant que dix jours plus tôt, le même avait assuré ne pas vouloir jouer à l’arbitre de ce qui était politiquement tolérable sur sa plateforme. “C’est une manière de souligner qu’il est capable d’aligner sa plateforme avec ce qu’il pense être l’évolution de la société, même si cela ne correspond pas à ses propres convictions”, souligne Yuval Ben-Itzhak, PDG de Socialbakers, une société européenne d’analyse des réseaux sociaux, contacté par France 24.
Pas d’alternative à Facebook pour un annonceur
Mais cela sera-t-il suffisant pour ramener les annonceurs dans le droit chemin ? Certains indices suggèrent que cette révolte risque de faire beaucoup de bruit pour pas grand-chose. D’abord, “il y a environ 200 entreprises qui y participent sur un total de huit millions d’annonceurs, ce qui n’est pas très représentatif”, souligne Johannes Habel, professeur de marketing à la Warwick Business School, contacté par France 24. Certes, des grands groupes se sont joints à ce mouvement, “mais il ne faut pas oublier que la part du lion des revenus publicitaires de Facebook provient des petites et moyennes entreprises qui ont besoin d’atteindre localement leur clientèle”, rappelle l’expert de l’université britannique.
Les boycotteurs n’avancent pas non plus en rangs serrés. Certains ont prévenu qu’ils s’abstiendraient de faire de la publicité sur Facebook pour un mois seulement, d’autres ont décidé de reporter leur budget sur Instagram (également propriété de l’empire de Mark Zuckerberg), sans compter tous ceux qui ont annoncé un arrêt des dépenses publicitaires sur tous les réseaux sociaux, mais sans invoquer leur désaccord avec la politique de contrôle des contenus de Facebook. Enfin, “il n’est pas exclu que des annonceurs aient profité de l’occasion pour se faire un peu de publicité gratuite en faisant passer des réductions budgétaires déjà actées à cause de la crise économique pour un soutien au mouvement de boycott”, estime Alexandre Baradez, analyste financier pour le cabinet de conseil IG Markets, contacté par France 24.
Autant de raisons qui poussent le spécialiste israélien des réseaux sociaux, Yuval Ben-Itzhak, à juger que ce mouvement s’essoufflera rapidement. “L’audience de Facebook fait qu’il n’y a pas de vrai alternative pour un annonceur. C’était comme ça lors des précédentes crises traversées par le réseau social, et je pense que ce sera pareil cette fois-ci”, note-t-il. Pour lui, il suffit à Mark Zuckerberg de faire le dos rond quelque temps en attendant que la tempête passe.
La rançon du succès de Facebook
Tout le monde n’est pas de cet avis. “C’est une crise sans précédent pour le réseau social car, cette fois-ci, les critiques viennent de tous les côtés : les annonceurs, les investisseurs et les utilisateurs à travers le hashtag #StopHateforProfit”, assure Johannes Habel. Pour lui, le PDG de Facebook va devoir “envoyer un signal fort rapidement” pour démontrer que ses annonces ne sont pas que des belles paroles, afin d’éviter que le mouvement prenne de l’ampleur. Cet expert ne serait pas étonné si le réseau social venait “à imiter Twitter” en se montrant plus sévère à l’égard des publications de Donald Trump.
Une autre différence avec les crises précédentes vient du poids toujours plus important de Facebook dans la sphère financière. Le réseau social “et les autres géants du Net sont devenus les principales valeurs qui tirent vers le haut les grands indicateurs boursiers américains comme le S&P et le Nasdaq. Si l’action de l’un de ces groupes vient à chuter trop brutalement, c’est tout l’indice boursier qui va s’en ressentir”, explique l’analyste financier Alexandre Baradez.
Le contexte politique américain actuel ne facilite pas la tâche au patron de Facebook. Ce boycott “touche un thème - les discriminations raciales - qui divise la société américaine depuis longtemps et la campagne électorale risque d’exacerber encore plus les passions à ce sujet”, note Johannes Habel. En d’autres termes “quoi que Mark Zuckerberg décidera de faire, il fera des mécontents”, ajoute Yuval Ben-Itzhak, PDG de Socialbakers. S’il ne se montre pas suffisamment ferme, il va être accusé de vouloir faire plaisir à Donald Trump et s’il prend des mesures trop fortes “il pourrait très bien susciter un autre mouvement de boycott, cette fois-ci de marques, qui dénonceraient l’attitude de Facebook comme une atteinte au principe de liberté d’expression absolue à l’américaine”, estime Johannes Habel. Pour lui, cette crise est la première de l’histoire de Facebook “dont Mark Zuckerberg ne peut pas ressortir gagnant”.