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Tensions Afghanistan-Pakistan : les Taliban veulent s'affranchir de la tutelle pakistanaise
Des dizaines de soldats ont été tués de part et d’autre de la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan au cours de violents affrontements samedi soir. Les tensions entre les deux pays ne cessent d’augmenter depuis le retour au pouvoir des Taliban en Afghanistan en 2021 et le récent rapprochement entre Kaboul et New Delhi, ennemi juré d’Islamabad.
Des militaires afghans montent la garde le long de la frontière dans le district de Zazai Maidan, dans la province de Khost, en Afghanistan, le dimanche 12 octobre 2025, après des affrontements nocturnes avec les forces pakistanaises. © Saifullah Zahir, AP

Les affrontements entre les armées pakistanaise et afghane ont fait plusieurs dizaines de morts samedi 11 octobre, auxquels Islamabad a promis dimanche une "réponse musclée". L'Afghanistan affirme avoir riposté à des "violations répétées" de son espace aérien, tandis qu’Islamabad accuse le régime de Kaboul d’avoir mené une opération "scandaleuse".

Le porte-parole des Taliban, Zabihullah Mujahid, a affirmé dimanche que "58 soldats pakistanais ont été tués et 9 combattants talibans ont perdu la vie" lors de cette attaque menée dans plusieurs provinces frontalières. L’armée pakistanaise parle quant à elle de 23 soldats tués dans ses rangs et assure avoir "neutralisé plus de 200 Taliban et terroristes affiliés" grâce à des frappes de précision.

Le Premier ministre pakistanais Shehbaz Sharif a averti Kaboul qu’aucune provocation ne resterait "sans réponse musclée". De son côté, le ministre afghan des Affaires étrangères Amir Khan Muttaqi a assuré que "l’opération nocturne" avait "rempli ses objectifs" et que "le conflit" était "terminé", après une médiation du Qatar et de l’Arabie saoudite.

Islamabad accuse Kaboul d’héberger les Taliban pakistanais

Avec le retour au pouvoir des Taliban en 2021, des tensions sont apparues entre les deux voisins, qui partagent une frontière commune longue de plus de 2400 kilomètres. Selon Christine Fair, politologue spécialiste de l’Asie du Sud à l’université Georgetown, aux États-Unis, leur opposition féroce tient à trois raisons : "Le rejet par les Taliban de la frontière entre les deux pays, définie en 1893 par la ligne Durand ; la destruction de grilles frontalières mises en place par Islamabad ; et le fait que le Pakistan accuse les Taliban afghans d’abriter le Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP), principale mouvance des Taliban pakistanais."

Ce groupe djihadiste, issu du même creuset idéologique que les Taliban afghans, a la spécificité d’être dirigé contre l’État pakistanais. Le TTP est accusé par Islamabad d’avoir tué des centaines de soldats depuis le retour au pouvoir des Taliban à Kaboul. Le mouvement pakistanais a revendiqué samedi une nouvelle série d’attaques ayant fait 23 morts au Pakistan.

Pour de nombreux observateurs, Taliban pakistanais et afghans agissent "main dans la main". "Les Taliban afghans sont désormais au pouvoir : ils contrôlent les frontières, nomment les membres des ministères et gèrent les relations étrangères, alors que le TTP reste une insurrection sans ces contraintes politiques", analyse Kaweh Kerami, chercheur à l’université de Durham, au Royaume-Uni. "L'impression d’une plus grande radicalité du mouvement pakistanais reflète davantage les tactiques et les objectifs du TTP dans son pays qu'une divergence doctrinale claire avec le mouvement afghan. C'est le contexte, et non la théologie, qui fait la différence. Mais les liens idéologiques et tribaux entre les deux mouvements sont réels", abonde le politologue.

Kaboul dément toujours les accusations d’abriter le TTP, tout en entretenant une ambiguïté calculée et en assurant que le Pakistan soutient des groupes "terroristes", notamment la branche régionale de l’organisation État islamique. "Le PTT a prêté allégeance au chef des Taliban afghans Amir-Ul-Mu'minin, ce qui n'est pas seulement symbolique – cela donne aux Taliban afghans un prétexte pour leur offrir leur protection et les traiter comme des frères idéologiques", note toutefois Kaweh Kerami.

Une coalition d’intérêts entre Kaboul et New Delhi

En parallèle, les Taliban cherchent à diversifier leurs partenaires. Le ministre afghan des Affaires étrangères se trouvait d’ailleurs en Inde au moment des affrontements, symbole d’un rapprochement entre Kaboul et New Delhi.

Une forme de realpolitik, pour Christine Fair, professeure de relations internationales à l’université de Georgetown, à Washington. "Les Taliban ont besoin de ressources financières et politiques. Ils sont isolés sur la scène internationale, seule la Russie reconnait pour l’instant leur régime."  

Pour l’Inde, l’objectif serait de "s’assurer que le nouveau régime en place à Kaboul ne devienne une base arrière pour des groupes qui lui sont hostiles", poursuit la spécialiste de l’Asie du Sud. Par le passé, l’Afghanistan avait par exemple hébergé le groupe armé islamiste Jaish-e Mohammed, avant de l’expulser. Ce groupe djihadiste avait fomenté l’attentat de Pulwama, en février 2019, qui avait causé la mort de 46 personnes dans le nord de l’Inde.

Il s'agit aussi pour les Taliban afghans de rompre avec la tutelle pakistanaise. "Ils rejettent aujourd'hui l’étiquette de proxy d’Islamabad", résume le politologue Kaweh Kerami. L’Inde, sans reconnaître officiellement le régime taliban, a d’ailleurs rouvert sa représentation à Kaboul et engagé un dialogue sécuritaire.

Malgré la rhétorique martiale entre Pakistan et Afghanistan, une guerre ouverte paraît peu probable. "Le Pakistan est en crise économique, les Talibans n’ont pas de puissance aérienne ni nucléaire, et leurs alliés – Chine, Qatar et Arabie saoudite – appellent à la retenue", observe Kaweh Kerami. "Les incidents frontaliers risquent de se multiplier, mais c’est une crise chronique, pas un conflit total."