
Yan Diomandé célébrant son but qui qualifie la Côte d'Ivoire pour la Coupe du monde 2026. © Luc Gnago, Reuters
Les éliminatoires africains pour la Coupe du monde 2026 ont rendu leur verdict. Le nom des neuf qualifiés du continent et des quatre barragistes sont désormais connus et les équipes africaines vont désormais pouvoir se tourner vers la CAN 2025, qui aura lieu du 21 décembre au 18 janvier au Maroc.
Où en sont les principales équipes d'Afrique à deux mois de l'échéance ? Quels enseignements tirer de la longue campagne des éliminatoires ? Si beaucoup d'évènements peuvent changer les équilibres d'ici la compétition, France 24 fait un premier point avec Patrick Juillard, journaliste spécialiste du football africain chez Sport365 et consultant pour RFI.
Le Maroc attendu au tournant
Victorieux du Bahreïn (1-0) et du Congo (1-0), le Maroc a battu à l'occasion de la dernière trêve internationale le record de victoires consécutives, détrônant l'Espagne. Demi-finalistes du Mondial 2022, pays-hôte de la CAN 2025, les Lions de l'Atlas seront attendus comme les immenses favoris.
"Sur les résultats, il n'y a rien à dire", note Patrick Juillard. "Je trouve que Regragui (ndlr : le sélectionneur du Maroc) arrive bien à gérer une forme de concurrence et d'émulation dans son groupe en intégrant des jeunes joueurs. Il a réussi à faire évoluer son groupe de 2022."
Pourtant au pays, quelques critiques commencent à poindre sur le manque supposé d'efficacité offensive lors des derniers matches. Pas un sujet pour l'expert du foot africain.
"Ce sont des problèmes de riches ! Et Walid Regragui est bien conscient que le seul juge des performances sera la CAN à domicile. Il y aura une pression énorme sur le sélectionneur et ses joueurs. Le moindre faux pas risque de générer polémiques et tempête médiatique", poursuit-il. "Ils ont intérêt à être costauds pour arriver au bout. Ce n'est pas toujours évident de gagner une CAN à domicile. Le challenge sera excitant pour le Maroc."
L'Algérie "toujours sur le logiciel de 2019"
Championne d'Afrique en 2019 mais éliminée dès le premier tour en 2022 et en 2024, l'Algérie sera également particulièrement scrutée. Comme à leur habitude, les Fennecs ont réalisé une campagne d'éliminatoires convaincante, terminant par des victoires contre la Somalie (0-3) et l'Ouganda (2-1).
"L'Algérie s'est qualifiée facilement pour la Coupe du monde. Mais c'est aussi une équipe qui a été accrochée comme on l'a vu contre l'Ouganda où elle n'a trouvé les clés qu'en fin de match", analyse Patrick Juillard. "Le problème de l'Algérie, et qui désespère les supporters, c'est qu'on reste sur le logiciel de 2019. L'équipe ressemble beaucoup à celle de Djamel Belmadi qui a planté les deux dernières CAN."
Le journaliste pointe notamment du doigt le manque de renouvellement de l'équipe alors que les cadres apparaissant vieillissants. Il s'inquiète également du manque de rythme pour ceux qui ont fait le choix de s'exiler dans le championnat saoudien, à l'image de Youcef Atal ou Riyad Mahrez.
"Au Maroc, il va falloir faire les bons choix et choisir les hommes en forme et au sommet de leur de leur carrière plutôt que des statuts", avertit cet expert du football africain.
"Je suis optimiste pour le Sénégal"
Pour Patrick Juillard, le Sénégal a su faire ce que l'Algérie peine à concrétiser. Depuis leur contre-performance lors de la dernière CAN où ils ont été éliminés en huitième de finale par le pays-hôte, les Lions de la Teranga ont évolué.
"Aliou Cissé était arrivé en fin de cycle. La succession avec Pape Thiaw se passe plutôt bien. Le nouveau sélectionneur a une approche plus offensive assez intéressante. Il y a une belle intégration de la nouvelle génération : Pape Matar Sarr, Lamine Camara, Nicolas Jackson… Sadio Mané (ndlr : âgé de 33 ans) est bien utilisé. On lui demande moins à son âge mais il sait toujours bien faire", détaille Patrick Juillard.
Placé dans le même groupe que la RD Congo qu'il a affrontée durant les éliminatoires, et le Bénin, le Sénégal aura fort à faire dès la phase de groupes : "Je suis optimiste", juge l'expert. "Il y a une belle cohérence d'équipe."
La Côte d'Ivoire n'est "pas le grand favori à ce stade"
Les Éléphants ont validé, mardi 14 octobre, leur qualification pour leur quatrième phase finale de Coupe du monde. La Côte d'Ivoire s'est extraite de son groupe de qualifications avec la manière : 8 victoires et 2 matches nuls, 25 buts inscrits et aucun encaissé malgré un sacré duel avec le Gabon, tout simplement le meilleur deuxième de ces éliminatoires. De quoi faire des Oranges un favori annoncé à la CAN 2025 ?
"Elle a joué deux matches contre les Seychelles. Ça aide à soigner la différence de buts. Si on prend les matches amicaux de juin contre la Nouvelle-Zélande et le Canada, c'était très poussif", relativise Patrick Juillard. 'Il y a encore des doutes. L'équipe est solide mais l'expression collective peut être timorée."
"Maintenant, la Côte d'Ivoire est une équipe de tournoi. Elle l'a montré chez elle (ndlr : elle a remporté à domicile la CAN 2024). Une dynamique de groupe peut se créer sur une compétition. On espère que la victoire chez eux les a vaccinés contre la faiblesse mentale qu'on a pu voir par le passé. Je ne les enterre pas mais les Éléphants ne sont pas les grands favoris à ce stade", assène-t-il.

Le Cameroun et le Nigeria sans certitudes
Géants d'Afrique, le Cameroun et le Nigeria sont pourtant les miraculés des éliminatoires. Mal embarqués, les Lions indomptables et les Super Eagles ont réussi à accrocher les barrages qui se disputeront le 13 novembre, bénéficiant d'un coup de pouce réglementaire. En raison du forfait de l'Érythrée, la CAF a décidé de retrancher les points obtenus contre les derniers de groupe au moment de classer ces meilleurs deuxièmes pour ne pas défavoriser les équipes du groupe du pays de la Corne de l'Afrique. Le Cameroun et le Nigeria ont ainsi dépassé l'Ouganda et le Burkina Faso sur le gong alors qu'ils avaient perdu des points contre le dernier de leur groupe jusqu'ici.
"Le Cameroun et le Nigeria ont eu des parcours assez similaires", estime Patrick Juillard, qui ne sait pas trop sur quel pied danser pour la prochaine CAN.
"Le Cameroun pâtit de la guerre que se livre le ministère des Sports et la fédération en coulisses. Pourtant, il y a un bon mix de jeunes talents, comme Arthur Avom et Danny Namaso, et d'anciens comme Aboubakar et Choupo-Moting. Il y a de la qualité mais l'équilibre est toujours incertain. On l'a vu par le passé : on ne sait jamais si ils vont sortir un exploit ou complètement se disperser", rappelle le journaliste.
Même incertitudes du côté des Super Eagles : "L'équipe s'est réveillée in extremis et a bénéficié d'un Osimhen exceptionnel contre le Bénin. Le Nigeria a besoin d'être aiguillonné. Cette équipe peut être complètement apathique mais aussi brillante", juge Patrick Juillard. "Il faut qu'elle ait un environnement favorable pour performer. Or, si le Nigeria ne passe pas les barrages en novembre, Éric Chelle sera-t-il toujours en poste à la CAN ?"
L'Afrique du Sud "va faire un beau parcours"
Seize ans après avoir organisé la Coupe du monde, l'Afrique du Sud va retrouver la plus grande des compétitions de football. Une qualification acquise malgré la péripétie du retrait de trois points pour avoir fait jouer un joueur suspendu. La récompense du travail aussi, selon Patrick Juillard.
"Ils sont dans la continuité de leur dernière CAN [où ils avaient terminé 3e, ndlr]. Il y a un bel équilibre, un schéma type a été trouvé, il y a un beau jeu collectif. Qu'ils se qualifient malgré la sanction montrent qu'ils avaient de la marge", affirme-t-il. "Les signaux sont positifs. Je les vois faire un beau parcours. Aussi loin que la dernière fois ? Ça dépendra du tirage."
Le Mali joue "le meilleur football"
Troisième du groupe I derrière le Ghana et Madagascar, les Aigles du Mali peuvent se mordre les doigts d'avoir raté leurs éliminatoires. Pourtant Patrick Juillard en fait une des équipes à surveiller au Maroc.
"Cette équipe a vécu des éliminatoires en deux temps. Il y a eu un début complètement raté. Puis, Tom Saintfiet a remis l'équipe d'aplomb. Depuis, je trouve que ça joue très bien. Ils ont pour moi au même niveau que le Maroc et le Sénégal sur les derniers matches", explique-t-il. "Le Mali sera pour moi la surprise de cette CAN. Plus personne ne les attend à force de les voir se planter année après année. Avec cette absence de pression et un coach qui sait faire des merveilles, j'en fais tout simplement mon outsider de la CAN."
La Tunisie comme à la maison au Maroc
Autres aigles, autres performances prometteuses. La Tunisie a terminé sa campagne d'éliminatoires par deux cartons contre Sao-Tomé-Et-Principe (0-6) et la Namibie (3-0). Tout comme la Côte d'Ivoire, elle termine la campagne des éliminatoires sans avoir encaissé le moindre buts en 10 matches.
"Le retour de Trabelsi aux commandes de l'équipe est intéressant. Il y a un bon mix entre binationaux comme Ismaël Gharbi et des joueurs passés par le championnat local comme Hazem Mastouri. Le groupe n'était pas le plus difficile mais d'autres ont flanché contre des équipes faibles. C'est de bon augure pour la CAN", veut croire Patrick Juillard. "Enfin, ils viendront en voisin au Maroc. Ça peut leur apporter un petit avantage en termes d'ambiance."
L'Égypte en habituée
Les Pharaons sont les rois du continent africain. Sept fois champions d'Afrique, ils sont inlassablement cités parmi les favoris à chaque CAN même quand ils ne brillent pas particulièrement par leurs performances.
"Avec l'Égypte, il y a un niveau minimum qui est toujours élevé", confirme Patrick Juillard. "Lors des éliminatoires, ils ont fait un parcours sans histoires. Ils n'ont pas été très convaincants dans le jeu mais ils ont fait le boulot. Ils ont pris les points quand il fallait. Salah a été très performant alors qu'il est dans une crise à Liverpool."
Gare au barrage pour la RD Congo
Placé dans le même groupe que le Sénégal, la RD Congo a longtemps espéré la qualification directe pour la Coupe du monde. Elle aura malheureusement flanché au pire moment en septembre à domicile contre les Lions de la Teranga et a dû se contenter de la deuxième place.
"Le sélectionneur Sébastien Desabre a réussi à convaincre des binationaux pour pourvoir des postes clés. L'équipe tient la route et une belle régularité. Le bémol, c'est que je trouve qu'elle n'a pas beaucoup de marge avec un banc limité", analyse Patrick Juillard.
Le spécialiste du football africain met également en garde contre les barrages que les Léopards disputeront mi-novembre. Ils affronteront d'abord le Cameroun puis, en cas de victoire, défieront le vainqueur du match Gabon - Nigeria. "Il y a le risque d'arriver à la CAN un peu rincé et chargé d'émotions après les barrages. Ça peut laisser des traces ou au contraire lancer une dynamique. Difficile à dire à deux mois de l'échéance."
Un groupe compliqué pour le Gabon mais des raisons d'espérer
Tout comme la RD Congo, le Gabon a longtemps espéré se qualifier directement pour la Coupe du monde 2026. C'est même passé à quelques centimètres lors d'une frappe de Babicka en septembre qui aurait permis aux Panthères de battre la Côte d'Ivoire chez elle.
Des Éléphants que les Gabonais retrouveront à la Coupe d'Afrique dans un groupe de la mort également constitué du Cameroun et du Mozambique. Que peut espérer la bande à Pierre-Emerick Aubameyang ?
"Le nouveau sélectionneur Thierry Mouyouma a mis de l'ordre dans l'équipe, a bâti une équipe type, a mis fin aux problèmes extra-sportifs… Ils ont les moyens de faire peur aux autres. Le groupe est difficile et une élimination au premier tour ne serait pas déshonorante mais ils peuvent voir plus loin", juge Patrick Juillard.