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Après deux reports, les Algériens sont appelés à voter jeudi pour désigner leur nouveau président. Mais la majorité des électeurs semblent bien décidés à boycotter ce scrutin organisé dans un climat de grande contestation.

Rien ne semble convaincre les électeurs algériens à aller voter jeudi 12 décembre. Ni les appels répétés du chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah à se rendre aux urnes, ni les clips de campagne qui passent en boucle sur les télévisions publiques algériennes. Et ce n'est pas la manifestation violemment réprimée par la police, la veille du scrutin, faisant plusieurs blessés dans le centre d'Alger, qui risque d'arranger les choses. 

"Ils auront beau organiser l’élection présidentielle jeudi et proclamer un vainqueur dans la foulée, les manifestants algériens descendront dans la rue le 12 puis le 13, le 14 et les jours suivants", assure Nadia Salem, membre du collectif Free Algeria, dans un entretien accordé à France 24. "Ces élections ne changeront rien puisqu’elles n’ont aucune légitimité pour le Hirak."

Le Hirak – mouvement de contestation qui bat le pavé toutes les semaines dans les grandes villes du pays depuis le 22 février et a fait tomber le président Abdelaziz Bouteflika – n’est pourtant pas opposé à l’idée d’un projet démocratique. "Nous ne sommes pas contre l’idée d’une élection présidentielle, nous sommes contre cette élection. Ce scrutin n’est qu’un coup d’épée dans l’eau", résume Nadia Salem.

Brahim Oumansour, géopolitologue et spécialiste du Moyen-Orient à l’Iris, va plus loin. "Le mouvement de contestation pacifique risque de durcir le ton après la nomination du nouveau président, indique le chercheur à France 24. On peut s’attendre à ce que les revendications deviennent plus pressantes et que les grèves se multiplient."

"Les autorités algériennes n’ont pas souhaité délivrer de visas et d’accréditations, ni à nos envoyés spéciaux, ni à nos correspondants. Elles interdisent également les transmissions pour France 24. Nous regrettons vivement ces restrictions, d’autant que France 24 est la première chaîne d’information internationale en Algérie. Malgré cela, notre chaîne vous proposera une couverture complète de cet évènement".
 


"Les cinq candidats ont tous été cooptés par Gaïd Salah"

Après le double report du scrutin présidentiel du 18 avril et du 4 juillet, le chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah s’est opposé à toute forme de transition, imposant une élection à laquelle participent cinq candidats propouvoir adoubés par l’armée. "Ces candidats ont tous été cooptés par Gaïd Salah, assène la Franco-Algérienne Nadia Salem. Ils ont tous soutenu le président Bouteflika ou participé à sa présidence. Comment voulez-vous qu’une fois élu, le nouveau président jouisse d’une quelconque légitimité quand le peuple algérien réclame la fin de l’ancien système ?"

À ce jour, la seule certitude semble être la forte abstention lors de ce scrutin, tant le vote est de plus en plus assimilé à un acte antipatriotique. "Traditionnellement, il y a toujours eu un faible taux de participation aux élections en Algérie, mais le rejet massif de cette échéance électorale risque d’entraîner un taux de participation particulièrement bas", abonde le chercheur de l’Iris.

"Quelle que soit la participation au scrutin, on sait déjà que Gaïd Salah annoncera de faux chiffres de participation pour couronner de succès le scrutin", poursuit la militante. Il suffit, selon elle, de se rendre aux différents consulats algériens, qui ont ouvert leurs portes depuis le 7 décembre en France, pour s’en convaincre. "Seules quelques personnes âgées se sont déplacées pour effectuer leur devoir de citoyen, a constaté la militante devant le consulat du 11e arrondissement de Paris. D’autres ont voté parce qu’ils avaient peur de ne plus pouvoir retourner au pays s’ils ne le faisaient pas, comme certains agents du pouvoir l'ont fait entendre à demi-voix."

Voter est devenu un acte antipatriotique

Il faut dire que Gaïd Salah joue gros sur cette élection. Et il n'est pas sûr que les lourdes condamnations prononcées mardi 10 décembre à l’encontre de deux anciens Premiers ministres algériens accusés de corruption pendant l'ère Bouteflika suffisent à inverser la tendance. "Certes, les Algériens ont pu se réjouir de l’issue de ce procès mais cela ne donne pas pour autant une nouvelle crédibilité à l’état-major. Il peut même s’avérer contreproductif car ces condamnations donnent raison au Hirak."

Les Algériens du Hirak gardent malgré tout espoir. "Nous ne nous contentons pas de défiler dans la rue, conclut Nadia Salem. Dans l'ombre, des groupes de travail s’organisent et préparent la suite."