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Les millenials au travail, le bien-être avant tout

"Métro, boulot, dodo". Cinquante ans après sa création, ce slogan est loin de faire rêver les nouvelles générations en France. Une partie des millennials s’oriente vers un autre paradigme, qui place le bien-être personnel avant l’entreprise.

"N’acceptez pas de travailler dans des conditions indignes (salaires ridicules, heures sup' dingo non payées, etc…). Déjà, parce que vous méritez mieux, mais aussi parce que vos confrères et consœurs méritent mieux   : si tout le monde accepte de travailler dans ces conditions, alors personne ne sera respecté. Le poisson se mordra la queue et les conditions de travail, généralement, se détérioreront jusqu’à plus soif." Dans un long texte publié sur Twitter, la YouTubeuse Sophie Riche, 30   ans, liste les conseils qu’elle aurait aimé recevoir au début de sa carrière de journaliste. Ce post est "à destination de tous", explique la jeune femme à France 24. "Notre génération s’est fait marcher sur les pieds. Ces conseils proviennent de mon expérience personnelle, de celles de proches ou de témoignages repérés sur Twitter".

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  Sophie Riche (@SophieRiche_) July 12, 2019

"D’autres formes d’expression de soi"

Une étude datée de 2017 et réalisée par Ipsos affirme qu’un jeune français sur deux refuse de s’engager à long terme, au profit du statut de free-lance ou d’intérimaire. Pour Nicole Maggi-Germain, directrice de l’Institut des sciences sociales du travail, "l’engagement entre employé et entreprise est beaucoup moins fort qu’avant". "C’est catastrophique pour les entreprises, mais c’est le résultat de ce que l’on offre aux employés", explique-t-elle à France 24. "Les jeunes ont compris qu’il était trop douloureux de s’engager s’il n’y avait pas de récompense derrière. Ils se tournent donc vers d’autres formes d’expression de soi, qui ne passent pas forcément par le travail." De la création d’un projet personnel – l’essor de la "génération start-up" –, ou tout simplement pour se concentrer sur leur vie personnelle, certains jeunes employés se distancient du côté "corporate".

Une versatilité également due à une valorisation de plus en plus importante de la mobilité. "Aujourd’hui, quelqu’un qui reste 30   ans dans la même entreprise va presque être mal vu, on va se demander s’il n’y a pas un problème", continue Nicole Maggi-Germain. La tendance n’est plus à la fidélité, puisque la durée moyenne d’un cadre à son poste est de 4,1   ans, selon une récente enquête menée par Deloitte auprès de 1   800 salariés. Qu’il change de poste dans la même entreprise ou de secteur d’activité, l’employé a à disposition les outils pour se reconvertir, à l’instar de formations proposées par le gouvernement (Compte personnel de formation, par exemple). " Une directrice d’hôtel haut de gamme me confiait récemment qu’elle avait revu ses exigences dans le recrutement, face à cette nouvelle génération", nous apprend Cathel Kornig, sociologue du travail. "Selon la directrice, les jeunes ne se projettent plus dans une temporalité longue quand ils sont embauchés, et elle leur demande alors de rester au moins un an et demi afin de faire le tour du poste" . Avant, elle était regardante sur les tatouages de ses employés. Désormais, ce sont les intentions de ces derniers qui la préoccupent.

La banalisation du chômage

En 2018, 20,8   % des populations actives de 15 à 24 ans étaient au chômage. Pourtant, dans la même étude, on apprend que la génération entrée pour la première fois sur le marché du travail en 2010 serait moins inquiète quant à son avenir. "On a moins peur de ce qui est devenu banal", détaille Nicole Maggi-Germain. "Le chômage, qui était accidentel et clivant, ne l’est plus autant qu’avant. C’est devenu un passage envisageable dans la vie des travailleurs". Même discours du côté de Sophie Riche   : "Si un jour on vous dit que vous n’êtes pas indispensable dans votre métier, que quand vous déciderez de partir, 40   personnes postuleront ... Bah certes, ok, mais devinez quoi   ? L’endroit dans lequel vous travaillez n’est pas indispensable non plus." La menace du chômage n’étant plus aussi forte que dans le passé, la jeune génération se laisse le droit de l’envisager comme une solution si son travail ne lui convient plus. Et ne manquera pas de le faire savoir.

"C’est pour ma communauté que j’ai écrit ce texte", explique la YouTubeuse Sophie Riche. Avec près de 30   000 abonnés sur Twitter, la jeune femme souhaite "faire de la prévention" à son échelle. "Il y a certes du bon et du mauvais dans les réseaux sociaux, mais ils permettent de prendre la parole, de créer un débat et parfois de trouver du soutien." Sous le tweet de Sophie Riche, des remerciements. "Merci, j’ai l’impression que c’était nécessaire pour moi ou pour d’autres", commente un internaute. "C’est là que je me dis qu’il faut que je change de boulot", ajoute une autre.

Sandra Gallissot, avocate et experte en droit des ressources humaines, évoque les dérives de ces espaces d’expression : "Sur les réseaux sociaux, beaucoup réagissent par comparaison et mimétisme, d’où des effets d’amplification". Selon elle, cela "permet de parler du phénomène", mais les dérives ne sont pas loin   : "beaucoup de mots / maux sont mal maîtrisés dans leur signification, d’où beaucoup d’amalgames". En résumé, il est facile de se sentir soutenu, mais également de s'identifier à tort à des situations que nous ne vivons pas. 

"Une" génération ?

Est-ce la première fois qu’une génération repense les codes du monde du travail   ? Pour Cathel Kornig, il faudrait écarter " l’idée 'd’une' génération qui se laisse moins faire", et souligne "la grande diversité socioéconomique des jeunes entrant sur le marché du travail   : les classes sociales existent toujours bel et bien, les inégalités demeurent". Il est plus simple d’avoir le choix lorsque l’on est diplômé ou issu d’une famille aisée, que l’on soit jeune ou non. "Par exemple, l’expérience du chômage est toujours une épreuve plus difficile pour les moins diplômés alors qu'elle peut être 'inversée' comme le disait déjà le sociologue Dominique Schnapper en 1993, pour les plus diplômés." Même constat pour Sandra Galissot, pour qui "tout dépend de la pression économique" qui pèse sur l’employé en question.

Pour l’heure, difficile d’affirmer que les millenials auront droit à une refonte du droit du travail, façon Mai-68. "Nous ne pouvons prédire l’avenir, mais l’analyse du passé montre combien les changements dans les pratiques sont longs à se mettre en œuvre", conclut Cathel Kornig. "C’est bien plus de l’action publique, via les politiques publiques, et des entreprises que les changements viendront."