
L’image publiée, mercredi, du trou noir au cœur de la galaxie M87 apporte la confirmation de plusieurs hypothèses scientifiques et ouvre la porte à une plus grande compréhension des processus physiques à l’œuvre dans l’univers.
Une silhouette sombre se dessine au centre d'un cercle lumineux à quelques 53 millions d’année lumière de la Terre, au cœur de la galaxie M87. C'est une photo de trou noir. La première de ce type. Elle n’est pas parfaitement nette, mais elle a déjà fait le tour du monde, depuis sa publication, mercredi 11 avril.
L’impact médiatique de cette image s’explique aisément : les trous noirs étaient jusqu’à présent des constructions mathématiques découlant de la théorie de la relativité d’Albert Einstein, datant de 1914. Le célèbre physicien ne croyait pas, lui-même, à l’existence des trous noirs, ces immenses objets célestes capables d’aspirer toute matière qui a le malheur de se trouver à proximité et dont rien ne peut s’échapper, pas même la lumière.
Supermassif
Cette photo inédite démontre qu’Albert Einstein avait donc tort et raison à la fois. "C’est une preuve supplémentaire de la validité de la théorie de la relativité générale [l’un des fondements de la physique moderne, NDLR]", explique Jean-Pierre Lasota, chercheur à l’Institut d’astrophysique de Paris et l’un des principaux spécialistes français des trous noirs, contacté par France 24.
Le cliché publié confirme avant tout "que les simulations de ce à quoi pouvait ressembler les trous noirs allaient dans le bon sens", précise Alain Riazuelo, également chercheur à l’Institut d’astrophysique de Paris, contacté par France 24. Les spécialistes n’ont pas été surpris de découvrir l’aspect de ce monstre spatial.
Pour autant, la photo présente un intérêt scientifique à plusieurs titres. D’abord parce qu’elle a capturé un trou noir qui sort quelque peu de l’ordinaire. Chaque galaxie a un trou noir en son centre, mais celui-ci est supermassif : plusieurs milliards de kilomètres de large et 6,4 milliards de fois la masse du Soleil. De quoi intimider une partie de ses "confrères" trous noirs des autres galaxies, à commencer par la nôtre. En effet, la taille du trou noir dépend de l’étendue de la galaxie dans laquelle il se trouve. “La galaxie M87 est la plus étendue de notre voisinage”, note Alain Riazuelo.
Autour du trou noir
Mais, selon Jean-Pierre Lasota, "ce qui est vraiment intéressant sur l’image, c’est moins le trou noir, que ce qui se passe autour. C’est la physique de la matière dans la voisinage", explique-t-il. La photo montre un disque composé de gaz dont l’intensité lumineuse varie. Cette variation dépend de la chaleur dégagée par la matière, elle-même fonction de la vitesse de rotation autour du trou noir. L’image confirme ainsi que plus les gaz s’approchent du trou noir, plus ils tournent vite, avant de disparaître à jamais. Ils se précipitent littéralement dans le vide.
Ce premier cliché ne permet pas de déduire la vitesse précise du mouvement de la matière ou de mieux comprendre d’autres phénomènes comme les jets de matière qui se devinent sur l’image [des tâches à la périphérie extérieure du disque]. Mais les scientifiques contactés se veulent confiants. Les prouesses technologiques et l’effort humain déployés pour obtenir cette photo – huit télescopes mobilisés, des algorithmes spécifiques pour reconstituer les données collectées afin de créer l’image, et le concours de 200 scientifiques de plusieurs pays – indiquent que ce n’est que le début de l’aventure. Pour Alain Riazuelo, "dans les mois ou années à venir, il y aura des clichés plus précis, permettant aussi de créer des vidéos qui fourniront des informations supplémentaires [sur la physique à l’œuvre autour de trous noirs]".
Mais il restera toujours une grande inconnue, prévient l'expert : "On ne réussira jamais à décrire ce qui se passe à l’intérieur d’un trou noir. C’est le mystère absolu et l'ultime limite".