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Bilal, le cireur de chaussures devenu une star de la chanson au Liban

Les Doms sont l'une des communautés les plus marginalisées au Liban. Toutefois l’un d’entre eux, le chanteur Bilal, devenu superstar de la variété arabe, a réussi à s’imposer comme une figure emblématique de ce groupe ethnique.

Au milieu de toute cette misère, une véritable success story à la libanaise a émergé. Il a 31 ans et s’appelle Bilal. C’est le Dom le plus célèbre du monde arabe. Cet ancien cireur de chaussures enflamme les planches depuis près de quinze ans dans un show unique en son genre où se mêlent chansons en arabe et en domari, la langue des tziganes libanais. Rencontré à Beyrouth, Bilal a accepté de répondre aux questions de France 24 et est revenu sur son parcours, de la rue à la rencontre qui a propulsé sa carrière de chanteur.

Tout commence pour lui sous les fenêtres des bureaux du propriétaire d’une salle de spectacles, le "MusicHall", dirigée par l’artiste Michel Elefteriadès. "Chaque jour en passant, Michel discutait avec moi, il avait un intérêt pour les tziganes avec lesquels il avait collaboré en Espagne et avec des fanfares de tziganes des Balkans. Vers 14 ans, il est devenu mon mentor, il a commencé à me faire connaître la culture tzigane mondiale et son histoire. Il m’a fait prendre conscience de mon appartenance à une grande famille dispersée aux quatre coins du monde".

Repéré sur les trottoirs de Beyrouth, Bilal apprend donc à devenir chanteur avec l’opiniâtreté de ceux qui sont nés en bas de l’échelle sociale. "Ce n’est pas venu du jour au lendemain… J’ai appris à jouer d’un instrument, le bouzoq, qui est pour les tziganes arabes ce qu’est le violon aux tziganes hongrois – ou la guitare pour les gitans espagnols. J’ai aussi pris quelques cours de vocalises (rires), et au fur et à mesure le succès est venu. Mon parrain dans le métier, Michel Elefteriadès, m’a donné des conseils pour surmonter mon trac".

En 2014, Bilal est le premier musicien Dom de la région à sortir un album. Fier de sa réussite, le chanteur préfère rester modeste : "Il y a eu un artiste de notre communauté avant moi qui a connu une certaine notoriété. C’est le grand maître du bouzoq, Matar Muhammad. Il a enregistré un disque dans les années 70 et a donné plusieurs concerts en Europe. En fait je suis le second ! Dans ce premier album, il y a beaucoup de chansons tziganes chantées dans notre langue, le domari. Mais afin de pouvoir toucher les audiences arabes et faire un maximum de concerts, nous n’avons gardé qu’une seule chanson en domari sur le second album. Ceci dit, les arrangements du second album restent très tziganes et ma manière de chanter aussi".

Stéréotypes

Être une superstar issue de la communauté Dom n’est pas forcément une position facile à assumer. Dans un pays comme le Liban où les stéréotypes envers les minorités sont nombreux, les Doms ne font pas exception. "Ce n’est pas facile d’être un Dom, qu’on ait réussi ou qu’on n'ait pas réussi. Même le nom de notre communauté est devenu une insulte utilisée que se lancent les 'gadjos' (les non-gitans, NDLR). Le fait de chanter en domari est donc très important pour moi, c’est une manière de mettre les arts au service de ma communauté et d’en faire sa promotion, montrer que nous valons bien mieux que ce que véhiculent les clichés".

Pour le chanteur vedette de la salle du "MusicHall", ces stéréotypes ne sont pas justifiés : "Ces clichés émanent de l’ignorance qu’ont les gens sur la culture tzigane et d’une xénophobie qui rejette sur l’étranger tous les crimes dont on ne retrouve pas les coupables. De tout temps, comme nous campions à côté d’une ville, le premier réflexe des habitants après un vol ou un viol était de rejeter la faute sur nous. Il n’y a pas plus de délinquants dans notre communauté que dans les autres. Nous travaillons très dur dès notre plus jeune âge pour gagner honnêtement notre vie. Nous ne prenons jamais les armes et nous avons appris à travers les siècles à lever le camp et à partir dans des régions plus calmes dès que la tempête souffle".

Selon un recensement de l’ONG Terre des hommes réalisé en 2011, ils seraient environ 3 000 entre Beyrouth et le Liban-Sud. D’autres vivent aussi dans le nord du pays et dans la plaine de la Bekka, où ils travaillent comme ouvriers agricoles. Aujourd’hui il reste néanmoins difficile de connaître leur nombre exact, faute de sources fiables.

En marge de la société

Sur un terrain vague au nord de Tripoli, coincés entre la route et la mer se dressent des abris de fortune. Ici, de simples tissus usés et morceaux de tôle rouillés ont remplacé les murs en dur et les toitures, dont la bonne tenue est assurée par le poids de pneus de voitures usés. L’endroit a un peu de ces airs de chantier abandonné où on aurait laissé la nature reprendre ses droits. C’est pourtant ici que vit une communauté de tziganes libanais, celle des Doms, plus communément appelés les "Gitans du Liban". Relativement méconnus du grand public, ils descendent d’une communauté originaire de l’Inde dont la migration au Moyen-Orient serait très ancienne (du IIIe au Ve siècle après JC). On les retrouve aussi aujourd’hui disséminés dans plusieurs pays de la région, en Syrie, Iran, Jordanie, Israël ou en Égypte.

Entre les flaques d’eau et les gravats qui jonchent le sol, les enfants et adolescents peu effarouchés s’interrogent sur la présence de visiteurs étrangers et s’approchent avec amusement. Leurs éclats de voix laissent entendre une langue unique, le domari, cette langue indo-aryenne enrichie par d’autres issues des pays qui se sont trouvés sur la route de la longue migration des tziganes.

Derrière ces sourires se cache pourtant une toute autre réalité, celle des conditions de vie extrêmement difficiles de la communauté tzigane au pays du Cèdre. Citoyens libanais depuis 1994 grâce au "décret de naturalisation" promulgué par l’ancien premier ministre assassiné, Rafic Hariri, les Doms sont malgré cela considérés comme des citoyens de seconde zone et vivent largement en-dessous du seuil de pauvreté. Selon une étude réalisée en 2011 par l’association Insan et l’ONG Terre des Hommes, 30 % vivent avec moins de 1 dollar par jour. Le même rapport indique que 77 % sont analphabètes, et 68 % des enfants Doms ne sont pas scolarisés.

Avec ce cruel manque d’accès à l’éducation, les Doms subsistent donc en exerçant des activités qui requièrent peu de qualifications : diseuses de bonne aventure, arracheurs de dents, musiciens, travaux manuels... Cette marginalisation sur le marché du travail s’accompagne d’une série de lourds stéréotypes et autres attitudes déviantes qu’on prête à la communauté Dom : moralité douteuse, mauvaise hygiène, voleurs, fainéants, etc… Ces clichés leur ont valu le surnom de "Nawar", terme arabe à connotation péjorative qui désigne une personne paresseuse et mendiante.

Selon le rapport de 2011, cette discrimination profondément enracinée rend le quotidien des Doms encore plus difficile que celui des Palestiniens, autre population marginalisée au Liban. Il est très difficile pour les Doms d’accéder à la protection juridique, aux soins de santé, à l’éducation, à des abris appropriés et à la nourriture, déclarait Charles Nasrallah, directeur de l’association Insan, dans une interview au site Irin en 2011.

De son côté, le HCR – contacté par France 24 –, en partenariat avec le gouvernement libanais et le PNUD, assure qu’il accorde des aides aux réfugiés et aux communautés d’accueil, mais pas seulement : "La réponse est coordonnée directement avec le gouvernement du Liban par le biais de ses ministères et est décrite dans le plan de réponse à la crise au Liban. Il existe également d'autres initiatives soutenues par l'ONU qui ciblent les personnes libanaises vulnérables dans le cadre du programme national de ciblage de la pauvreté, géré par le ministère des Affaires sociales du Liban".

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