
EnjoyPhoenix, première youtubeuse beauté en France, a annoncé comme d'autres de ses consœurs ne plus vouloir recevoir de produits de la part des marques. Analyse d'un retournement de situation, qui pourrait bouleverser cette économie.
"Aujourd’hui je vais vous expliquer pourquoi je me retire de toutes les listes de relations presse des marques avec lesquelles je travaille depuis plus de sept ans", commence EnjoyPhoenix, première youtubeuse beauté de France, dans une vidéo datée du 5 janvier. Intitulée "Pourquoi je ne vais plus recevoir de produit de la part des marques", la vidéo d’une trentaine de minutes revient en détail sur la décision de Marie Lopez de son vrai nom. Cette annonce risque-t-elle de chambouler le secteur de la beauté, aussi bien côté YouTube, que marques de cosmétiques ?
Lancée en 2012, la chaîne YouTube de Marie Lopez comptabilise désormais plus de 3,4 millions d’abonnés, faisant d’elle la youtubeuse beauté la plus suivie en France. Tutos maquillage, conseils mode et beauté et autres "vlogs", la jeune Lyonnaise s’est créé un nom sur la plateforme, puis au-delà. Comme la plupart de ses consœurs, EnjoyPhoenix reçoit chaque jour "des tonnes de colis" envoyés par les marques de cosmétiques. Des cadeaux ? Parfois. Mais surtout un bon moyen pour les entreprises de s’offrir un coup de projecteur sur leur dernier-né.
Le problème, c’est la démesure. "Cinq ou six colis par jour " reçus, parfois contenant des gammes entières de produits qu’elle ne peut utiliser, ou au contraire des paquets immenses pour un seul produit... Si elle explique avoir "tout fait pour ne pas gâcher" – en en faisant profiter ses proches et ses abonnées – la youtubeuse admet ne plus supporter de jeter la majorité de ces cosmétiques, et raconte même ne plus prendre de plaisir à ne plus pouvoir choisir ce qu’elle consomme ou non.
Un mouvement naissant côté français
"C’est une démarche très intéressante, quand on sait qu’un tiers des produits cosmétiques sont achetés après le visionnage de vidéos des youtubeuses beauté", nous explique Marie Camier Theron, co-fondatrice de l'association Les Internettes. "Enjoyphoenix n’est pas la première à prendre ce genre de décision. Des youtubeuses comme Coline ou encore Horia ont récemment fait le même choix, certainement inspiré par des youtubeuses américaines, qui ont toujours un ou deux ans d’avance sur la France."
Un mot d'ordre : l'environnement
Dans sa vidéo, EnjoyPhoenix liste donc les raisons l'ayant poussée à faire ce choix : le manque de place pour stocker les produits, le refus de gâcher ces derniers mais aussi – et surtout – l'impact environnemental de ce procédé. "L'impact écologique sur l'environnement c'est juste une catastrophe", raconte la youtubeuse. Entre suremballage et obligation de jeter des tas de produits neufs, Marie Lopez détaille son expérience.
Une décision logique, quand on sait que la jeune femme a déjà évoqué ces questions environnementales dans ses précédentes vidéos, et a participé à la récente campagne "On est prêt", une initiative en faveur du climat proposée en novembre dernier par une poignée de youtubeurs. Elle avait également participé à la marche pour le climat en décembre à Lyon.
Une publication partagée par Marie Lopez (@enjoyphoenix) le 8 Déc. 2018 à 10 :37 PST
"Notre génération est beaucoup plus consciente de son impact sur l'environnement", ajoute Marie Camier Theron. "On voit d'ailleurs apparaître sur YouTube des 'anti-haul', vidéos dans lesquelles des youtubeuses expliquent pourquoi elles n'achèteraient pas tel et tel produits." Une façon de contrer les "hauls" dans lesquels les vidéastes montrent habituellement face caméra les produits qu'ils viennent de se procurer.
Un bouleversement économique pour les marques ?
Pour Catherine Lejealle, sociologue et chercheure à l’ISC, cette déclaration "marque l’entrée dans une deuxième ère du rôle des influenceurs. La première ère a consisté à recevoir des produits, à les tester et à publier une vidéo en parlant. Cette ère a constitué une rupture dans l’histoire du marketing et de la communication. Jusque là, la grande majorité de la communication passait par les grands medias (presse, tv, radio, cinéma, affichage…) et émanait des marques. Avec les influenceuses, les marques ont appris à tendre le micro à des tiers sans maîtriser le message que celles-ci postent. Mais les consommatrices se lassent de ce format d’ouverture de paquets. Si elles ne mettent pas en doute l’avis de leurs influenceuses préférées, elles constatent bien que celles-ci n’utilisent pas les produits au quotidien, qu’elles ne font que les tester. Il y a un côté artificiel qui atténue le plaisir de voir les vidéos."
Entrée donc dans la deuxième ère, où l'on fait appel aux youtubeuses "pour créer un modèle, une teinte de rouge et faire une collection micro capsule limitée. Ces campagnes sont alors plus sophistiquées et succitent de la curiosité, de l’engagement car ce sont des dispositifs innovants", détaille Catherine Lejealle. D'ailleurs, dans sa vidéo, EnjoyPhoenix rappelle qu'elle a récemment créé une collection avec la marque Benefit, mais elle précise que le projet était né il y a deux ans, et qu'elle "a souhaité le clôturer". En bref, les marques vont devoir repenser leur stratégie de communication pour conquérir à nouveau le cœur de leurs portes-voix made in Internet. Contactées par France 24, les équipes de l'Oréal sont restées évasives sur l'avenir de leur rapport avec les personnalités de YouTube. "Nous sommes très à l’écoute de ces acteurs qui sont également nos consommateurs. Cette question, comme d’autres, sont autant de sujets sur lesquels nous échangeons avec eux. Nous avons, depuis toujours, privilégié la création de relations personnelles à long terme avec les influenceuses", nous-a-t-on répondu par e-mail.
Et après ?
Pour Marie Camier Theron, il est quasiment certain que "d’autres youtubeuses suivront le mouvement". Et si les marques veulent contourner cette décision, " peut-être qu’elles se tourneront alors vers des micro-influenceurs, c’est-à-dire des personnes ayant moins d’abonnés mais ciblant un public de niche, comme les vegan par exemple", continue la co-fondatrice de l'association Les Internettes. L'entrée dans une nouvelle ère, donc, comme le déduisait Catherine Lejealle.
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