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Trump vs les médias, comment chaque camp y trouve son compte

La relation houleuse de Donald Trump avec le New York Times et CNN s’est révélée être une aubaine, autant pour le président américain que pour les deux médias. Publicité et légitimité pour le premier, attrait médiatique pour les seconds.

Quand Donald Trump s’oppose aux médias américains en les accusant d’être "des ennemis du peuple", il prend souvent pour cible les deux médias les plus emblématiques du journalisme américain. Le New York Times, le plus grand journal du pays qu'il juge "défaillant", et CNN, la plus ancienne chaîne d’informations en continu, qu'il accuse de véhiculer des "Fakes News".

L’acrimonie entre Trump et CNN a atteint son paroxysme le 8 novembre lorsque la Maison Blanche a révoqué l’accréditation du journaliste Jim Acosta après un échange houleux avec le président américain lors d'une conférence de presse après les élections de mi-mandat. Cependant, elle lui a été rendu trois jours plus tard.

Cette rhétorique au vitriol de la Maison-Blanche a provoqué une inquiétude considérable au sein de la presse américaine. Au point que l'éditeur AG Sulzberger du New York Times a averti le 30 juillet que les attaques de plus en plus colériques et hargneuses de Donald Trump contre les médias "conduiraient à la violence". La raison aussi pour laquelle le quotidien The Boston Globe, a lancé la campagne "EnemyofNone" (Ennemie de personne).

En dépit de ces différentes tensions, le New York Times et CNN sont toutefois loin d'être mal en point. Au contraire, grâce à la présidence de Trump, ces deux médias ont accru le nombre de leurs abonnements et téléspectateurs.

Le New York Times remporte la "Trump Bump"

En novembre 2016, mois de l’élection de Donald Trump, le New York Time a enregistré 132 000 abonnements payants supplémentaires, soit 10  fois le taux de croissance enregistré en novembre 2015.

Cette trajectoire d'accroissement reste aujourd'hui inchangé. "Le New York Times a largement dépassé les attentes initiales concernant la croissance du nombre d'abonnés […] après le 'choc de Trump'’, écrivait Alexia Quadrani, analyste de JP Morgan, à ses clients en avril 2018. Le cours de l'action du groupe de presse The New York Times Company a dépassé celui d'Apple, d'Amazon et de Facebook entre l’élection de Trump en 2016 et fin juin 2018, augmentant de 141 %.

"Quand j’ai parlé au rédacteur en chef du New York Times [Dean Baquet], il m’a dit avec un sourire que Donald Trump avait fait au moins une bonne chose : il avait accru la circulation du New York Times", a déclaré à France 24 Marvin Kalb, chercheur principal au Brookings Institution à Washington DC et auteur de "Enemy of the People", un livre sur le regard hostile de Trump à l'égard des médias américains.

"Les personnes qui souscrivent au [New York] Times et le lisent sont pour la plupart des opposants à Trump, qui ne pensent pas que le média véhicule de fausses nouvelles", explique Robert Shapiro, professeur de sciences politiques à l'Université Columbia, dont le domaine d'expertise comprend la relation entre les médias de masse et la politique américaine.

Le journal a "utilisé les évènements sous la présidence de Trump pour attirer l’attention sur ses mauvaises actions. Et cela a attiré les lecteurs qui souhaitent obtenir des informations à utiliser contre Trump", poursuit Robert Shapiro dans une interview accordée à France 24.

La couverture des déclarations et des actions sensationnelles de Donald Trump a suscité l’intérêt de nombreux autres médias américains, notamment le Washington Post, la chaîne de télévision par câble MSNBC (de gauche), le réseau de télévision Fox News (de droite) et CNN. "Quand Trump dit qu'il a fait gagner beaucoup d'argent aux médias, il a absolument raison", déclare Robert Shapiro. "Il était un bon atout pour eux pendant sa campagne, et il est devenu un atout encore meilleur pour eux pendant sa présidence."

Les médias "nourriront le public avec ce que le public est prêt à regarder", ajoute Jeanne Zinko, professeur de sciences politiques au Iona College de New Rochelle, New York, dans une interview accordée à France 24. "Si le public voulait entendre parler de politique, c'est de pure politique que nous entendrions parler, 24h sur 24 : ce n'est pas le cas. L’audience de C-SPAN serait formidable : ce n’est pas le cas. Quand on parle politique, ce qui obtient le plus d'attention, c’est le salace, le violent. "

CNN a été aussi un bénéficiaire notable de la montée en puissance de Trump. Démentant la déclaration du président américain en juillet 2017 selon laquelle ses taux d'audience sont "en chute libre", la chaîne d'information par câble a attiré plus de téléspectateurs en 2017 que toute autre année depuis sa création en 1980.

Le réseau a maintenu des taux de fréquentation impressionnants en 2018, avec le troisième record d'audience du deuxième trimestre en 23 ans (après 2017 et 2003, année de la guerre en Irak). Mais il semble que Donald Trump, lui aussi, a bénéficié de CNN.

CNN "a permis à Trump de dominer"

En octobre 2016, le directeur de la chaîne américaine, Jeff Zucker, a exprimé ses regrets d’avoir trop couvert les meetings de Trump lors de sa campagne pour l'investiture républicaine, dans laquelle le candidat Trump a qualifié de "violeurs" les Mexicains et a proposé une "fermeture complète et totale des musulmans voulant entrer aux États-Unis".

"Si nous avons commis une erreur l’année dernière, c’est que nous avons probablement trop participé à ses rassemblements au cours des premiers mois de la campagne", a déclaré Zucker à un public de la Harvard Kennedy School of Government. Le directeur de CNN a également reconnu que Trump avait bénéficié de beaucoup de temps d’antenne lors de la course à l’investiture au GOP, tout simplement parce que, contrairement à d’autres candidats, il répondait 'oui' aux demandes d’entretien. "Nous n'avons jamais eu cette réaction de la part d'autres candidats", a souligné Zucker.

"La part d’audience de CNN n’est pas très grande, mais elle était suffisamment importante pour permettre à Trump de dominer les autres candidats à la primaire", souligne Robert Shapiro.

Certains observateurs estiment que Donald Trump était bien conscient de ce qu'il faisait. Lors de la campagne de l'élection présidentielle de 2016, il a été "capable de réduire considérablement le coût de sa campagne en obtenant une couverture gratuite", observe Jeanne Zinko, professeur de sciences politiques au Iona College de New Rochelle, New York. "Sa façon de faire est de dire des choses scandaleuses, décalées et inattendues. Et c'est ce que Trump a fait."

"CNN et d’autres médias pensent vraiment que c’est un problème, mais ils continuent de couvrir tout ce qui se rapporte à Trump parce qu’ils risquent de voir la concurrence prendre le dessus", ajoute Jeanne Zinko.

Pour Trump, le New York Times représente "la légitimité"

Il semble que Donald Trump entretienne une relation ambivalente aussi avec le New York Times. Bien qu'il fulminera souvent contre le journal dans des diatribes sur Twitter, Trump semble également le tenir en haute estime. C'est "un très grand bijou américain […] un bijou mondial", a-t-il déclaré à plusieurs de ses journalistes lors d'un entretien en novembre 2016.

En effet, le président rréponds régulièrement aux appels du journal et aide certains de ses journalistes pour leurs articles, en particulier la journaliste de la Maison Blanche, Maggie Haberman.

"Donald Trump a toujours tendance à faire venir Maggie Haberman", déplorait son ancien conseiller, Steve Bannon auprès de Vanity Fair. "Il lit le New York Times. Pour lui, c’est le document officiel". "Il ne me parlerait pas autant si je n'étais pas au [New York] Times", racontait Haberman dans un podcast. "Il a soif de l’approbation du journal."

Même si l'approbation du New York Times est rare, Trump estime que ses entretiens avec le journal sont des sources utiles de légitimité, fournissant une plateforme plus sûre et plus honorable que Twitter pour lui permettre d'exprimer ses frustrations.

"Il utilise ce genre d'occasions pour montrer qu'il n'est pas fou", a déclaré Robert Shapiro. "Il critique ses adversaires sans se montrer irresponsable et irrespectueux."

Cette tactique remonte à longtemps. Trump s'est rendu compte "longtemps avant de devenir président que [le New York] Times représentait une légitimité, il représentait la respectabilité, il représentait le genre de personne incarner", ajoute Marvin Kalb, chercheur principal au Brookings Institution.

À l’époque où Donald Trump s’est fait connaître en tant qu’homme d’affaires à New York (entre 1970 et 2000), "si vous vouliez progresser dans la société, si vous vouliez être accepté comme un important promoteur immobilier, il fallait que l'on parle de vous dans le New York Times", a-t-il poursuivi.

En conséquence, le président a toujours "respecté le New York Times, tout en voulant son pouvoir". Donald Trump pense que ce pouvoir - et celui d’autres médias traditionnels - lui donnera l’avantage dans sa bataille pour la réélection de 2020.

En conclusion de son entretien avec le New York Times en décembre 2017, Trump déclarait : "Une autre raison pour laquelle je vais gagner quatre autres années [à la Maison Blanche] est que les journaux, la télévision et tous les types de médias seront en difficulté si je ne suis pas là. Sans moi, leurs résultats chuteront […]. Donc, ils doivent fondamentalement me laisser gagner."

La relation symbiotique de Trump avec les médias américains pourrait bien l’aider à le conduire à sa réélection.