Lors de son déplacement en Martinique, Emmanuel Macron a annoncé que l'exposition au chlordécone, insecticide toxique, allait être reconnue maladie professionnelle dans la mesure où "l'État doit prendre sa part de responsabilité".
C'est un pesticide qui pollue les relations entre les Antilles françaises et la métropole depuis des décennies. Le président français Emmanuel Macron a abordé le très sensible dossier de l’exposition des populations martiniquaise et guadeloupéenne au chlordécone, un pesticide extrêmement toxique longtemps utilisé dans les bananeraies, lors de son déplacement de quatre jours dans les Antilles, débuté mercredi 27 septembre.
"L'État doit prendre sa part de responsabilité" dans la pollution au chlordécone et "avancer sur le chemin de la réparation" de ses ravages, a affirmé jeudi le chef de l'État, s'exprimant depuis une exploitation agricole du Morne-Rouge (nord), à la rencontre d'un agriculteur concerné par la pollution de ses terres.
Prudent, Emmanuel Macron a toutefois avancé que "l'état des connaissances scientifiques (...) ne permet pas de certifier" la dangerosité de la molécule pour la santé humaine. "Il ne serait pas responsable de dire qu'il y a une réparation individuelle pour tous", a-t-il souligné. Il est en revanche "possible d'avancer davantage sur la question des maladies professionnelles pour les personnes particulièrement exposées à la molécule", selon lui.
Méconnue en France métropolitaine, cette question est vécue comme un scandale sanitaire en Guadeloupe et en Martinique, où 90 % de la population adulte est contaminée par le chlordécone, selon les données de l’agence Santé publique France.
Des risques connus depuis quarante ans
Les dangers associés à l’exposition à cette molécule sont multiples. “C’est une substance neurotoxique aux effets néfastes pour la reproduction, qui entraîne un sur-risque de retard dans le neurodéveloppement des nourrissons et augmente le risque de contracter certains cancers, notamment de la prostate”, résume Luc Multigner, directeur de recherche à l’Inserm, contacté par France 24.
Les conséquences pour la santé d’une forte exposition au chlordécone ont été établies dès les années 1970. Dans une usine américaine de Virginie, où le pesticide était fabriqué, les ouvriers ont souffert de graves problèmes de santé, allant de sautes d’humeur à des troubles de la mémoire, de l’élocution ou encore de la motricité. Ils se sont aussi plaints de sérieuses affections testiculaires. Un épisode qui a poussé les autorités américaines à en interdire l’utilisation dès 1977. Deux ans plus tard, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le classe comme cancérogène possible.
En France aussi, les dangers du chlordécone sont pointés du doigt, dès 1968, par une commission parlementaire qui conseille d’en interdire l’utilisation. Pourtant, la vente en est autorisée à partir de 1981. “C’est une décision qui reste encore aujourd’hui pour le moins étonnante, compte tenu du fait qu’on savait sans la moindre incertitude que cette substance était dangereuse”, souligne Luc Multigner.
Mais ce pesticide est particulièrement efficace pour lutter contre le charançon de la banane, un insecte qui menaçait les récoltes de ce fruit, très important pour l’économie des Antilles. Le chlordécone a, alors, été massivement utilisé pendant plus de 20 ans pour protéger les plantations. Il a finalement été interdit dans les Antilles en 1993, soit trois ans après la France métropolitaine.
Record du monde de cancers de la prostate
Un recours à ce pesticide qui a et va laisser des traces. En effet, il faut attendre entre 500 à 600 ans pour que la molécule disparaisse des sols. Surtout, elle “filtre par les eaux des puits pour contaminer les ressources en eaux douces, et peut aussi se transférer dans un certain nombre de plantes et de légumes”, explique Luc Multigner. Les animaux qui consomment des aliments issus de ces sols contaminés sont à leur tour affectés. Des études récentes ont démontré que la faune marine a également été touchée. “Une partie de la chaîne alimentaire a été contaminée, et au final, l’homme a aussi été exposé”, résume le scientifique.
Dans les Antilles françaises, cette exposition s’est traduite par une hausse importante du nombre des cancers de la prostate. La Martinique détient le triste record du monde de cette maladie avec 227,2 cas relevés pour 100 000 hommes. Elle est deux fois plus fréquente sur les deux îles qu’en métropole. Tous les cas ne peuvent pas directement être liés à la contamination, note Luc Multigner, mais il fait peu de doute qu’une partie d’entre eux s’explique par l’exposition à cette substance.
Les conséquences de cette pollution ne sont pas que sanitaires. Économiquement, les populations locales paient aussi un tribut au chlordécone… à commencer par les plus pauvres. “Ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter dans les supermarchés les produits importés, qui sont plus chers, se rabattent sur la production locale qui est contaminée”, note Luc Multigner. La pèche aussi a été affecté, puisque les chalutiers doivent aller plus loin en mer pour éviter les zones touchées, ce qui leur coûte plus cher en essence.
Le problème est qu’il n’existe pas de solution prête à l’emploi pour traiter cette contamination. “Il est impossible de dépolluer des milliers d’hectares”, constate le chercheur de l’Inserm. Que peut, alors, faire ou dire Emmanuel Macron face à des populations qui vont encore ressentir les effets d’une décision de 1981 pendant des générations ? Pour Luc Multigner, le président français “peut déjà commencer par reconnaître la responsabilité de l’État français”.