
La glace de mer au nord du Groenland, réputée pour être la plus ancienne de la planète, s’est brisée à deux reprises depuis le début de l’année 2018. Une “surprise” qui ne dit rien de rassurant sur l’état actuel de la banquise.
Une première qui inquiète. Ces derniers mois, une banquise située au nord du Groenland s’est morcelée à deux reprises à cause des vents chauds et du changement climatique entraîné par la vague de chaleur dans l’hémisphère nord. Ce phénomène n’avait jusqu’alors “jamais été constaté”, comme le relève le quotidien britannique The Guardian.
Le nord du Groenland, surnommé “la dernière zone de glace”, a connu en février dernier et au début du mois d’août des températures anormales. La station météorologique locale Kap Morris Jesup mesure en général des températures en-dessous des -20°C dans cette zone. En début d'année, elle a enregistré pendant 10 jours des chiffres au-dessus du seuil habituel de congélation de la banquise, ainsi que des vents chauds qui ont éloigné la glace de la côte groelandaise. Pire, la station a aussi enregistré plus récemment, la semaine dernière, un record de 17°C et de forts vents du sud dépassant les 20 km/h.
Au point que les températures redoutables dans l’Arctique alertent les climatologues depuis le début de l’année. “C’est une situation exceptionnelle” dans une zone où “on sait qu’il y a de la banquise permanente”, explique à France 24 Robert Vautard, climatologue : “Ce qui est étonnant, c’est qu’on ne pensait pas qu’à cet endroit-là la glace serait vulnérable. Les spécialistes pensaient qu’elle était vraiment solide."
“La dernière zone de glace”
“Presque toute la glace au nord du Groenland est quasiment brisée et morcelée, et par conséquent plus mobile”, explique au Guardian Ruth Mottram, qui travaille à l’Institut danois de météorologie. Et de préciser : “Cette zone a souvent été appelée ‘la dernière zone de glace’ car il a été suggéré que la dernière glace de mer dans l’Arctique aurait lieu ici. (Mais) les événements de la semaine dernière suggèrent qu’en fait la dernière zone gelée pourrait se situer plus loin à l’ouest.”
Une animation représentant le nord du Groenland publiée sur Twitter – couvrant la période du 27 juillet au 13 août – montre bien que l’éclatement de la couche glacée pourrait laisser arriver une eau plus chaude le long de la côte. “Beau et effrayant”, a commenté Thomas Lavergne, scientifique à l’Institut norvégien de météorologie.
A small animation from @DTUSpace
showing our combined #Sentinel1 and #AMSR2 images and our @CMEMS_EU #Sentinel1 1-day ice drift vectors. All from https://t.co/KMsYanQEs4 pic.twitter.com/6ctc0JzgpQ
Robert Vautard “laisse la teneur” du mot “effrayant” à Thomas Lavergne. Il préfère parler d’un phénomène “étonnant” aux conséquences potentiellement inquiétantes : “L’hiver, cette banquise vulnérable sera peu épaisse (à la différence de la banquise permanente, NDLR), ce qui va profondément changer le milieu marin.”
La crainte d’un “changement climatique et irréversible”
Car c’est bien de réchauffement climatique dont il est question avec ce morcellement de la banquise nord-groenlandaise. “L’étendue de la banquise diminue progressivement depuis une trentaine d’années, un phénomène particulièrement manifeste en fin d’été : on voit des brèches, des passages s’ouvrir en août-septembre”, explique Robert Vautard. Ce qui est le cas avec ce morcellement récent de la glace de mer qui a créé provisoirement une brèche dans la banquise entre le pôle Nord et le Groenland. La communauté scientifique s’attend même, à l’horizon 2050, à ce qu’il n’y ait plus de banquise au moment de la fin de l’été.
Un phénomène inquiétant se déroule actuellement dans l’#Arctique… La plus vieille et plus épaisse couche de glace a commencé à se briser
Bientôt la fin de l’Arctique ? pic.twitter.com/yvDoHfiiXn
Et ce indépendamment des politiques menées. Robert Vautard souligne qu’“on ne pourra jamais faire mieux que 1,5°C en plus par rapport aux niveaux préindustriels”, c’est-à-dire la limite d’augmentation des températures fixée par l’accord de Paris en 2015.
Cette réalité du réchauffement climatique, qui pourrait faire fondre les banquises de l’hémisphère nord comme neige au soleil, est doublement vécue. “Certains attendent le départ de la banquise pour augmenter leur business”, explique Robert Vautard, en référence aux gouvernements – notamment canadien et russe – qui se disputent depuis plusieurs années la “route de l’Arctique".
D’autres, notamment la communauté scientifique, “craignent pour le dérèglement profond du système climatique”, poursuit le climatologue. “On fait des modèles (sur les évolutions possibles du climat, NDLR), mais on a toujours la crainte de ‘surprises’ qui amèneraient un changement climatique rapide et irréversible.” Ce qu’il s’est passé deux fois cette année au nord du Groenland ? “C’est un exemple de ‘surprise’.”