L'Assemblée nationale a ouvert la voie, dans la nuit du 16 au 17 juillet, à la possibilité pour le président de la République d'assister et de participer au débat après son discours devant le Congrès. Une modification qui est loin d’être anecdotique.
Le président de la République pourra-t-il, lors du prochain Congrès, "non seulement écouter" le débat des parlementaires après son intervention solennelle "mais aussi leur répondre" ? L’annonce de ce souhait d’ Emmanuel Macron faite à la surprise générale le 9 juillet devant le Parlement réuni à Versailles avait suscité critiques et mises en garde. Mais tout juste une semaine plus tard, dans la nuit du lundi 16 au mardi 17 juillet, les députés ont approuvé ce changement, par 40 voix contre 13, lors de l’examen du projet de réforme de la Constitution. Et ce alors qu’une modification en ce sens avait été rejetée lors de l'examen en Commission des Lois, en vertu du principe de séparation des pouvoirs.
J’ai demandé au gouvernement de déposer dès cette semaine un amendement qui permettra que je puisse, lors du Congrès de l’année prochaine, rester non seulement pour vous écouter, mais aussi pour vous répondre. #CongrèsVersailles
Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 9 juillet 2018Ce feu vert des députés ouvre la voie à un remaniement de l’article 18 de la Constitution, lequel prévoit lors de la réunion du Parlement en Congrès que la déclaration du président de la République puisse "donner lieu, hors sa présence, à un débat qui ne fait l'objet d'aucun vote". Le vote des députés ouvre la voie à la suppression de la formule "hors de sa présence". Une modification qui n’a rien d’anodin, selon le constitutionnaliste Didier Maus, joint par France 24 : " Ce n’est pas anecdotique. Si elle aboutit, ce sera même l’élément symbolique de la révision 2018 de la Constitution", juge-t-il. Pour ce spécialiste du droit constitutionnel, la possibilité pour le président d’assister au débat et d’y participer, "ramène le président de la République dans le débat politique ordinaire".
Une révision dans la lignée de ce qui s’est passé lors du Congrès du 9 juillet : "Emmanuel Macron a fait à Versailles un discours de politique générale, un discours qui normalement était fait par le Premier ministre", estime Didier Maus. "Le président de la République a préempté la fonction de Premier ministre", résume le constitutionaliste tout en écartant toute "anomalie constitutionnelle". Il poursuit : "Si tous les ans, le président de la République fait un discours bilan-programme, le Premier ministre n’a plus le même rôle".
Dès l’annonce surprise d’Emmanuel Macron, le président du Sénat Gérard Larcher avait averti que la révision de l’article 18 bouleverserait tout l’équilibre de la Ve République. "Cela reviendrait à reconnaître le cumul entre les fonctions de président de la République et celle de Premier ministre. Et je suis contre un tel cumul."
"Un renforcement du côté médiatique de la cinquième République"
"C’est un renforcement incontestable du rôle du président de la République comme chef politique", analyse Didier Maus. Il y voit une potentielle source de difficultés pour le chef de l’É ta t : "Faire un discours devant le Parlement, c’est prendre la responsabilité. Prendre le rôle de responsable numéro un de la politique peut être compliqué pour un président". Pour lui, le remaniement de l’article 18 de la Constitution signerait également "un renforcement du côté médiatique de la cinquième République".
Quid du rôle du Parlement ? "La cinquième République repose sur l’élection au suffrage universel direct du Président et la représentation nationale à l’Assemblée nationale. Si on renforce l’autorité du président de la République, cela n’est globalement pas favorable au Parlement".
Tandis que l’ex-président de l’Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel Jean-Louis Debré avait prévenu : "On ne joue pas avec la Constitution". Didier Maus estime, lui, que "la constitution peut être révisée".
Et cette révision de 2018 est "un pas de plus après celle de 2008", juge le constitutionaliste. À l’époque, le droit d'adresse du chef de l'État avait été gravé dans la constitution à l'initiative de Nicolas Sarkozy. Jusqu’alors, le président de la République ne pouvait qu'envoyer un message écrit, lu aux deux Chambres.
La révision de 2008, comme celle en cours, ne constituent pas une "une transformation du système", selon le constitutionaliste : "Ce serait le cas, si l’adresse du chef de l’État au Parlement était suivie d’un vote, car alors le président serait responsable devant le Parlement alors qu’il est responsable devant les citoyens".
Mais la disposition modifiant l’article 18 n’ira pas forcément à terme. Personne à ce stade ne peut dire le sort qui lui sera réservé au Sénat.