L'hospitalisation à Paris du maréchal Haftar, homme fort de l'est de la Libye, soulève la question de sa succession à la tête de l'Armée nationale libyenne, puissant outil pour le règlement de la crise politique et sécuritaire qui secoue le pays.
Les rumeurs enflent autour de l’état de santé du maréchal libyen Khalifa Haftar, disparu des radars depuis début avril. L’homme fort de l’est de la Libye, 75 ans, est hospitalisé dans un hôpital parisien "pour des examens médicaux normaux", a indiqué sur Twitter son porte-parole Ahmed al-Mesmari dans la soirée du vendredi 13 avril, et "sera de retour en Libye dans quelques jours pour poursuivre la lutte contre le terrorisme".
Au vu de son importance sur l’échiquier libyen, l’absence, depuis plus d’une semaine, de déclaration ou d’image du maréchal, et l’annonce de sa mort par des médias libyens et étrangers, bien qu’elle ait été démentie par son entourage et l’émissaire de l’ONU en Libye, nourrissent les incertitudes dans le pays.
Des informations obtenues par RFI notent que "des tractations se font en toute discrétion, dans les coulisses, pour assurer la succession de Khalifa Haftar afin d'essayer d’éviter une possible escalade dans l’est du pays en cas de confirmation de sa disparition".
Principal protagoniste pour le règlement de la crise
Ancien officier de l’armée libyenne ayant fait défection dans les années 1980, Khalifa Haftar s’est lancé depuis 2014 dans une bataille de reconquête du pays. Fort de victoires symboliques contre les jihadistes à la tête de la puissante Armée nationale libyenne (ANL), il s’est positionné comme l’un des principaux protagonistes pour le règlement de la crise politique de son pays. Deux autorités s'y disputent le pouvoir : le gouvernement d'union nationale (GNA), reconnu par la communauté internationale et basé à Tripoli, et une autorité exerçant son pouvoir dans l'Est avec le soutien de l’ANL.
La coalition de milices et de tribus que Khalifa Haftar a mises en place, avec l’appui de l’Égypte et des Émirats arabes unis, tient principalement grâce à sa personnalité rassembleuse, selon les observateurs. En son absence, les couteaux s’aiguisent en Cyrénaïque, l’est libyen. Mercredi 18 avril, un attentat à la voiture piégée a visé à Benghazi le chef d’état-major de l’ANL, Abdelrazak al-Nadhouri. Sorti indemne de l’attaque, il est, malgré une réputation controversée, l’un des successeurs potentiels de Khalifa Haftar si ce dernier venait à disparaître.
"Il y a trois explications possibles [à cette attaque]. Soit ce sont des terroristes, ce qui est le plus probable, soit c’est politique, et lié à l’état de santé de Haftar, soit c’est économique parce que l’ANL a récemment gagné du terrain [dans le Fezzan, le sud-ouest libyen riche en hydrocarbures]", explique William Lawrence, professeur à la George Washington University et ancien diplomate américain basé à Tripoli.
Luttes tribales
"Cette attaque nous visait car nous faisons la guerre au terrorisme dans la ville de Derna [à 300 km à l’est de Benghazi]. Nos ennemis pensent que nous sommes divisés, mais c’est faux. Nous attendons le retour du maréchal Haftar, qui va revenir sain et sauf", a déclaré Abdelrazak al-Nadhouri, soutenant la thèse jihadiste.
D’un autre côté, la position de successeur potentiel d’al-Nadhouri déplairait à certains "partis étrangers qui ont beaucoup investi dans l'ANL et qui veulent que le commandement reste dans la famille Haftar ou dans la tribu al-Forjane à laquelle il appartient", affirme à RFI un ancien conseiller politique du maréchal.
Les autres successeurs potentiels de Khalifa Haftar se trouvent en effet dans son cercle rapproché. On y compte ses deux fils, Khaled et Saddam, officiers dans son armée. Son directeur de cabinet, Aoun al-Forjani issu de la tribu al-Forjane, est aussi en bonne place, tout comme le général Abdelassam al-Hassi, chef des opérations à l'état-major.
Pour William Lawrence, un autre homme pourrait profiter de la disparition de Khalifa Haftar : Fayez al-Sarraj, chef du gouvernement d’union nationale basé à Tripoli et reconnu par la communauté internationale. "La manière dont Sarraj a condamné l’attaque [contre Abdelrazak al-Nadhouri] a surpris car il ne le fait pas normalement aussi vite. C’est une tentative pour lui de s’impliquer dans les affaires de l'Est."
Et le chercheur de poursuivre : "La chose la plus importante qui a bloqué la renégociation de l’accord politique pour la Libye [signé en 2015 sous l’égide de l’ONU, et qui prévoyait un mandat d’un an renouvelable pour le GNA], c’était le statut du maréchal Haftar. S'il sort de la scène, il y a une occasion de renégocier cet accord, mais pour le moment les négociations n'avancent pas et l’ONU n’arrive pas regrouper les partis".