![Quelle place pour l'Égypte de Sissi au Moyen-Orient ? Quelle place pour l'Égypte de Sissi au Moyen-Orient ?](/data/posts/2022/07/23/1658560729_Quelle-place-pour-l-Egypte-de-Sissi-au-Moyen-Orient.jpg)
L'Égypte se prépare à offrir un nouveau mandat à Abdel Fatah Al-Sissi, à la tête du pays depuis 2014. Mais Le Caire a perdu ces dernières années de l'influence au Moyen-Orient. Malgré cela, le pays revendique encore une certaine indépendance.
Cela ne fait presque aucun doute, le président égyptien Abdel Fatah Al-Sissi sera réélu le 26 mars prochain. L’ancien militaire a vidé l'Égypte de toute opposition et, pour s’assurer le soutien de la population, il communique largement sur le retour supposé de la sécurité dans un pays marqué par de nombreuses attaques terroristes ces dernières années.
Même si l'Égypte n'est plus aussi influente qu'avant la révolution de 2011, le président Sissi a renforcé son image sur la scène internationale. Aujourd'hui, Le Caire bénéficie des pétrodollars des pays du Golfe et des armes que lui vend la Russie. Pourtant, l’Égypte réussit à conserver une certaine indépendance et se concentre sur ses dossiers prioritaires : la Libye et l’Éthiopie.
Timothy E. Kaldas, chercheur non-résident au Tahrir institute for Middle East policy (Washington, États-Unis), a répondu depuis Le Caire aux questions de France 24.
France 24 : Quelle influence l'Égypte a-t-elle aujourd'hui au Moyen-Orient ?
Timothy E. Kaldas : L’influence égyptienne a incontestablement diminué au cours des dix dernières années, particulièrement après la révolution de 2011. Néanmoins, depuis qu’Abdel Fatah Al-Sissi est arrivé au pouvoir, il a consolidé son pouvoir sur la scène internationale. L’Égypte est plus active aujourd’hui à l’étranger qu’elle ne l’était lors de la période 2011-2013.
Le Caire est, par exemple, de retour dans l’Union africaine depuis 2014 et participe activement aux négociations entre le Hamas et l’Autorité palestinienne sur la situation dans la bande de Gaza.
Mais l’Égypte aimerait revenir plus franchement sur la scène internationale. C’est sans doute la raison pour laquelle Sissi a choisi d’adopter une position neutre dans la crise qui a éclaté entre le Liban et l’Arabie saoudite en novembre 2017. Il défend l'idée que le Moyen-Orient souffre déjà d’assez de problèmes sans en créer d’autres.
L'Arabie saoudite injecte des millions de dollars dans l'économie égyptienne. Début mars, le prince Mohammed Ben Salmane était reçu en grande pompe au Caire. Ces aides financières ont-elles pour effet une certaine soumission du Caire vis-à-vis de la politique saoudienne ?
Pas vraiment. Malgré le fait que l'Arabie saoudite donne énormément d'argent à l'Égypte, Sissi ne fait pas tout ce que veut Riyad. Il n’a pas soutenu l’Arabie saoudite pendant la crise avec le Liban par exemple.
Riyad et Le Caire ont noué des liens économiques très forts, notamment autour de la nouvelle capitale que Sissi est en train de construire en plein désert.
L’Égypte parvient à ne pas se plier à ce que ses soutiens financiers lui demandent, car elle a été assez habile pour les multiplier. Aujourd’hui, le pouvoir égyptien a suffisamment d’arrangements avec la France, la Russie et les pays du Golfe pour ne dépendre totalement de personne.
Vladimir Poutine a été reçu au Caire en décembre 2017. Au cours de la semaine précédant sa visite, un accord établissant une présence militaire russe en Égypte avait été signé. Sissi cherche-t-il l'appui de Moscou ?
Le président Sissi est à la recherche de tous les soutiens possibles, car l’Égypte veut s’assurer que personne ne l’empêche d’avoir accès à des armes.
Pendant longtemps, Le Caire a été dépendant des États-Unis pour son armement, mais quand les fonds américains ont diminué après le coup d’État de juillet 2013, l’Égypte a commencé à chercher ailleurs. Le pays a acheté des armes aux Russes, des avions aux Français, des sous-marins aux Allemands.
L’Égypte a besoin de ces armes car elle est engagée militairement en Libye et s’inquiète du projet de barrage de la Renaissance en Éthiopie. Le Caire craint qu’il diminue le débit du Nil et veut donc être en mesure de présenter une menace militaire sérieuse pour peser à la table des négociations.
L’Égypte doit aussi défendre ses explorations de gaz en mer Méditerranée. Pour cela, il lui faut une flotte suffisamment étoffée.
Les deux pays se sont également retrouvés alliés en soutenant Bachar Al-Assad en Syrie.
Effectivement, l’Égypte et la Russie soutiennent tous deux Bachar Al-Assad, mais de manière très différente. Le Caire se contente de faire savoir qu’elle préfèrerait que l’armée syrienne ait le dessus sur les rebelles. Moscou prend activement part aux combats. Je ne pense pas que l’Égypte ait l’intention de s’impliquer sur le terrain.
En outre, Bachar Al-Assad utilise l’argument de la lutte contre le terrorisme islamiste pour justifier toutes ses actions. Sissi utilise le même discours pour justifier la répression en Égypte.
Bachar Al-Assad est aussi soutenu par l'Iran. L'Égypte voit-elle ce pays comme une menace ?
Non, c’est la principale différence entre l’Égypte et les pays du Golfe. L’Iran n’est pas une priorité pour les Égyptiens, dans la mesure où il n’est pas présent dans les pays pour lesquels l’Égypte se fait du souci : la Libye et l’Éthiopie.
L’Iran est impliqué en Syrie et au Yémen parce que ses adversaires du Golfe le sont. Il n’y a pas de raison pour que l’Égypte s’inquiète des prétentions iraniennes.
Sissi a inauguré en janvier 2018 l'immense gisement de gaz offshore de Zohr, en Méditerranée. Pourrait-il permettre à l’Égypte de s'imposer comme une puissance gazière au Moyen-Orient ?
Le gisement de gaz de Zohr est une découverte importante pour l’Égypte et va être bénéfique à son économie pendant des années. Mais si les Égyptiens ne trouvent pas plus de gaz dans les cinq ou six prochaines années, l’Égypte redeviendra importatrice de gaz. La population égyptienne croît assez rapidement et les besoins en énergie du pays sont donc de plus en plus importants.
Pour le moment, l’Égypte cherche plutôt à devenir un "hub" pour le commerce du gaz au Moyen-Orient. Le Caire espère s’imposer en tant que plateforme où le gaz extrait en Méditerranée, par Israël par exemple, pourra être acheminé, liquéfié, mis en bouteilles et envoyé en Europe.