
Comment mieux faire évoluer le jeu vidéo et l'e-sport français ? Le député Denis Masséglia, qui va diriger le groupe d'étude sur les jeux vidéo à l'Assemblée nationale, nous livre sa vision des choses.
Réfléchir sur les jeux vidéo à l'Assemblée nationale, voilà une idée qui pourrait sembler curieuse. Denis Masséglia, député LREM de la 5e circoncription du Maine-et-Loire a lancé, mardi 6 mars, le premier groupe d'étude sur les jeux vidéo (GEJV) de l'hémicycle.
Le but de la manœuvre est de mieux comprendre et anticiper les évolutions d'un secteur culturel qui génère 3,46 milliards d'euros de chiffre d'affaires chaque année. Une tâche ardue, qui n'a jamais été sérieusement menée par les responsables politiques.
Mashable FR s'est entretenu avec Denis Masséglia pour comprendre sa vision du jeu vidéo, savoir ce qu'il compte faire de ce groupe d'étude et l'interroger sur les débats qui animent actuellement le milieu. Il nous donne sa vision de l'industrie du jeu vidéo français et ce qu'il faut faire pour encorager son développement.
Mashable FR : Le SELL (Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs) décrit le jeu vidéo comme la deuxième industrie culturelle en France. Selon vous, quelles sont les forces, quels sont les faiblesses de l’industrie française du jeu vidéo ?
Denis Masséglia : C’est une industrie culturelle d’avenir, qu’on le veuille ou non. Notre nouvelle génération passe de moins en moins de temps à regarder la télévision et de plus en plus de temps devant les jeux vidéo. C’est un axe de communication et de rencontre qui s’amplifie. En France, nous avons de superbes entreprises du jeu vidéo, des petites et des plus importantes.
On peut parler d’Ubisoft, qui irrigue le monde de jeux. Mais aussi de plus petites structures, comme Voodoo par exemple, qui réalise des jeux sur smartphones et qui est l’un des leaders mondiaux. La faiblesse, ce serait peut-être – et ce sera sûrement l’un des thèmes du groupe d’étude – d’essayer de comprendre pourquoi des entreprises, comme Ubisoft par exemple, ont plus de personnel à l’étranger, comme au Québec, qu’en France. L’idée, ce serait de comprendre quelle est la raison, réfléchir dessus, et éventuellement y apporter une réponse.
Arrêtons-nous un peu sur le groupe d’étude. Sur quoi voulez-vous axer la réflexion et le travail commun ?
Pour rappel, un groupe d’étude permet d’avoir une réflexion, une veille sur un sujet particulier. En l’occurrence, sur le jeu vidéo. Tous les députés qui souhaitent échanger sur le thème sont les bienvenus, c’est ouvert à tous les groupes de l’hémicycle. Dans ce cas, il y aura des députés de la France Insoumise, mais aussi des Républicains. Ce qui amène à penser que cette structure n’a pas vocation à légiférer. Même si des membres peuvent vouloir légiférer par eux-mêmes avec l'aide de leur groupe politique.
Les thèmes qui seront abordés sont assez nombreux et peuvent évoluer. Le thème principal reste l’industrie du jeu vidéo – comment développer nos entreprises, avoir plus de salariés du domaine sur notre territoire, assurer la formation des personnes, s’assurer que les conditions de travail soient en adéquation avec la législation. Le deuxième point, c’est la place des femmes dans ce domaine, plus précisément dans l’industrie et dans le jeu compétitif, l’e-sport. Aujourd’hui, 47 % des joueuses sont des femmes, tandis que dans le monde de l’entreprise, seules 15 % des salariées de l’industrie sont des femmes.
On parlera aussi des serious games, notamment concernant la formation des élèves ou des personnes à la recherche d’emploi. L’e-sport est également un thème important, qui connaît une croissance vraiment extraordinaire. Je pense qu’on arrive à un nouveau phénomène de société et en tant que responsable politique, nous devons nous pencher dessus dès maintenant.
On reviendra sur l’e-sport. Mais concernant le groupe d’étude, vous n’aurez donc aucun levier d’action, vous ne porterez pas de voix commune sur des sujets précis ?
Les groupes n’ont pas vocation à légiférer. Mais nous avons vocation à faire une veille, à faire connaître ce qui doit être amélioré. Après, chacun des députés sera libre de faire des propositions dans l’hémicycle.
Vous-même, en tant que député LREM, avez-vous eu l’occasion de discuter de jeux vidéo avec Édouard Philippe ou Emmanuel Macron ?
Je n’ai pas eu l’opportunité de discuter de ces sujets avec Édouard Philippe ou Emmanuel Macron. J’ai en revanche échangé de manière ouverte et large avec Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État au Numérique, et François Nyssen, ministre de la Culture. Ce sont des personnes qui ont des profils assez différents. Ils sont tous les deux très sensibles au sujet. Françoise Nyssen est allée à la Paris Games Week et elle est très consciente de la place que le jeu vidéo prend dans la culture.
"Je serai partisan de défendre la mise en place de projets qui visent à coder un jeu vidéo pendant l’année"
Récemment, Donald Trump a encore pris position contre la violence dans les jeux vidéo. Comment fait-on pour éduquer au jeu vidéo, faire comprendre son art et sa pratique ?
Le jeu vidéo a cinquante ans d’âge, la violence de l’homme envers l’homme me semble être bien plus ancienne ! Vouloir attribuer tous les maux de la société au jeu, c’est stigmatiser ce domaine sans avoir une vision, une connaissance de ce qu’il est. C’est pour ça que nous devons le vulgariser.
Maintenant, comment éduquer à l’usage du jeu vidéo ? Quand on a une télévision et un enfant de moins de douze ans, on lui interdit de regarder des films pour les plus âgés. Avec le jeu vidéo, on a le système PEGI, qui permet de filtrer certains types de jeux vidéo. Mes enfants ne jouent pas à GTA, au même titre qu’ils ne regardent pas certaines émissions. Nous avons trop tendance à vouloir que la société protège nos enfants, alors que c’est le rôle des parents. L’industrie met en place des garde-fous, aux parents de prendre leurs responsabilités.
En parallèle, en quoi le jeu vidéo peut-il être un outil, un médium intéressant pour faire apprendre des choses ? Vous me parliez tout à l’heure de serious games, c’est visiblement quelque chose qui vous tient à cœur ?
Je suis ingénieur arts et métiers. J’ai toujours été attiré par la technologie et j’ai surtout eu l’opportunité, au travers des entreprises dans lesquelles j’ai pu travailler, de voir l’importance de la maîtrise du code informatique. Aujourd’hui, dans les entreprises, quand on est capable de maîtriser le langage informatique et de coder, on a énormément de débouchés. C’est quelque chose d’omniprésent !
Ma réflexion, c’est de comprendre comment on peut, via notre système scolaire, sensibiliser les enfants au codage pour qu’ils puissent voir s’ils apprécient et acquièrent des connaissances sur comment fonctionne les outils qui sont présents autour d’eux. Je serai partisan de défendre la mise en place de projets qui visent à coder un jeu vidéo pendant l’année, à l’école primaire ou au collège, par exemple. Le but, ce n’est pas forcément que les enfants arrivent en troisième en sachant coder, mais qu’au moment où ils doivent faire des choix, ils soient capables de savoir comment l’informatique fonctionne. Mes enfants avaient codé un petit jeu de type "Space Invaders" dans lequel il fallait entrer des calculs pour tirer. On peut utiliser ce type de jeu et aller plus loin en les développant en classe.
Je voudrais qu’on s’arrête sur les débats qui animent l’industrie récemment. Le Syndicat des travailleurs et travailleuses du jeu vidéo, créé à l’été 2017, avait émis quelques réserves sur le groupe d’étude que vous allez conduire, notamment à cause d’un manque d’intérêt pour les conditions de travail des salariés du secteur. Vous avez visiblement changé d’avis. Pourquoi ce revirement ? Est-ce que vous allez interroger des personnes sur ces conditions de travail, mener une réflexion sur ces problématiques ?
Ce n’est pas un revirement. Lors de la soirée de lancement, Le Monde m’a posé une question. Ils m’ont demandé ce que je pensais des conditions des salariés dans le jeu vidéo et ce qu’il fallait faire de spécifique à ce milieu. Ma réponse est qu’il n’y a pas de conditions ou de règles particulières à mettre en place dans le milieu du jeu vidéo. Les lois s’appliquent quel que soit le domaine d’activité dans lequel on travaille.
Les sujets qui seront abordés dans le groupe d’étude ne sont pas exhaustifs et d’autres pourront être étudiés. Nous avons dit que nous réfléchirions à l’industrie, cela intègre la situation des personnes qui y travaillent.
Concernant la remarque du STJV, je pense que cela a été un peu sorti de son contexte. Je les ai rencontrés en leur disant qu’ils avaient fait cette remarque sur le manque d’intérêt du GEJV, que j’étais surpris de cette réaction. Eux ont affirmé qu’ils étaient simplement surpris que ce sujet-là ne soit pas travaillé. Je pense que c’est plus un problème de communication. Nous avons passé une heure ensemble où nous avons pu échanger sur de nombreux sujets.
Ces derniers mois, on voit pourtant bien qu’il y a quelque chose de particulier qu’il se passe, avec les enquêtes de Canard PC, Mediapart et Le Monde sur les conditions de travail ou la grève chez Eugene Systems. Est-ce qu’il faut un regard plus sévère sur les grandes entreprises du jeu vidéo ?
Je refuse toute stigmatisation visant à dire que les entreprises du jeu vidéo sont plus dures ou pires que les autres entreprises. Je ne dis pas que tout va bien dans le meilleur des mondes. Aujourd’hui, je pense qu’il faut prendre le temps. J’ai passé une heure avec le STJV, ce n’est sans doute pas suffisant. Il faut prendre le temps de rencontrer les salariés comme les patrons des entreprises.
C’est le rôle de ce groupe d’étude de prendre le temps de regarder comment ça se passe dans le secteur et essayer d’améliorer la communication entre les entités. J’ai trouvé le STJV très constructif, les grands patrons des entreprises aussi. Je reste persuadé que ça se passe bien dans la plupart des cas. Concernant Eugene Systems, je ne les ai pas rencontrés, je ne peux pas juger ce qu’il en est.
En accès libre cette semaine : le volet de notre enquête sur les conditions de travail dans l'industrie du jeu vidéo consacré au studio français Quantic Dream. En partenariat avec @mediapart. https://t.co/KTnBhrjGL6 pic.twitter.com/kdKdvTdfcC
— Canard PC (@Canardpcredac) 22 janvier 2018
Mais c’est quelque chose qui serait envisageable dans la configuration du GEJV ?
Bien sûr. L’objectif, c’est de rencontrer avec tout le monde et de discuter avec tout le monde. Nous n’avons pas de position dogmatique. Voyons comment on peut comprendre le sujet et intervenir si nécessaire.
En France, on a quelques grands fleurons (Ankama, Ubisoft, Gameloft...) et énormément de petites boîtes indépendantes qui souvent ne survivent pas. Est-ce qu’il n’y a pas une forme de décalage, un écart trop important entre ces entreprises ? Faut-il réfléchir à une forme de soutien ?
Je ne pense pas que ce soit à l’État de financer des entreprises qui ne sont pas rentables. Si l’on prend l’exemple de Voodoo, que j’ai rencontré deux fois, ils ont un modèle très simple : faire du volume pour pouvoir financer des jeux non rentables. Réaliser un jeu vidéo, c’est de gros risques pour une petite boîte. Vouloir créer une société autour d’un seul et unique projet, c’est prendre de trop grands risques.
"Je ne pense pas que ce soit à l’État de financer des entreprises qui ne sont pas rentables"
Les entreprises qui se lancent doivent être conscientes de cela et que le jeu qu’elles développent peut ne pas fonctionner. Le jeu vidéo est très concurrentiel, avec des milliers de titres qui sortent chaque année.
Mais il est peut-être possible de faire quelque chose pour améliorer l’écosystème des petites boîtes du jeu vidéo en France. Vous me parliez d’Ubisoft et de ses recrutements au Québec plutôt qu’en France.
Ubisoft est une entreprise différente qu’on doit dissocier des studios indépendantes. Les entreprises qui se lancent sont souvent sur des jeux mobiles ou PC, dans un domaine extrêmement rude où les chances de réussite sont inférieures à 50 %. C’est une réflexion qu’elles doivent avoir.
Pour conclure, une question sur l’e-sport. Vous manifestez l’envie de la France un vrai pays d’e-sport. Le marché représente 22,4 millions d’euros en France selon l’AFJV, peu de choses en comparaison du marché global du jeu vidéo. Pourquoi cette envie de développer fortement l’e-sport en France ?
Lorsque Internet a été démocratisé, ça a représenté quelques millions de dollars. C’était une bulle qui n’intéressait pas grand monde. On voit aujourd’hui ce que sont devenus les Google, Amazon et autre. J’élargis un peu, mais nous sommes, à mon sens, dans un changement des usages, du rapport aux médiums. Je pense que ma génération est la dernière à accepter de se donner rendez-vous à 20 heures pour le journal. La nouvelle génération n’est plus dans cette construction.
Avec l’e-sport, c’est une culture de rencontre et de partage grâce aux jeux vidéo qui s’impose. On ne doit pas rater le wagon, comme on a raté celui d’Internet. Si on rate, on va devoir courir derrière en se disant qu’on aurait dû étudier le sujet plus tôt. C’est aujourd’hui que nous devons nous en saisir, parce que même si les chiffres d’affaires sont encore faibles, le domaine connaît une croissance exponentielle. À combien sera l’industrie de l’e-sport en France en 2022 ou en 2025 ? Je ne peux pas le dire, mais il sera très largement au-dessus de ce qu’il est aujourd’hui. Analysons, suivons ce qu’il se passe et essayons d’aiguiller.
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