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Samba, cachaça et politique : le Brésil célèbre son carnaval

Un peu partout au Brésil, l'heure est au carnaval : cinq jours de fête, de musique et d'excès, mais aussi de crispation politique entre fêtards célébrant la diversité du Brésil et défenseurs de l'ordre moral.

Au Brésil, le carnaval est une institution qui marque le temps. Au cours de l’année, on prépare le carnaval, puis on le pleure quand il se termine, avant d’attendre le suivant. Depuis vendredi 9 février, le pays est à l’arrêt et chacun fête l'occasion à sa sauce. Une pause familiale afin de profiter de l’été austral peu avant la rentrée scolaire pour les uns, faire la fête dans la rue, se lâcher, tout oublier pour les autres – jusqu’au mercredi des cendres.

Au-delà des paillettes des écoles de samba et de la consommation immodérée sur la voie publique de bière et de cachaça, le rhum agricole brésilien, le carnaval est un moment d’affirmation culturelle et identitaire, en particulier pour les Afro-Brésiliens et pour la communauté LGBT. Des grandes villes jusqu’aux plus petits villages, il a un rôle de chroniqueur de la vie politique et de marqueur du niveau des libertés publiques dans le pays.

À Rio, l a "fête du diable" indispose le maire évangéliste

À Rio de Janeiro, la préparation du plus grand carnaval du monde (il attire 1,5 million de visiteurs) a vu s’affronter le maire évangéliste de la ville et les organisateurs. Lors de l’édition 2017, Marcello Crivella avait refusé d’assister aux traditionnels défilés sur le Sambodrome.

Cette année, pressés par ses conseillers en communication, le maire, qui est aussi évêque de l'Église universelle du royaume de Dieu, a accépté de remettre, comme le veut la tradition, les clefs de la ville au "roi Momo", mais a appelé la population à ne pas trop boire.

Un geste d'apaisement vis-à-vis des écoles de samba, dont il a réduit les subventions de moitié. S'attaquer aux très populaires écoles de samba a été vécu comme une offensive puritaine et la volonté d'imposer une pensée conservatrice à la turbulente Cité Merveilleuse.

"Pour la doctrine évangélique, le carnaval est la fête du diable : c'est quelque chose qui gêne", dit Leandro Vieira, un cadre de la "Mangueira", une des écoles reines du carnaval.

Sao Paulo : l es fêtards luttent pour leurs cinq jours de liberté

À Sao Paulo, le carnaval peut aussi devenir une affaire politique. Dans la très conservatrice capitale économique du Brésil, le carnaval était quasiment interdit durant la dictature militaire (1964-1985). Ces dernières années, les maires successifs ont encouragé sa renaissance, autorisant sans restriction les manifestations de rue.

Le centre-ville un peu trash de la mégalopole devient une boîte de nuit à ciel ouvert le temps du carnaval, mais l’élection, fin 2016, de l’entrepreneur et millionnaire Joao Doria à la tête de la municipalité a changé la donne. Le maire tente d’encadrer les horaires, les parcours et met l’accent sur la vidéo-surveillance pour "contrôler les débordements". Et mobilise ses services pour que les participants cessent d’uriner dans la rue.

Un esprit bien peu carnavalesque qui choque les Paulistas, toujours plus nombreux (4 millions cette année) à rejoindre les "blocos de rua" (les chars musicaux et leurs suiveurs). Comme chaque année, le bloco Ilú Obá De Min ouvrira les festivités de rue. Ce groupe exclusivement féminin célèbre en chants et en percussions la mémoire des Afro-Brésiliens réfractaires à l’esclavage qui formaient des communautés appelés "Quilombo".

Bloco Ilú Obá De Min abre carnaval de rua de SP e homenageia mulheres quilombolas https://t.co/7M5Y04nHN2 pic.twitter.com/uLQqPgrxpE

  Luis (@_Jose_Peres_) 10 février 2018

L’autre affaire qui agite les aficionados du carnaval de Sao Paulo est celle de la présence d’un bloco dénommé Porão do DOPS 2018, qui s’est octroyé le titre de "bloco le plus anticommuniste de la galaxie". Organisé par un obscur groupe dénommé La droite de Sao Paulo, il fait notamment l’apologie d’officiers tortionnaires ayant sévit lors de la dictature militaire.

Temer dehors, Lula candidat

À Olinda, dans le Nordeste, un groupe de militants du Parti des travailleurs (au pouvoir), le Bloco do sapo barbudo (le Bloco du crapaud barbu), défile avec une chanson de soutien à l’ex-président Lula da Silva. Pourquoi le crapaud barbu ? C'est ainsi qu'un candidat à la présidentielle avat appelé Lula lors de sa première campagne en 1989. Les paroles ? "La dérision est dans la rue, viens te joindre à la fête populaire, avec la bande du crapaud barbu. Le juge Moro [qui a obtenu la condamnation de Lula, NDLR] va devoir reculer. Nous voulons la justice et non la persécution, la souveraineté de notre nation, le respect de la démocratie, les droits des travailleurs. Que les juges le veuillent ou non, le crapaud barbu participera aux élections."

À la fois défouloir, fête populaire irrévérencieuse et patrimoine culturel, le carnaval flirte chaque année avec le politique. En 2017, l’un des tubes du carnaval s’intitulait "Fora Temer" ("Dehors Temer") repris en boucle par tous les opposants à l’actuel président Michel Temer . Signé Tom Zé, il s’illustrait par un jeu de mots en portugais affirmant qu’il "ne faut avoir peur ('temor') de mettre dehors Temer".

La politique dans la rue, sur un air de samba

À Belo Horizonte, la capitale de l'État du Minas Gerais, la fanfare Orquestra Royal perpétue la tradition de mettre en musique la vie politique brésilienne. L’année dernière, elle avait composé une "marchinha" ("petite marche") intitulée "Lâchez les chiens", pour encourager la justice à se préoccuper des cas de corruption affectant le PSDB, l’un des principaux partis de droite au Brésil. Et une autre pour se moquer du maire de Sao Paulo et de son obsession d’éradiquer les graffitis. Toujours sur un air de samba, c’est le candidat d’extrême droite à l'élection présidentielle d’octobre, Jair Bolsonaro, crédité de 20 % d’intentions de vote dans les sondages, qui est cette année dans le viseur de la fanfare.