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Depuis le 21 mai, des photos et vidéos montrent le chef présumé d’une nouvelle milice palestinienne opérant à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza – une zone déclarée interdite aux civils par l’armée israélienne. Cet homme s’appelle Yasser Abu Shabab, et c’est un personnage controversé :  ancien détenu accusé de détournement de l’aide humanitaire en 2024, il affirme aujourd'hui protéger les camions d’aide qui entre dans l’enclave palestinienne, vidéos à l’appui.

Par : Djamel Belayachi Suivre

Sur des vidéos, on voit des hommes armés de fusils, équipés de casque militaire et de gilets pare-balles arborant un patch aux couleurs du drapeau palestinien, en train de gérer la circulation sur la route Salaheddine à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.

Plusieurs sources citées par le journal israélien Haaretz affirment qu’il s’agit de membres d'une milice dirigée par Yasser Abu Shabab, un homme originaire d’une grande famille bédouine de Rafah. Le personnage est connu pour ses démêlés avec la justice du Hamas, qui l’aurait emprisonné à plusieurs reprises pour des délits de droit commun.

L'une de ses pages Facebook, intitulée "Yasser Abu Shabab – Forces populaires", a publié le 30 mai une image de couverture avec le logo "Forces populaires – Palestine". La description de la page est rédigée en anglais et en arabe : "La voix de la vérité contre le terrorisme pour une patrie sûre pour tous."

Dans une photo publiée sur cette même page le 21 mai, on voit apparemment un membre de son groupe effectuant un contrôle à Rafah, sur une route où transitaient des véhicules de l’ONU. "Un aperçu de notre sécurisation de neuf camions de farine du Programme Alimentaire Mondial," peut-on lire en légende. "Nous avons aussi sécurisé cinq camions chargés de médicaments et de nourriture pour les enfants, après une coupure qui a duré 11 jours."

Que sait-on sur Yasser Abu Shabab, l’homme accusé de pillage à Gaza ?

Plus intrigant encore, une des vidéos circulant sur les réseaux sociaux, diffusée le 21 mai, montre un membre de la milice – difficile à identifier car filmé de dos – contrôler un véhicule de la Croix-Rouge (CICR). 

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Le CICR dément toute coordination avec le groupe

Contacté par la rédaction, Hachem Osseiran, porte-parole du CICR, a rejeté toute coopération avec le groupe de Yasser Abu Shabab : 

"La vidéo a été capturée lors d’un déplacement régulier du CICR. L’équipe a été arrêtée de manière inattendue par des individus armés dans la zone tampon désignée par l’armée israélienne. L’équipe a expliqué qui elle était et la nature de sa mission, et a pu poursuivre son trajet sans incident. Le CICR agit de manière indépendante et rejette catégoriquement toute insinuation de coopération avec quelque acteur que ce soit."

Sur une story Facebook publiée par une personne qui s'identifie comme membre de la milice, on voit aussi des hommes armés contrôler un convoi de véhicules de l’ONU. Sur la vitre de l'un des véhicules, le sigle du Programme alimentaire mondial (PAM) est bien visible.    

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Les deux vidéos, ainsi que la photo mentionnée plus haut, ont été prises au même endroit.

Les images ont été géolocalisées sur X par @ja31ck et @NemoAnno, ici, non loin d’intersection par laquelle passent habituellement les camions d’aide humanitaire (ici) venant du point de passage de Kerem Shalom.   

Or, la zone de Rafah où ces images ont été prises est placée sous le contrôle total de l’armée israélienne, qui l’a déclarée "interdite", et où aucun civil n'est censé se trouver. Comment une milice armée peut-elle circuler librement dans une zone fermée aux civils ? 

"Cet individu est protégé par l’armée israélienne"

Contacté, Amjad al Shawa, directeur du réseau des ONG de Palestine (PNGO), témoigne : 

"Cet homme est connu dans la bande de Gaza. Avec son groupe d’hommes armés, il coupait les routes et s’emparait de l’aide humanitaire qui entrait. Il dressait des barrages sur la route Salaheddine, le tronçon qui se trouve dans la zone de Rafah, et il braquait les camions pour voler de la farine, notamment.

Il était en prison pour divers délits avant le 4 octobre 2023, mais quand l’armée israélienne a commencé à bombarder les prisons, il a été libéré."

En novembre 2024, un article du Financial Times citait des membres de sa tribu, les Tarabin, qui l’accusaient de racket. Des ONG ont même assuré au média britannique avoir renoncé à livrer certaines cargaisons pour éviter de payer des "frais de passage" imposés par ses hommes. 

Amjad al Shawa poursuit : 

"C’est très bizarre que cet homme se fasse passer pour un grand défenseur de l’aide humanitaire.

Cet individu est clairement protégé par l’armée israélienne, car il opère dans une zone qu’elle a déclarée interdite.

Il y a d’autres groupes armés qui pillent l’aide humanitaire, à part le groupe d’Abu Shabab. Ce sont les Israéliens qui désignent les itinéraires pour les convois d’aide humanitaire, et donc eux qui les envoient directement vers les coupeurs de route.

En parallèle, l’armée israélienne a systématiquement pris pour cible les agents de police [qu’elle considère comme faisant partie du Hamas, NDLR] qui accompagnaient les convois d’aide humanitaire."

Coopération avec l’armée israélienne ?

Des témoignages recueillis par le quotidien israélien Haaretz en novembre 2024 auprès d’ONG humanitaires à Gaza affirment que l'armée israélienne a "permis à des groupes de pillards de racketter les convois" d’aide humanitaire qui entraient dans Gaza. À la même période, le site d’information Egypt Window a cité une note de l’ONU selon laquelle "l’armée israélienne a permis à ces groupes armés de bloquer et détourner les convois d’aide."

Selon un habitant de Gaza contacté par les Observateurs, les vidéos récentes montrant Abu Shabab "protégeant" les convois seraient trompeuses :

"Actuellement, il est toujours dans cette zone à Rafah, totalement occupée par l’armée israélienne. Récemment, on a vu des vidéos de lui soi-disant en train de protéger l’aide humanitaire, alors qu’il n’y a rien à protéger : c’est une zone où il y a uniquement les Israéliens."

Selon lui, il s’agirait d’une opération de communication orchestrée par l'État hébreu :

"Israël veut faire de lui un phénomène, montrer qu’il y a une force opposée au Hamas et qui est en train de protéger l’aide humanitaire. C’est de la propagande israélienne. Cet individu publie des communiqués sur Facebook. Israël veut faire passer un message selon lequel il y a des clans qui sont contre le Hamas, et que le Hamas ne peut pas les toucher parce qu’ils sont très forts."

Contactée, l’armée israélienne n’a pas souhaité répondre à nos questions.