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Des chercheurs envisagent pour de bon de rétrécir les humains pour diminuer notre impact environnemental

Dans le film "Downsizing", Matt Damon accepte d’être rétréci pour ne mesurer plus que 12 cm et diminuer ainsi le risque de disparition de l’espèce humaine. Loin de la fiction, des chercheurs envisagent sérieusement cette théorie depuis plusieurs années.

Rétrécir les hommes sur fond d’un scénario comique ou dramatique, ce n’est pas la première fois que le cinéma y pense. "La Fiancée de Frankenstein" en 1935, "L’Homme qui rétrécit" en 1957, "Chéri j’ai rétréci les gosses" en 1989, et maintenant "Downsizing" en salles le 10 janvier 2018. Dans ce nouveau long-métrage, les coscénaristes Jim Taylor et Alexander Payne (aussi réalisateur) ont imaginé un monde où des scientifiques proposent aux hommes et femmes de subir une miniaturisation cellulaire pour réduire leur impact environnemental et donc "sauver l’humanité".

"La perspective d’un homme qui accepte d’être rétréci parce que la population est en constante expansion est à la fois formidablement caustique et en résonance avec notre époque", explique dans les notes de production Matt Damon, qui incarne le rôle principal aux côtés des réjouissants Christoph Waltz et Hong Chau. Et pour cause, impossible de nier la croissance impressionnante de la population mondiale. En 2017, notre planète a franchi le seuil des 7 milliards et demi d’habitants, d’après les Nations Unies. Et la perspective n’est pas à la stabilisation. En 2050, nous devrions être 10 milliards sur Terre.

Après l’avoir évoqué dans son livre "Une brève histoire du temps", l’astrophysicien Stephen Hawking assénait encore ses inquiétudes quant à l’inhabitabilité prochaine de la Terre lors du Tencent WE summit en novembre 2017 : "Je célèbrerai mon 80e anniversaire en 2020 et durant ma vie, la population du monde aura quadruplé. Cette croissance exponentielle ne peut pas continuer durant le prochain millénaire. En 2600, la population du globe sera 'épaules contre épaules' et la consommation électrique fera que la Terre atteindra un point d'incandescence. C'est intenable."

La science peut-elle vraiment rétrécir les humaines ?

Alors si Alexander Payne confiait lors d’une avant-première parisienne de son film avoir "surtout inventé" le processus de miniaturisation cellulaire et "essayé de deviner un peu ce qu’il pouvait se passer", des chercheurs contemporains se sont sérieusement penchés sur la question de réduire la taille des humains pour diminuer dans la foulée leur impact sur l’environnement. En février 2012, l’étude "Human Engineering and Climate Change", comprenez "Transhumanisme et réchauffement climatique" en français, paraissait dans la publication Ethics, Policy & Environment. Matthew Liao, directeur du centre sur la bioéthique de l’université de New York, et ses collègues Anders Sandberg and Rebecca Roache, y énumèrent une série de propositions de "modifications biomédicales de l’humain" pour réduire son impact sur l’environnement.

"L’empreinte écologique d’un humain est en partie liée à sa taille"

Et si Matthew Liao a participé en ce début d’année à une conférence aux côtés du coscénariste de "Downsizing" à New York, c’est justement parce que l’une des solutions qu’il propose est de réduire la taille des hommes. "L’une des choses qu’on a remarquées c’est que l’empreinte écologique d’un humain est en partie liée à sa taille", explique-t-il dans une interview au site The Atlantic, publiée en 2012. Bon, ce spécialiste de la bioéthique ne va pas jusqu’à imaginer rétrécir les humains à hauteur de 0,03634 % de leur masse corporelle comme dans le film, mais il fait le calcul suivant : "Si l’on réduit la moyenne de la taille des Américains de 15 centimètres, on diminue la masse corporelle de 21 % pour un homme et 25 % pour une femme, ce qui correspond à une réduction de 15 à 18 % du métabolisme de base" – c’est-à-dire la quantité d’énergie dépensée par jour. "Moins de muscles signifie moins de besoins en énergie et en nutriments", poursuit Matthew Liao. Et ce n’est pas tout : plus une personne est petite et donc plus légère, moins elle ne nécessite de carburant au kilomètre pour se déplacer, moins vite elle n’use ses chaussures, tapis et autres fournitures, etc.

You can now listen to my conversation with Jim Taylor, @AcademyAwardHD winner and the screenwriter for @downsizingfilm, moderated by @heather_berlin at the @MovingImageNYC! https://t.co/AdBeSwxxjb #human_engineering #climatechange pic.twitter.com/8Z2SQoZo9b

— S. Matthew Liao (@smatthewliao) 3 janvier 2018

"Différencier les embryons petits des grands avant la naissance"

Ok pour ces calculs plutôt logiques, mais encore faut-il pouvoir réellement réduire la taille des humains. Pour se faire, Matthew Liao a là encore mis au point plusieurs solutions tout à fait possibles. La première serait d’utiliser le diagnostic préimplantatoire, qui permet déjà de différencier les embryons sains de ceux atteints d’une maladie génétique après une fécondation in vitro : "dans ce scénario, on chercherait à sélectionner les embryons à implanter en fonction de leur taille", détaille le professeur. Une deuxième solution consisterait en un traitement hormonal dans le but de provoquer la fermeture du cartilage de croissance plus tôt que prévu. "Ces hormones sont déjà utilisées pour ralentir la croissance d’enfants trop grands", assure Matthew Liao. Troisième solution avancée par les chercheurs : favoriser la copie héritée d’un gène de la mère plutôt que celle du père, ou inversement, lorsqu’il y a une grande disparité entre les tailles des parents. On parle dans ce cas de "gène soumis à empreinte".

Du transhumanisme techno-progressiste

Et l’équipe de Matthew Liao ne s’est pas arrêtée là. Outre le "downsizing", leur étude évoque la conception d’une pilule ou d’un patch qui provoquerait à notre organisme une intolérance aux protéines bovines – de quoi rendre obsolète les élevages de masse et le commerce de la viande, ou encore réussir à doter l’homme de yeux de chat pour mieux voir la nuit et réduire notre consommation en lumière. Aussi extravagantes que ces solutions puissent paraître, Matthew Liao n’est pas le seul à poursuivre ce type de recherches. En 2013, l’artiste danoise Arne Hendriks remportait un Dutch Design Award dans la catégorie "concepts du futur" avec son projet "The Incredible Shinking Man" où elle imagine comment se porterait notre monde si tous les humains mesuraient 50 cm.

L'éthique comme souvent en question

Loin du business bling-bling de l’homme augmenté de certains défenseurs du transhumanisme, les idées du professeur Matthew Liao et d’autres chercheurs semblent plus tenir du techno-progressisme, ce mouvement du transhumanisme qui incorpore une solide réflexion sociétale et environnementale, comme on l’évoquait en novembre dernier après notre passage au colloque Transvision. Ce qui ne les empêchent pas de soulever de lourdes questions éthiques. Peut-on vraiment décider de "trier" des embryons pour ne garder que les plus petits et éliminer les autres ? Et de modifier la génétique des humains pour leur donner des yeux de chat ? À ces interrogations, Matthew Liao insiste sur la différence entre "la modification et la sélection", et préfère parler "d’optimisation de la liberté". Pour lui, permettre à des familles de faire le choix d’avoir des enfants de petite taille afin de réduire les émission de gaz carbone du foyer est bien plus libertaire que la politique de l’enfant unique appliquée en Chine depuis 1979.

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